Après s’être posé des questions sur son avenir, Gudmundur Arnar Gudmundsson a travaillé dans la restauration avant de penser sérieusement au cinéma. Son film, « Hvalfjordur » (Le Fjord des Baleines), en compétition officielle à Cannes, était l’un de nos films favoris au dernier festival pour son esthétique (paysages islandais, visage angélique) et sa dureté (rapport à la mort, traitement de la solitude). Au final, le film a obtenu l’une des deux Mentions spéciales de Cannes (l’autre allant à « 37°4S » d’Adriano Valerio). Fin mai, nous rencontrions son auteur. Mi-juin, voici son entretien.
Tu as étudié en Islande dans une école d’art et non dans une école spécifiquement cinématographique. Pour quelle raison ?
Plus jeune, j’étais plutôt un garçon à problèmes. Vers dix-huit ans, j’ai commencé à m’intéresser à l’art. Je regardais ma sœur, qui est une artiste, peindre. J’ai arrêté mes études, j’ai commencé à travailler dans un restaurant dans lequel je cuisinais. En travaillant les aliments, en les associant, j’y ai trouvé une forme d’art. J’aimais beaucoup créer de belles assiettes, je m’entraînais souvent dans mon coin. Ensuite, je me suis intéressé à l’écriture, à la peinture et à la photographie. Cela devenait compliqué parce que j’aimais vraiment toutes les formes artistique. Finalement, je suis rentré dans une école d’art où je peignais principalement mais où je touchais à beaucoup de choses. Faire des films est une finalité à cette pratique. À l’époque, je créais surtout une cuisine de qualité parce que je voulais rendre les gens heureux. Quand je fais des films, je cherche à les influencer, à les marquer, à ce qu’ils se sentent différents après la projection.
Tu as fini tes études en 2006. Comment as-tu appris à tourner, à influencer tes spectateurs ?
Dans l’écriture du scénario. Lorsque j’écris, je le fais toujours avec mes propres mots. Si tu es honnête avec toi-même, les gens le sentent et l’apprécient. C’est à ce moment-là qu’ils peuvent sentir ton influence.
Tu as eu l’opportunité de faire du documentaire. Ce film-ci est une fiction, tu as donc procédé autrement pour montrer ton univers.
Dans les deux, tu amènes un peu de magie dans la façon dont tu montres les choses. Ça reste du cinéma. Tu es le magicien, tu façonnes le film à ta façon.
Je n’ai pas vu ton film précédent, mais d’après que j’ai pu en lire, la vérité et la réalité semblent être au centre de tes préoccupations.
Je fais beaucoup d’expériences à travers mes films, parce que j’aime ça. Je suis beaucoup inspiré par les films de Wong Kar-wai, par sa façon de créer : il tourne, il écrit, il tourne à nouveau. Je mets du temps à écrire mes films, parce que je n’aime pas rester devant un ordinateur toute la journée. Je n’aime pas les ordinateurs ni toutes les choses électriques qui nous entourent. Alors, je procède un peu de la même façon que Wong Kar-wai.
Dans « Hvalfjordur », il était important que le spectateur perçoive ce que voit l’enfant, qu’il vive les situations de son propre point de vue ?
Je pense qu’il était difficile au moment de l’écriture de traduire cet aspect. Les adultes ne perçoivent pas les mêmes situations que les adolescents. J’ai cherché à me souvenir de quelle façon je pouvais vivre une situation lorsque j’avais neuf ans et c’est cette version que j’ai gardé pour le scénario. J’ai alors laissé parler l’enfant en moi pour qu’il prenne une place d’adulte dans mon film. Petit, j’avais hâte de grandir, je pense d’ailleurs que tous les enfants ressentent cela. C’est pour cela aussi que dans « Hvalfjordur », on ne voit pas les parents, on entend simplement leurs voix.
Comment est-ce que cela s’est passé pendant le tournage avec ton jeune comédien ?
Il avait joué au théâtre auparavant et des petits rôles dans des films. Ça a plutôt été facile en fait, il était a l’écoute et je lui demandais des choses simples qu’il faisait très bien. Je lui ai demandé d’être lui-même, mais il n’y avait pas d’improvisation alors, il devait vraiment respecter mes indications pour se déplacer ou pour fixer son regard.
En quoi est-ce un film personnel ?
Quand j’avais quatorze ans, le grand frère de mon meilleur ami s’est suicidé. Cela m’a marqué et je ne pense pas que j’aurais fait ce film si cet évènement ne s’était pas passé. C’est toujours resté présent en moi. Je savais que j’aurais besoin de m’en servir un jour.
L’avant-dernier plan de ton film, qui montre la mort, est très esthétique, très cinématographique. Comment as-tu choisi de le filmer ?
J’ai essayé de traiter cela de façon simple, sans multiplier les angles de vue. Le temps et le matériel étant limités, il fallait faire au plus efficace. Écrire et tourner dans cette optique a été pour cela très instructif. Le film raconte une belle histoire, avec beaucoup d’émotions. Il ne fallait pas bâcler cela.
Il y a quelques années, j’ai rencontré Rúnar Rúnarsson (réalisateur d’« Anna » et de « Smáfuglar »). Comme toi, il est islandais, il a fait des films au Danemark et ses films prennent place dans de magnifiques paysages. Son style t’a-t-il influencé ?
Je ne sais pas, mais nous avons travaillé ensemble. J’ai lu le scénario de son long-métrage « Volcano » et il a lu le mien. Il m’a dit que ce film irait à Cannes !
Tu as une idée de ce que tu vas faire après ce film ?
J’ai un autre court métrage, tourné en Islande, en cours de montage. Je tourne beaucoup là-bas car au final pour moi, ce n’est pas la langue d’un film qui compte, mais où cela a lieu. Pour cela, l’Islande possède des paysages remarquables. Comme ce pays n’est pas grand, il est souvent nécessaire d’avoir recours à la coproduction pour monter un projet.
Quel est ton rapport au court ?
Dans le court métrage, il y a certaines règles que tu dois respecter, comme la durée d’un film. Tu es limité dans ce que tu fais, tu dois alors chercher la meilleure solution pour montrer ce que tu veux, malgré une restriction de temps. Pour cela, j’aime les courts métrages.
Propos recueillis par Katia Bayer
Article associé : la critique du film
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