Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs 2013, « Solecito » d’Oscar Ruiz Navia est un film lumineux, touchant et pertinent sur les relations amoureuses entre deux jeunes adolescents colombiens, Maicol et Camila. Construit en deux parties (entretiens face caméra/tournage extérieur), à la croisée du documentaire et de la fiction, ce court signé Oscar Ruiz Navia fait partie de notre séance spéciale Quinzaine des Réalisateurs, programmé jeudi 13 juin 2013 au Studio des Ursulines. Juste avant sa projection, nous vous invitons à en savoir plus sur « Solecito », en compagnie du réalisateur Oscar Ruiz Navia et du co-producteur français du film, Guillaume De Seille (Arizona Films), rencontrés tous deux à Cannes.
Oscar, tu as fait plusieurs courts métrages, un long aussi (« El vuelco del cangrejo »). J’aimerais savoir si tu reviens aux sources avec ce film, en retournant au court métrage.
Oscar : Tout le monde pense que le court métrage, c’est le début de carrière, le cheminement nécessaire avant de passer au long métrage. Pour moi, ce n’est pas ça. Bien sûr, les débutants font des courts pour apprendre à faire des films, moi, j’ai juste envie de mélanger les projets et les formats. Si je ne peux pas travailler sur des gros projets, ce n’est pas grave, j’en développe en attendant d’autres moins importants qui peut-être ne verront jamais le jour. C’est très important, à mes yeux, qu’il y ait peu de temps entre l’idée et le projet final. En temps normal, lorsque tu deviens un réalisateur de plus en plus important, tes projets le deviennent aussi, mais ce n’est pas la façon dont je veux procéder. C’est toujours bon de revenir aux origines, pour l’esprit.
Quelle était l’idée originale du projet « Solecito » ?
Oscar : Mon précédent film s’intéressait à des jeunes un peu perdus, trainant dans la rue. Je préparais mon deuxième long (« Los Hongos ») et je recherchais aussi ce type de personnes, mais en fait je n’étais pas très sûr de ce que je voulais réellement, alors je cherchais, cherchais. Je suis allé dans une école secondaire où j’ai fait un gros casting, j’y ai réalisé au final 700 interviews. Ce que je voulais faire, c’était montrer deux ados en train de parler, de façon très réaliste. Je ne savais pas d’avance quelles allaient être leurs réactions. Lorsque j’ai fait le casting, je ne savais rien d’eux. J’ai juste demandé aux jeunes que je rencontrais où ils vivaient, ce qu’ils aimaient et j’essayais de sonder leurs personnalités. Ce que j’aime dans ce procédé de casting, c’est que même si tu viens avec une idée précise, tu peux tomber sur des centaines de nouvelles choses intéressantes.
À un moment, j’ai rencontré deux jeunes gens qui me racontaient la même histoire mais dans des versions différentes. Cette histoire m’a touchée, peut être parce que je pouvais ressentir quelque chose de similaire à cette époque. J’étais seul, je voulais faire le film rapidement, alors j’ai essayé de faire quelque chose à partir de ce matériau qui complétait mon idée de départ. Le projet est lié aussi à l’invitation d’un artiste nordique, Olafur Eliasson, à créer un film sur la lumière, la vie et l’énergie. C’est de là que vient le nom du film, qui veut dire « petit soleil ».
Guillaume, qu’est-ce qui t’a incité à co-produire le film d’Oscar ?
Guillaume : J’ai commencé en étant réalisateur, mais je prends plus de plaisir à produire les projets des autres. J’ai produit 4-5 courts qui m’ont réellement décidé à faire de la production. Sur ce film, on a comblé certains manques financiers, mais nous ne sommes pas à la genèse du projet, les Danois ont d’avantage aidé de ce point de vue. En revanche, Oscar sait que nous sommes bons dans le son, que je suis maniaque pour les sous-titres et comme nous travaillons ensemble sur un prochain film, il était normal qu’on l’aide. Le film a été difficile à financer, d’ailleurs la Colombie n’a pris connaissance du film que lors de sa venue à Cannes.
Oscar : Oui, ça a été un projet difficile à financer. J’ai d’abord envoyé à Guillaume le scénario, puis je lui ai transmis 90% du film terminé. Je lui ai demandé s’il aimait les images où non, et dans l’affirmatif, s’il pouvait être mon coproducteur. Il a été très gentil car il a accepté de suite. S’il avait dit non, il n’y aurait pas eu de problème, mais il a accepté et j’en suis très content car nous sommes maintenant à Cannes.
Pendant combien de temps as-tu tourné dans cette école ?
Oscar : Deux jours. Un dans l’école et un autre à l’extérieur. La première partie du film, constituée d’un dialogue entre les deux jeunes, est une sorte de documentaire qui ne fait pas partie du tournage. Cela fait partie des archives qui j’ai réutilisés par la suite.
Comment peut-on décrire le genre de « Solecito » ? Documentaire, fiction, hybride ?
Oscar : Pour moi, c’est une fiction. Le documentaire est juste un style différent de la fiction. Selon moi, tous les films sont fictionnels. Même si tu as de vraies personnes devant toi, tu crées d’une certaine façon un univers et c’est pour cela que c’est une fiction. Au moment du casting, si tu gardes les images pour toi, c’est du documentaire, mais à partir du moment où elles servent le film, cela devient de la fiction. Tu changes le sens des choses, des images, juste par le montage et l’utilisation que tu en fais. C’est pour cela que je ne pense pas que « Solecito » est un documentaire. La différence entre la fiction et le documentaire n’est pas dans la façon dont tu bouges la caméra, mais d’avantage dans le contrôle que tu as sur la narration, sur ce qui se passe devant la caméra. Parfois, tu n’as pas de contrôle, des choses arrivent devant la caméra et tu ne les maîtrises pas. Cela m’intéresse énormément.
Y a-t-il des choses que tu n’as pas contrôlées dans « Solecito » ?
Oscar : Oui, je ne savais pas exactement ce qui allait se passer pendant le tournage, ce que ce jeune couple allait dire, mais j’étais certain de l’ambiance, de l’atmosphère qui allait régner, parce que j’avais demandé à chacun d’insister sur certains points de leur histoire. Il était important qu’ils disent tout ce qu’ils ressentaient.
Tu sembles aimer tourner avec des acteurs amateurs. Qu’est-ce qui t’intéresse dans ce procédé en général ?
Oscar : Ils n’ont pas l’arrogance des acteurs professionnels et ils sont spontanés. Lorsque je choisis un acteur, c’est parce qu’il a quelque chose à raconter, une complexité que je recherche. Mais tous les acteurs sont différents et il n’y a pas qu’une seule façon de diriger un acteur. Tu dois à chaque fois réfléchir à la façon de lui faire passer tes idées. Par exemple Maicol, le jeune garçon du film, est légèrement arrogant et insolent dans la vie réelle. Il voulait toujours voir les images tournées. J’ai du trouver un moyen de lui faire oublier la caméra, pour qu’il ne se sente pas comme une star. La jeune fille, Camila, elle, par contre, était très humble. Tu dois comprendre comment sont les gens pour savoir comment les diriger. C’est très difficile mais c’est ce que j’aime le plus dans le cinéma, c’est ce qui m’intéresse le plus. Dans mon premier film, il y avait deux acteurs professionnels, mais je leur ai demandé de jouer comme s’ils étaient des amateurs et je n’ai pas eu de problème d’arrogance avec eux. Ils ne lisaient pas le scénario. Parfois, ils voulaient proposer des idées, mais je leur disais que j’avais juste besoin de leur présence, de ce qu’ils étaient. Cela me suffisait. Je ne choisis pas des gens parce qu’ils sont de bons acteurs, mais parce que j’aime ce qu’ils sont en tant qu’êtres humains et parce qu’ils me touchent.
Guillaume, j’aimerais savoir comment tu as été amené à rencontrer Oscar, vu que tu le suis depuis de nombreuses années.
Guillaume : C’est une super histoire. Il y a six ans, je me suis rendu à Buenos Aires pour un festival du cinéma et quand je suis arrivé à l’aéroport, j’ai appris que je devais attendre quelqu’un avant d’aller à l’hôtel. Je m’étais tapé douze heures d’avion, j’avais six heures de décalage horaire, cela ne m’arrangeait pas trop d’attendre comme ça dans un aéroport. Tout à coup, un petit jeune est arrivé, c’était Oscar. Dans le taxi, j’ai discuté avec lui, il m’a dit qu’il était un jeune réalisateur qui venait pitcher son histoire hors de la Colombie. Il m’a donné son scénario que j’ai lu le lendemain, j’ai vu ses courts dans la foulée et deux jours plus tard on a dîné ensemble après un rendez-vous officiel. C’est comme ça qu’on a commencé. Au-delà de sa jeunesse et de son énergie qui m’intéressent fortement, j’aimais bien l’inspiration ancrée dans le réel, presque environnementale, de son projet.
Je me suis rendue compte que dans ta boîte, Arizona Films, vous aviez un catalogue très tourné vers les auteurs étrangers. Pourquoi ?
Guillaume : On n’a que des films étrangers. J’ai travaillé dix ans chez Canal +, chaque année, je voyais plus de 200 films français et bien souvent, de moins en moins de films m’intéressaient. J’ai vu des films de jeunes cinéastes qu’on soutenait au début et plus du tout par la suite. C’est pour ça que je suis parti. Ce qui m’intéressait, c’était la recherche et la jeunesse, de plus en plus abandonnées par le système. En ce moment, je fais un film en Azerbaïdjan. En juillet, je vais au Kazakhstan, je suis les projets de petits marchés et c’est ce que je préfère. Dans certains pays, les gens sont souvent limités dans leur production, c’est pour ça qu’ils ont besoin des autres, des co-producteurs. On est dans ce créneau.
Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Carine Lebrun
Article associé : la critique du film
Consultez la fiche technique du film
Pour information, « Solecito » sera projeté le jeudi 13 juin 2013, à 20h30, lors de la séance Format Court spéciale Quinzaine des Réalisateurs, au Studio des Ursulines (Paris 5e).