Considéré comme un pionnier de la Nouvelle Vague belge, Felix van Groeningen tourne des longs-métrages depuis dix ans. Son film le plus connu est le tendre et décalé « La Merditude des choses », réalisé en 2009. Alors que son dernier film, « Alabama Monroe » sort en salles fin août, il était l’un des invités du festival Paris Cinéma dans le cadre du programme Made in Belgiëque. Avec intérêt et curiosité, nous avons découvert les premiers films, courts comme longs, de celui qui était arrivé, avec son équipe, nu et à vélo à la projection officielle de « La Merditude des choses » à la Quinzaine des Réalisateurs, il y a quatre ans.
Tu as fait plusieurs courts pendant tes études. Qu’ont-ils représenté dans ton parcours ?
Ce qui était particulier à cette époque, c’est que je faisais mes films en même temps que je développais une pièce de théâtre nommée Kung fu. Je tournais avec des comédiens, des jeunes gens que je dirigeais aussi au théâtre. Beaucoup de scènes se sont faites par improvisation et on y trouvait beaucoup de liberté. La pièce a très bien marché, on a joué pendant trois ans partout en Europe. Après, on a formé une compagnie et on a crée une deuxième pièce, Discotheque. Pendant ces voyages, je faisais parfois des répétitions avec mes copains du théâtre et les comédiens amateurs pour mes courts métrages. C’est comme ça que j’ai fait « Truth or Dare », mon film de troisième année, et « 50 cc », mon film de fin d’études.
J’ai tout appris en faisant les deux ensemble. À l’école de cinéma, j’apprenais à faire des films. Avec les autres étudiants, on s’entraidait, on faisait tout : le montage, la lumière, l’écriture, etc. Mais ce qu’on ne faisait pas beaucoup, c’était le travail avec les acteurs. Avec la pièce, j’ai pu combler ce manque.
De quoi parlait la pièce ?
L’idée était très simple : on montrait des individus en train de marcher sur une passerelle et puis, ceux-ci commençaient à parler de leur vie. Quand j’ai commencé ça, j’avais 19 ans. On recrutait des jeunes gens, des amis, des petites amies, les frères ou soeurs des petites amies (rires) ! On formait une petite bande qui grandissait. La saison d’après, certains partaient, d’autres arrivaient. Là, j’ai vraiment appris à chercher ce qui me touchait.
Et c’était quoi ?
(Grand éclat de rire). Les émotions, et c’est toujours le cas. Comment et quoi chercher ? (…) J’ai appris aussi à ne pas avoir peur, à être à l’aise avec les gens, quand je travaille avec eux, à parler avec eux de leur vie et d’en extraire des petits morceaux que je trouvais beaux et que je transformais en petites histoires.
Tu as étudié au KASK, à Gand. Pourquoi as-tu choisi cette école ? Comment les films s’y concevaient au moment où tu y étais ?
Concernant l’école, je ne me suis même pas posé de questions. J’habitais à Gand, j’étais très bien là-bas et c’était l’école de cinéma qui s’y trouvait. Il y avait bien sûr d’autres écoles mais il y avait des examens d’entrée et j’ai préféré faire simple !
Ce n’était pas une école très riche à ce moment-là. On devait faire son film de fin d’études en 16 mm, mais j’ai été le premier à pouvoir tourner en vidéo parce que j’avais beaucoup insisté pour cela. C’était l’époque du Dogme 95 : l’idée naissait de tourner en vidéo, avec peu d’argent, dans un lieu, avec un groupe de personnes et de trouver de la liberté. Cet état d’esprit a aussi trouvé son chemin à l’école. On avait vu les films qui s’en inspiraient, on s’est demandé pourquoi on devait faire des courts métrages classiques qui ne duraient pas longtemps et qui coûtaient des centaines de milliers de francs pour la pellicule. On préférait fonctionner à deux caméras, avec un groupe de jeunes, une histoire et un endroit. C’était aussi le début du montage virtuel sur ordinateur, comme on l’appelait à l’époque (rires) ! Moi-même, j’avais acheté un ordinateur où je pouvais en faire. J’étais un des premiers à l’école à avoir ça à la maison et ça procurait aussi énormément de liberté pour pouvoir tourner beaucoup plus.
Est-ce que ça t’a aidé dans l’écriture de travailler dans ces conditions-là ?
(Il réfléchit longuement). Ça, je ne sais pas. Pour moi, cette liberté était très importante. Ce que ça apportait peut-être, c’est que si on devait changer quelque chose, on pouvait le faire, on ne flippait pas trop là-dessus. On faisait des prises en plus, on pouvait improviser si on voulait. On ne devait plus s’en tenir à l’écriture, forcément.
Est-ce que la liberté était également propre au format court ? Est-ce que cette liberté, tu as pu la retrouver dans le long-métrage ?
(Il réfléchit longuement). Oui, en fait. J’ai tourné mes courts avec une tout petit groupe et j’ai eu très peur au début, quand j’ai fait mon premier long, « Steve + Sky », de tourner avec une vraie équipe et beaucoup de gens autour. Je préférais travailler dans des conditions très intimes parce que j’étais très timide et que je n’aimais pas m’adresser à beaucoup de gens.
Pour le premier long, le producteur, Dirk Impens, m’a dit : « Si tu veux tourner en vidéo, ça me va mais je veux bien te payer la pellicule aussi ». J’ai dit : « D’accord, mais à condition que je puisse tourner tout ce que je veux et que je n’aie pas de limites ». On voulait avoir au final un film visuellement très fort, on a découvert la pellicule inversée et on adoré ça. Son grain était très fort, je suis un peu tombé amoureux de ce visuel, et on a pu tourner beaucoup et longtemps. Ça ne s’était pas encore fait en Belgique, mais j’avais dit à mon producteur : « Tu m’as dit que je pouvais, alors, je le fais » (rires) !
D’un côté, il y avait beaucoup de prises, l’esprit, la même liberté que pour les courts et de l’autre, je travaillais sur pellicule, un support plus classique, et une plus grande équipe. Ça m’a pris une semaine pour m’habituer, pour ne plus être timide. Mais il faut dire aussi que mon frère faisait le son, que ma copine jouait, et que mon meilleur ami et ma mère faisaient les décors. En somme, ils étaient tous sur le plateau, j’étais entouré d’intimes. Ça m’a permis de trouver ma place, de ne pas avoir peur de cette machine un peu plus grande, et de me faire des copains qui sont restés des personnes clés pour la suite. Depuis, chaque film est un peu plus grand en termes de production, mais je n’ai plus le sentiment d’être timide. Je sais maintenant comment ça marche et comment je peux le faire marcher. Car en même temps, comme c’est toujours la même équipe et le côté très familial demeure de film en film.
Tu pourrais revenir aujourd’hui au court métrage ?
Oui, mais je n’en vois pas l’intérêt. Je ne suis pas contre, mais ce n’est pas mon médium préféré. Je suis plus touché par les longs. Je ne sais pas pourquoi j’en ferais mais il n’y a pas de raison pour que je n’en fasse non plus (rires). En même temps, c’est très dur, les courts, car il faut essayer de toucher l’autre dans une durée restreinte, et il faut un peu de temps pour y arriver. Moi, c’est quand même ce que je veux toujours faire : prendre les gens par la gorge et ressentir le même effet.
(…) Quand j’ai fait « Bonjour Maman » après l’école, c’était un peu en réaction à « 50 cc », mon film de fin d’études. J’avais travaillé très dur pendant un an sur ce court de 40 minutes. C’était trop long, on m’avait prévenu, mais je m’en fichais. Je disais : « Le film doit être le film ». Celui-ci m’a procuré très peu de retours à cause de la durée. C’était dur de pouvoir le faire admettre en festivals, je n’en ai pas fait beaucoup à cause de ça. Après coup, je me suis plaint parce que j’avais consacré beaucoup d’argent et d’énergie dedans. Je voulais que les gens le voient, j’en étais fier et j’étais un peu déçu du résultat. C’est pour ça que pour le suivant, « Bonjour Maman », j’ai fait un film très simple qui pouvait vraiment toucher les gens : un plan, une personne, une situation imprévue et une émotion (rires) !
Et ça a marché en festival ?
Un petit peu, mais pas non plus énormément. C’est un film dur, mais j’en étais très content parce que c’était vraiment un projet qui me tenait à cœur. Le film s’est fait très rapidement. On a rencontré un garçon très spécial, dans le cadre d’un workshop à Maubeuge, on a répété deux jours, et on a filmé le troisième. C’était génial comme expérience.
Tu as mentionné à plusieurs reprises ton producteur Dirk Impens qui t’a suivi dans la production de tes longs. C’est quelqu’un que tu as rencontré à l’école. En tant qu’étudiant, qu’est-ce que tu as appris à son contact ?
En fait, c’est un très mauvais professeur (rires). Il le sait, ce n’était pas son but de l’être, ce qui l’intéressait, c’était de venir comme producteur dans une école de cinéma, de voir ce que faisait la nouvelle génération et d’essayer de l’aider. C’est vraiment quelqu’un qui aide l’autre si il est en mesure de le faire. À l’époque, je ne m’en rendais pas compte parce que c’était mon professeur. C’est quelqu’un de super intéressant mais aussi un très bon et grand producteur. Au début, il me faisait un peu peur, je ne savais pas trop comment le considérer. Il me faisait des compliments sur les films que je faisais, et puis, un jour, il m’a dit : « Si tu as envie de faire un long-métrage, je vais t’aider « . C’était très con, très simple…
Et ça a marché…
Oui.
Est-ce qu’il t’a encouragé sur « 50 cc », le film de 40 minutes ?
Oui, il n’est pas beaucoup intervenu. Il a lu le scénario. L’esprit dogme/vidéo/liberté, il avait senti ça chez moi, il m’a poussé à faire le film, à ne pas avoir peur. Quand je l’ai présenté à l’école, il m’a dit : « Il faut que tu fasses un long métrage ». Quand quelqu’un comme ça te dit ça à ce moment-là, tu ne peux pas avoir un meilleur compliment.
Dans tes films, longs comme courts, on retrouve souvent des personnages un peu paumés, imparfaits. Qu’est-ce qui t’intéresse chez ces antihéros ?
Je ne sais pas (gros éclat de rires) ! C’est un peu surprenant, c’est devenu un peu ma marque, les gens marginaux, comme dans mon dernier film. Les gens que je montre en fait, c’est ceux que je vois dans la vraie vie. J’ai eu plein de vies, j’ai rencontré beaucoup de gens très différents. Ce qui me touche, c’est les gens, une multitude d’individus différents.
Le documentaire t’a tenté par le passé ?
J’en ai fait des tout petits à l’école, parce que c’était obligatoire. C’est un genre que j’aime bien mais on ne peut pas tout faire. Si j’avais plus de temps, peut-être que j’en ferais. À un moment donné, j’ai décidé de ne plus faire de théâtre, ni de boulot commercial, et me consacrer uniquement au long.
En Belgique, peu de gens font autant de longs que toi en si peu de temps (quatre longs en dix ans). Tu es conscient de la chouette opportunité que tu as de tourner autant ?
Absolument, c’est aussi grâce à Dirk qui m’a donné cette liberté. Il continue à me payer pour écrire, pour développer mes films, et c’est pour ça qu’entre chaque projet, je ne dois pas me trouver un boulot. Il prend un risque parce que si jamais le film ne se fait pas, ce sera à lui de le payer. Ça m’évite d’aller chercher un boulot, d’aller enseigner, de faire des pubs ou de la télé. Tout au début, on m’a proposé différentes choses. J’ai vu que ça ne me rendait pas heureux, que je n’avais pas autant de liberté que depuis que Dirk m’a offert cette opportunité.
Pour revenir au court, après quatre longs, je ressens aussi l’importance de pouvoir montrer les films en salle. J’ai essayé de participer à la sortie des films, de créer un évènement, de donner aux gens l’envie d’aller les voir. Tu sens que ça vit, qu’il se passe quelque chose, et ça, avec mes courts, je ne l’ai jamais vraiment vécu. Parfois, tu es pris dans un festival de courts, c’est génial, c’est important, mais l’idée que ça bouge pour toi dans une ville ou dans un pays, c’est encore plus fort. Ce qui se passe par exemple pour le moment avec « Alabama Monroe » au niveau international, c’est génial (rires) !
En parlant d’évènement, comment est venue l’idée de faire du vélo nu à Cannes, au moment de la présentation de « La Merditude des choses » à la Quinzaine des Réalisateurs ?
C’était une idée très con qu’on avait sorti à la première réunion chez MK2, l’agent de ventes et le distributeur français. Ça ne leur avait pas trop plu. Tout le monde rigolait un peu bizarrement, donc on s’est dit qu’on n’allait pas le faire. Plus tard, en faisant des interviews, je ressortais cette idée pour rigoler. Le jour de la première, quelqu’un a écrit qu’on allait le faire parce que je l’avais redit en entretien. Là, MK2 nous a appelés en nous disant que si on voulait le faire, il fallait y aller parce que si on l’annonçait, il y aurait plein de journalistes (rires) ! Donc on l’a décidé deux heures avant parce qu’il y avait un buzz autour de ça. On était en voiture vers Cannes avec les comédiens quand j’ai reçu le coup de fil. J’étais d’accord, mais il fallait que je trouve quelque chose pour convaincre les autres. Je leur ai dit : « Allez, on va le faire tous ensemble. Le producteur, le monteur, et moi, aussi (rires) ! Et on l’a fait et c’était génial, quoi !
Tu trouves que le cinéma bouge en Belgique ?
Oui, en Flandre, on a toujours été très jaloux des films wallons. Quand je grandissais, il y avait les films qui touchaient au coeur, qui trouvaient un public, en France et dans le reste du monde, comme « C’est arrivé près de chez vous », « Toto le héros » ou les films des frères Dardenne. De notre côté, ça ne marchait pas, on nous disait toujours : « C’est pas mal pour un film flamand ». On avait du mal à dépasser ça, et en dix ans, cette idée a disparu. Les films sont bons et les gens les trouvent bons. Maintenant, il y a une dizaine de réalisateurs belges qui sont en train de faire des très bonnes choses et qui trouvent leur place dans le monde et en Belgique.
Propos recueillis par Katia Bayer