Après nous avoir sidérés avec « Csicska » d’Attila Till, il y a deux ans, la Quinzaine des Réalisateurs propose cette année un nouveau court hongrois surprenant, « Lágy Eső » (bruine, en français). Un voyage en bateau, enveloppé d’une brume et d’une musique belle et déchirante à la fois, ouvre le film. Dani, un adolescent, filmé de dos, scrute l’horizon et l’eau calmes. Il se retrouve vite à fumer et à trinquer avec son nouveau père adoptif, prêt à accueillir un fils et de la main d’oeuvre gratuite à la ferme. Il faut bien s’occuper des cochons.
Embarquant pour une nouvelle famille et un nouvel environnement, Dani l’orphelin abandonne de ce fait sa maison de correction. De son ancienne vie, Dénes Nagy, le réalisateur, ne nous dit presque rien. Peu importe, son film s’intéresse au Dani d’aujourd’hui. Son protagoniste, en apparence insensible, isolé, froid et distant, est tour à tour calme (il regarde les porcins se faire charcuter, sans broncher) ou violent (il laisse éclater sa colère en classe). La seule émotion qu’il laisse transparaître est celle qu’il ressent pour Zsofi, une fille de sa classe, provocante, libre, sans attaches. Lui, l’esclave, le mal aimé, logé à la même enseigne que les parias, devient vite fasciné par cette jolie fille aussi énigmatique que lui.
Jouant au dur, essayant tant bien que mal de la séduire, il cherche à tout prix à attirer son attention. Pour l’impressionner, il en vient à mettre le feu au champ familial dans un geste d’amour radical. A cet instant, il se rapproche un tant soit peu de l’objet de son obsession. En même temps, son vice, son secret est dévoilé. La réponse du monde adulte, plutôt absent jusque là, intervient, sans tarder, de façon sidérante (« Les menteurs seront voués aux ténèbres éternelles »). La morale revenue, les règles rétablies, il ne reste plus qu’à renvoyer Dani à la case de départ.
Entre tension palpable et mutisme ambiant, cette fiction très maîtrisée scrute le mal-être d’un adolescent ne pouvant compter que sur lui-même, confronté à l’amour et au désir, ne sachant comment éprouver ces sentiments autrement que par le biais de l’extrême. Souvent filmé de dos, parfois encadré par des barreaux (symbole d’enfermement un peu trop appuyé), le personnage de Dani réussit à intriguer le spectateur, à l’emmener dans un ailleurs peu reluisant où des images d’incendie côtoient des plans âpres, de sang et de chair d’animaux morts. Ces visuels pourraient passer pour des effets de style mais leur crudité assumée apporte autant au film que le jeu très sobre des deux comédiens principaux. Deux ans après « Csicska », la Hongrie nous offre un nouveau regard ciselé sur la société hongroise et sur son rejet de l’être faible. La marge nous intéresse, ce film aussi.
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Article associé : l’interview de Dénes Nagy