Nouvelle donne
Sous l’apparence de la sagesse se cache parfois une vitalité surprenante, une précieuse énergie prête à rompre avec l’ordre des choses. Au fond, ce n’est pas seulement au personnage d’Olena qu’on pourrait appliquer cette puissance dissimulée, mais au court métrage éponyme d’Elżbieta Benkowska dans son ensemble, tout premier film polonais à concourir à la Palme d’or dans sa catégorie courte. En empathie avec le personnage principal, la mise en scène apparemment classique dévoile une intrigue chargée de détails puissants et subtils. Voici la situation de base : un jeune coupe d’Ukrainiens, traversant la Pologne pour atteindre la Suède, perdent leurs passeports. Ce n’est pas seulement un voyage qui nous est donné à voir mais l’histoire d’une réorientation, celle d’une cassure à partir de laquelle s’ouvre un nouveau champ. Au cours de la traversée, il s’agit donc de prendre conscience de la valeur de la frontière comme seuil géographique, linguistique et existentiel.
Dans « Olena », la ville de Gdańsk apparaît d’abord comme l’espace d’une banale traversée : alors qu’ils atteignent la ville en train depuis l’Ukraine dont ils sont originaires, Olena et Dima se font dérober leur portefeuille qui contient leurs passeports. Le voleur finit par jeter celui-ci sur la voie, laissant les deux protagonistes dans le désarroi. Comment peuvent-ils poursuivre le voyage sans leurs papiers ? Ils tentent de s’adresser aux autorités à leur arrivée, en vain. La caméra prend le temps d’aborder les regards qu’échangent les personnages, de laisser les dialogues intimes poindre progressivement. Tout aussi subrepticement émerge la raison de leur périple : Dima est toxicomane, ce voyage est celui de la dernière chance non seulement pour lui mais aussi pour son couple. Olena, interprétée par la captivante Oksana Terefenko, fait face à la situation avec un mélange d’espoir et de fragilité.
Cependant, la suite des événements va bousculer petit à petit la traversée des personnages. Certes, ils trouvent un agent de police pour les emmener sur les lieux où ils pensent pouvoir retrouver le portefeuille. Mais, dans son coin, Dima retouche à la drogue. « La dernière fois », dira-t-il plus tard. En fait, il s’agit d’une fois de trop. De son côté, Olena et l’agent de police polonais se parlent. À ce moment de l’histoire, même si cela n’est pas totalement perceptible par le spectateur, le trajet prend une autre forme. Comme si la ligne se débattait avec le point. Et un point, c’est tout, c’est l’événement qui rompt avec la prévision. D’ailleurs,dans ce film, visuellement les éléments se composent de formes longilignes (les voies ferrées interminables) et ponctuelles (les personnages); le plan distancié où Olena traverse le viaduc révèle cette combinaison. Même s’ils remettent la main sur le portefeuille, Olena comprend que Dima a rompu leur pacte secret. Ils décident tout de même de partir vers le port et de s’embarquer pour la Suède.
Finalement, Gdańsk devient le théâtre d’une nouvelle donne. Alors qu’ils sont dans le couloir pour atteindre le ferry, Olena ralentit le pas jusqu’à stopper sa marche. Son regard dit tout : la perte de confiance, la difficulté de la décision et l’évidence de la rupture. Dima poursuit son chemin. La ville qui ne devait être qu’un couloir vers l’au-delà s’apparente alors à un berceau du pour-soi. Face à l’eau visible et extérieure de la Mer Baltique, Olena fait le choix de la césure, et voit surgir depuis l’intérieur le liquide de l’angoisse et de la liberté. La mise en scène fixe ce moment avec une grande simplicité, rendant désormais palpable la réalité épaisse et imbrisable des sentiments. Pendant que les larmes d’Olena perlent sur ses joues, le point l’emporte donc sur la ligne. Ouvrant ainsi une nouvelle ère, la définition de nouvelles conditions et d’un potentiel abandon.
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Pour information, « Olena » sera projeté samedi 25 mai à 11h, salle Debussy, et à 17h, salle Buñuel, dans le cadre de la projection des courts métrages en compétition
Une petite remarque: Gdansk se trouve au bord de la Mer Baltique. La Mer du Nord c’est un peu plus loin.