Au terme de six jours de projections, le Festival du court métrage en plein air de Grenoble s’est achevé il y a deux semaines. Plus ancien évènement consacré au court encore existant en France (36 ans au compteur !), le festival, bien moins médiatisé que d’autres, jouit pourtant d’une bonne réputation auprès des professionnels par son ancienneté et son accessibilité. Comme d’autres festivals en région (Brest, Poitiers, Lille, …), celui de Grenoble joue la carte du local, avec comme double particularité d’être organisé par la Cinémathèque locale et de proposer gratuitement des projections de films en compétition en plein air et en salle. Le concept prend puisque 10.000 spectateurs assistent à ce rendez-vous convivial annuel. Pour la première année, Format Court était présent au festival (par la participation de l’auteur de ces lignes au Jury presse) et vous propose d’en savoir plus sur cette 36ème édition.
Aux origines
Le festival est né sous l’impulsion de Michel Warren, son ancien directeur. Il y a près de 40 ans, un courrier est adressé à la SRF (Société des Réalisateurs de Films), au comité court métrage présidé alors par Costa-Gavras. À cette époque, l’Agence du court métrage tout comme le Festival de Clermont-Ferrand n’existent pas encore. Warren souhaite organiser un weekend en plein air consacré au court métrage et demande à la SRF de lui concocter un programme clé en main. En moins de dix jours, des producteurs et des réalisateurs français sont contactés et les copies sont envoyées aux adresses des membres du comité (notre ami et confrère Gilles Colpart se souvient même que les copies s’accumulaient dans sa chambre de bonne et dans le couloir attenant). Tout ce petit monde embarque alors en camion depuis Paris et arrive six heures plus tard à Grenoble avec 40 films en 16 mm à bord. Seulement, une fois sur place, le véhicule est cambriolé. Le voleur ne devait pas être un cinéphile : les films étaient toujours là après son passage, sans quoi le weekend aurait été quelque peu compliqué à organiser ! L’accès libre s’applique déjà et le public est au rendez-vous. L’envie de réitérer l’expérience avec cette fois, un vrai festival et une vraie sélection l’année suivante se ressent. L’idée se concrétise rapidement et est toujours d’actualité plus de trente ans plus tard.
L’évolution
Longtemps géré par Michel Warren et repris depuis deux ans par Guillaume Poulet, son actuel directeur, le festival s’est ouvert depuis 2012 à l’argentique. La manifestation a ainsi vu son nombre de films inscrits considérablement augmenter, passant de 250 en 2011, à 750 l’an passé et à 980 cette année. Longtemps francophile dans ses sélections, le festival s’est peu à peu ouvert à l’Europe. Désormais, on trouve à Grenoble des films espagnols, russes, géorgiens, anglais et même iraniens. Les places restent chères puisque seuls 34 films majoritairement français (les habitudes ne changent pas si facilement) ont été retenus cette année en compétition officielle. Ces films se répartissent en cinq programmes et chose inhabituelle, une seule séance compétitive est projetée au jour le jour.
Cela laisse du temps pour visiter la ville, aller au musée, faire les soldes, avoir de mauvaises idées (prendre le téléphérique en solo pour rejoindre la montagne alors qu’on a le vertige), assister aux débats publics organisés avec les réalisateurs des films en compétition ou encore voir les programmes parallèles. Cette année, étaient ainsi programmés à Grenoble trois séances de films hors compétition relativement inintéressants (puisés dans les films soumis à la sélection), un panorama plutôt maigre sur le jeune cinéma chinois, un double programme consacré aux 30 ans de l’Agence du court métrage via sept oeuvres restaurées et numérisées dont les inusables « Foutaise » de Jean-Pierre Jeunet, « 200 000 fantômes » de Jean-Gabriel Périot et « Viejo Pascuero » de Jean-Baptiste Hubre, une carte blanche aux Archives Françaises du film illustrant en six films le passage du muet au parlant (marqué par le très visuel « A colour box » de Lye Len), et une nuit blanche consacrée au festival d’Annecy qui s’est terminée aux aurores avec le dernier Cristal du court, « Subconscious password » de Chris Landreth.
Le crû 2013
34 films constituaient donc la compétition grenobloise 2013. Côté jardin, le principe d’une sélection restreinte et d’une seule séance compétitive quotidienne sont extrêmement louables. Les yeux et l’esprit n’ont pas forcément besoin d’un excès de films pour aiguiser leur copain, le jugement. Côté cour, la sélection de Grenoble n’a malheureusement pas affolé les mirettes et le mental. Ce n’est pas une surprise, les films français se révèlent souvent décevants. Citons pour la forme et/ou le fond inintéressant(s) : « Date limite de consommation » de Christelle Lamarre (une fausse vieille abandonnée par son mari retrouve le bonheur grâce à une boutique de plaisir et se transforme en fée fatale. Soupir), « Les Chrysanthèmes sont des fleurs comme les autres » de Yann Delattre (une navrante comédie-trop-marrante-de-la-Fémis sur un faux décès et un vrai décès), « Fuck You » d’Olivier Jean (un consternant retour de situation misogyne entre un potentiel violeur et sa proie, sprinteuse professionnelle), « Une minute lumière » de Roberto d’Alessandro (un mièvre film expérimental montrant un supposé Trocadéro décalé, à la frontière peu crédible de « l’espace, des gens et des histoires »), « 216 mois » de Valentin et Frédéric Potier (une chanteuse ventriloque porte encore dans son ventre son fils de 18 ans. Celui-ci souhaite s’émanciper et sort finalement de sa prison pour devenir papa. Areuh), « Habiba » de Ingrid Lazenberg (trois jeunes gens disent au revoir à leur mère disparue ou comment faire un film de 3′ sur la seule présence – vocale – de Claudia Cardinale), « Amal » de Alain Decheres (un coup de foudre très hasardeux entre une bombe humaine sexy et un démineur, comme par hasard tous les deux maghrébins) ou encore « Faims » de Géraldine Boudot (un film dans lequel on sent que les comédiens ont pris plaisir à tourner dans le Beaujolais, mais où l’émotion reste planquée dans les vignes).
Malgré cette première partie peu réjouissante, tous les films français ne sont pas à blâmer : sept courts ressortent tout de même du lot. En premier lieu, figurent trois nouveaux films : « As it used to be » de Clément Gonzalez, un film réalisé en 48 heures sur l’emprise de la technologie sur la société et les moeurs d’aujourd’hui, « Le Mûrier Noir » (Shavi Tuta) de Gabriel Razmadze, un film franco-géorgien évoquant une journée passée entre deux voisins adolescents, et « Lettres de femmes » de Augusto Zanovello, une animation étonnante sur la Grande Guerre où le papier et les mots soignent les blessures. Pour information, ces trois films, tous primés à Grenoble, feront, avec « The Mass of Men » de Gabriel Gauchet, Grand Prix et Prix de la Presse au festival, l’objet d’un reportage à part, pour leurs qualités propres.
Ensuite, vient s’ajouter « Avant que de tout perdre » de Xavier Legrand, qui est loin d’être un film inédit mais qui ressort de cette sélection et qui fonctionne encore et toujours en salle depuis sa présentation et son succès au festival de Clermont-Ferrand. On ne reviendra pas en détail sur ce thriller très efficace, mettant en scène l’histoire d’une mère cherchant à fuir avec ses enfants le domicile conjugal et son mari violent, on préférera vous renvoyer vers la critique du film (on aime bien les liens à Format Court !). Puis, viennent « Les Lézards » de Vincent Mariette (également chroniqué sur le site) qui, faute d’être un grand film, est une comédie bien sentie au lieu de tournage original (un sauna), à la bande son sympa et au trio de comédiens au top (Vincent Macaigne, Benoît Forgeard, Estéban).
Du côté de l’originalité et la bonne idée made in France, on relève aussi à Grenoble deux autres films : « Guillaume Le désespéré » de Bérenger Thouin, un film d’école expé assez dingue sur la vie d’un homme multitâches pendant la première guerre mondiale porté par des images d’archives et une voix-off décalée ainsi que « La nuit américaine d’Angélique » de Pierre-Emmanuel Lyet et Joris Clerté, une animation en noir et blanc sur le métier de scripte, la relation au père et à François Truffaut, qui doit beaucoup à la joliesse de son texte.
On le disait en préambule : cette sélection festivalière se tourne également vers l’Europe. Cela se passe parfois avec beaucoup d’intérêt comme « The Mass of Men » de Gabriel Gauchet, abordant avec force et émotion la violence verbale et physique vécue dans une agence pour l’emploi. Ou avec bien moins de frénésie comme devant « Welcome Yankee » de Benoît Desjardins (un film canadien bourré d’incohérences dans lequel deux immigrés persécutés, curieusement coincés dans un container, sont sauvés par Dieu, un flic mangeant au volant et un petit garçon esseulé), « Les traits » de Guillaume Courty (un autre film canadien sans containers ni immigrés qui parle vaguement d’attirance et de portraits, mais qui s’oublie sitôt qu’il se regarde), « La Cicatriz » de José Manuel Cacereno (un film espagnol très mince sur la passé néo-nazi d’un beau mec bossant dans une succursale d’IKEA. Euh…) et « Sein Kampf » de Jakob Zapf (un film très choquant et totalement juvénile dans son propos sur la notion de vérité entre un adolescent néo-nazi et un rescapé des camps).
Heureusement, trois films étrangers, certes un peu maladroits mais comportant tout de même des bons points, s’extraient de la sélection : « RAE » d’Emmanuelle Nicot (Belgique) traite, comme « Avant que de tout perdre », de la violence conjugale et de ses conséquences sur une jeune femme accueillie pour le coup dans un refuge de femmes battues. Malgré quelques tire-larmes, le film fonctionne bien notamment grâce à la relation de son interprète principale, paumée et sur la défensive, avec sa colocataire, forte mais tout aussi fragile, partageant la même triste expérience. « Second Wind » de Sergey Tsyss, venant lui de Russie, montre un monde apocalyptique dans lequel un homme, probable dernier survivant sur Terre, n’a plus que comme unique raison de vivre celle de créer chaque jour une fleur en aluminium. Certes, le film est obscur et peu intéressant pour un film de S-F mais son univers visuel lui confère un petit charme et revient en mémoire, même deux semaines après le festival. Enfin, « Dozdi » de Mohammad Farahani, venu tout droit d’Iran, propose un double regard sur le vol et les apparences. Bien trop court (5′), le film aurait gagné en profondeur avec quelques minutes et plans supplémentaires. D’autant que les courts iraniens, très prisés par Format Court, ne sont pas ceux qu’on voit le plus en festival.
En refaisant le compte et en tournant les pages du catalogue, onze films refont surface, ce qui équivaut à un tiers de la sélection. Cela peut sembler peu pour un festival d’envergure tel que celui de Grenoble et on ne peut qu’espérer que le comité de sélection s’arrêtera sur de meilleurs films l’année prochaine. En même temps, des films comme « The Mass of Men », « As it used to be » et « Lettres de femmes » sont de réelles découvertes à nos yeux et inspirent autant nos textes que nos programmations. C’est la raison pour laquelle nous projetterons ces trois films à la rentrée dans le cadre de la reprise de nos séances Format Court le jeudi 12 septembre, au Studio des Ursulines. Ces films audacieux, le charme de la ville, l’engagement profond pour le court et l’ambiance conviviale du festival en font tout son intérêt.
Article associé : le Festival de Grenoble 2013 en quatre films