« Lettres de femmes » de Augusto Zanovello est un film d’animation en volume se déroulant pendant la première guerre mondiale et qui se distingue par son sujet (des lettres de femmes soulagent les plaies des hommes blessés au front) et sa technique mélangeant le carton et le papier. Primé en mai (Coup de Cœur Unifrance à Cannes), en juin (Prix du public à Annecy) et en juillet (Prix spécial du Grand jury, Prix du jury jeune et mention spéciale du jury presse à Grenoble), le film est en lice pour le Cartoon d’Or 2013, avec cinq autres titres. Avant sa projection à notre première séance Format Court de l’année, nous vous proposons d’en savoir plus sur ce film et son réalisateur, Augusto Zanovello.
On te découvre avec ce film, « Lettres de femmes ». Pourrais-tu me parler de ton parcours ?
J’ai étudié aux Beaux-Arts au Brésil pendant deux ans, j’y faisais déjà un peu d’animation. En arrivant en France, j’ai suivi des cours d’animation à la Ville de Paris et puis, j’ai fait une formation d’image à l’école Louis Lumière, parce que le cinéma en prises de vues réelles m’attirait. La réalisation m’intéressait depuis longtemps mais grâce à l’école, j’ai pu découvrir la photo et la lumière et devenir un vrai technicien.
Pendant mes études, je continuais à dessiner. J’ai commencé à gagner ma vie en faisant du story-board et à collaborer à des séries d’animation. Après Louis Lumière, j’ai travaillé un petit peu comme opérateur tout en poursuivant dans l’animation. J’avais des projets de fiction, seulement le court métrage, c’est un peu compliqué. J’avais déposé plusieurs dossiers au CNC et je n’ai pas eu de financement.
En quoi était-ce compliqué ?
Les projets ne se sont pas faits, probablement parce que j’étais moins persévérant à l’époque. J’étais un peu bloqué par l’ampleur du travail que nécessitait un court et par la difficulté de fédérer une équipe travaillant gratuitement autour d’un projet. Au bout d’un moment, je n’y croyais plus trop. Les films restent inachevés, je les garde toujours en tête. J’ai toujours les rushes, je sais qu’avec un monteur et un nouveau souffle, je pourrais en faire quelque chose d’autre, mais il faut que je les reconsidère comme des nouveaux films.
Comment dans ce contexte as-tu réussi à réaliser et à produire ton premier court, « Le gardien de la cave » (1995) ?
À l’époque, j’étais assistant opérateur. Je connaissais les loueurs de camera et d’éclairage qui m’ont permis d’avoir du matériel quasi gratuitement et de constituer une équipe. J’ai eu l’opportunité de tourner et de monter dans les locaux u laboratoire GTC à Joinville. C’était super, on tournait chez eux la journée, on leur déposait les rushes le soir et le lendemain, on voyait le travail de la veille avant de ré-attaquer le tournage. Une fois le projet bien avancé, je suis allé voir Les Productions Bagheera qui ont pris le film et qui m’ont aidé pour la post-production. J’ai consacré beaucoup d’énergie à ce projet.
Ça ne t’a pas manqué de ne pas faire d’autres films pendant ces 20 dernières années ?
Non, pas spécialement. Je travaille dans l’animation depuis très longtemps. J’ai commencé en 86, sur la série télévisée Rahan. Ce qui m’intéresse, c’est la mise en scène, l’écriture. Avant de réaliser moi-même des séries animées pour la télévision, j’ai pu aborder à plusieurs reprises le sujet en faisant des story-boards pour d’autres réalisateurs. Le board est un document de travail essentiel, surtout dans le dessin animé. Il permet de visualiser le film bien en amont et dans son intégralité et de vérifier si l’histoire fonctionne correctement.
Même si j’ai toujours écrit mes histoires à côté, j’aime bien travailler en équipe. Je ne me vois pas passer quatre ans sur un film de cinq minutes. Sans y consacrer autant de temps, d’énergie, j’ai dû laisser tomber deux courts parce qu’avec le temps, je n’y croyais plus. Si j’avais dû faire « Lettres de femmes » de cette façon pendant 3-4 ans avec une ou deux personnes, je ne l’aurais pas fait.
Alors, qu’est-ce qui a changé précisément sur ce film ?
C’est très simple. À partir du moment où on a un financement et qu’on peut payer les gens qui travaillent avec soi, on fait un planning et on travaille de manière professionnelle. Un court de fiction peut prendre une à deux semaines, on peut se débrouiller pour trouver des gens qui veulent bien faire la lumière ou l’électro. En animation, c’est plus difficile, soit on prend des gens qui connaissent bien le boulot, soit on le fait soi-même, mais c’est quand même un travail à long terme et de longue haleine. On ne peut pas juste donner un coup de main pendant quelques jours. Ça ne suffit pas, il faut plus. Sur « Lettres de femmes », on a eu la chance d’avoir un financement et une équipe.
Comment l’idée du film t’est-elle venue ?
Tout a commencé par la rencontre avec Arnaud Béchet un sculpteur qui travaille pour la pub et qui fait des illustrations en volume. Quelqu’un m’a parlé de lui en me disant qu’il aimerait bien faire de l’animation mais qu’il ne connaissait personne dans le milieu. Il m’a appelé, je suis allé chez lui et j’ai vu un poilu d’un mètre de hauteur, tout en carton, un peu langoureux, penché sur son fusil. La moitié de son corps était recouverte de boue, il était mi-homme, mi-boue. J’ai trouvé ça sublime, j’ai dit à Arnaud qu’il fallait en faire quelque chose. Après, on s’est perdu de vue, je n’avais pas d’idée assez forte en tête. Au bout d’un moment, j’ai pensé à ces lettres de femmes, restées dans l’arrière-pays, adressées aux poilus et faisant office de pansements. Je suis parti de là, de cette idée forte. J’ai commencé à travailler, à composer avec Arnaud un dossier pour le CNC. On n’a pas eu de réponse négative, mais on m’a demandé de retravailler le scénario. Pour cela, j’ai demandé à un ami de retravailler l’histoire avec moi.
Le poilu qui se trouvait dans l’atelier d’Arnaud était fait de carton. Pour le film, vous avez utilisé du carton et du papier. As-tu pensé à d’autres choses pour finaliser ton animation ?
Pas du tout. Arnaud ne connaissait rien à l’animation, mais moi, je pensais déjà à des marionnettes en volume, couvertes de carton. Le graphisme était trouvé d’emblée. La force du volume réside dans le fait qu’on y trouve de la matière, de la texture, une vraie lumière et une certaine profondeur. Cela rend l’ensemble plus réaliste et si l’animation est bien sentie, le tour est joué. L’émotion arrive comme par magie. Les personnages sont en carton, mais on a vraiment l’impression qu’il y a des humains en dessous de la matière.
L’idée du film est que les lettres des femmes soignent les blessures. En quoi les mots effacent la douleur, selon toi ?
Ça me paraît évident (rires) ! L’idée de base est que les mots peuvent réconforter quand on est dans une situation difficile. C’est bien ça, le propre de la littérature, non ? Dans le film, celui qui a le don d’utiliser ces lettres pour soigner les gens attend lui aussi sa lettre qui n’arrive pas. Comme les autres, il attend un peu de réconfort.
Est-ce que vous vous êtes basés sur des lettres existantes pour le film ?
Non, on a tout inventé. On a trouvé beaucoup d’écrits de poilus, mais très peu de lettres qu’ils ont reçus au front. Comme il nous fallait aller à l’essentiel en peu de temps, on a écrit des passages qui caractérisaient un grand nombres de femmes différentes : une mère inquiète, une femme rassurante, une sœur travailleuse, une écolière… .
Bruno Collet a lui aussi fait un film en volume sur la guerre 14-18, « Le Jour de gloire ….». Est-ce que cela t’a influencé ?
Pas tellement, parce que je l’ai vu après avoir tourné le film. Son court métrage est très beau, très réaliste, il joue aussi sur la lumière et le son. On sent que les hommes sortent de terre, à moitié embourbés. Ce que j’ai essayé de montrer avec « Lettres de femmes », c’est la fragilité du papier et des hommes. On est des êtres fragiles, on est vulnérables comme du papier. Parfois, on a besoin de très peu de choses pour trouver du réconfort, pour panser nos blessures….
Ton film est dédié à Josette Zagar. Qui était-elle ?
C’était ma prof aux Gobelins. J’ai fait un passage éclair par cette école, je suis parti avant la fin de mes études. Dotée d’une humanité hors du commun, Josette était été très douée, elle a longtemps travaillé avec moi comme story-boardeuse. Je suis allé la voir à l’hôpital pendant qu’on tournait le film, je lui ai montré des images. J’aurais bien aimé qu’elle voie le film terminé. Elle représentait beaucoup pour moi.
Propos recueillis par Katia Bayer
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Pour information, « Lettres de femmes » sera projeté en présence de Augusto Zanovello, le jeudi 12 septembre 2013, au Studio des Ursulines, dans le cadre de la reprise des séances Format Court