En plein tournage de son prochain film, Ainslie Henderson, ce jeune Écossais fasciné par le stop-motion, lauréat de notre Prix Format Court au Festival Anima (pour son film « I Am Tom Moody »), nous a accordé quelques instants pour répondre à nos questions. De quoi satisfaire notre curiosité à l’égard de ce compositeur-chanteur devenu cinéaste.
Format Court : « It’s About Spending Time Together » et « I Am Tom Moody », tes deux films évoquent l’enfance, les souvenirs, le trauma. Qu’est-ce qui te pousse à travailler sur ces thèmes ?
Ainslie Henderson : L’animation image par image (stop-motion) demande de s’immerger totalement. Cela prend du temps. Vous passez des semaines, ou des mois, enfermé dans une petite pièce sombre avec vos idées et vos envies, à jouer avec une marionnette, une lumière et une caméra. Je suppose que c’est une sorte de thérapie. J’ai l’impression que pour que le travail en vaille la peine, ça doit être une sorte de thérapie. Thérapie, c’est un mot un peu embarrassant, et je crois que l’art ne peut pas être qu’une question de thérapie de l’artiste, il faut au moins prendre en compte ceux qui le reçoivent. Mais j’apprécie les choses qui me donnent l’impression d’avoir nourri la personne qui les a créées. Sinon, il ne s’agirait que d’un simple divertissement. Je travaille autour de ces thèmes parce que je les trouvent enrichissants.
Considères-tu ton travail d’animation comme une sorte de recréation du souvenir ?
A.H. : C’était bien sûr le cas pour mon film « It’s About Spending Time Together ». Il s’agit purement et simplement d’un souvenir. J’ai commencé à enregistrer ma voix et essayé de raconter un moment, comme ça me venait, sans coupures ni reprises. Il s’agit d’un pur flot de pensées, de libre expression. Au départ je voulais que cela dure une minute, mais au final j’étais plus proche des trois minutes et demi, il a donc fallu combler le vide à l’écran. Alors que je réalisais le film, je me suis rendu compte que la conception des décors et des marionnettes était également une tentative de se souvenir, du coup j’ai commencé à filmer ce cheminement. J’aime beaucoup ce petit film simple mais sincère. C’est certainement la meilleure chose que j’ai faite lorsque j’étais en école d’art. J’ai toujours envie de revenir vers cette façon de travailler et de faire un autre film dans ce style, mais je crains que ce ne soit plus aussi naturel, que la méthode soit trop forcée. J’aime les films basés sur des souvenirs parce qu’on y ressent une forme de sincérité. J’écrivais des chansons avant de faire des films, et je recherche des choses similaires dans ces deux arts. Je veux entendre quelqu’un dire quelque chose à propos de sa vie et de ses expériences.
Justement, sur tes films, tu participes à la musique et au son. Quelle importance cela prend-il dans le travail d’écriture et de réalisation ?
A.H. : Pour moi, la musique et le son constituent une part très importante du film. Je pense généralement à la musique et au son dès le début. D’ailleurs, je suis très probablement très énervant pour les ingénieurs du son et les musiciens qui travaillent avec moi, ou au contraire d’une grande aide, ou les deux. C’est difficile pour moi d’abandonner complètement le son et la musique aux mains de quelqu’un d’autre. J’essaye cependant de m’améliorer et de faire confiance aux autres, car je sais aussi que je ne suis pas forcément la personne la mieux placée pour ce travail et que la collaboration est toujours meilleure qu’un travail réalisé seul.
Le son et la musique étaient-ils, comme pour « Its About Spending Time Together », le point de départ de « I Am Tom Moody »? As-tu composé la musique avant ou après le tournage ?
A.H. : J’ai écris la chanson qu’on entend à la fin du film au tout début de la conception de la marionnette de Tom. C’était comme une étincelle, et ça m’a beaucoup aidé à lui donner vie. Je m’imaginais quelle chanson il pourrait chanter, et où le film prendrait fin. Au début, je voulais faire de Tom cette rock star ratée et complètement folle des années 1970, composer plein de clips musicaux et lui attribuer toute une histoire. À l’heure actuelle, cela me semble toujours être une bonne idée. Il existe en moi beaucoup de personnages de musiciens animés qui verront le jour très prochainement. La musique du film a été enregistrée par Peter Deane du groupe « The Last September ». Ce qu’il a fait est vraiment super, mais comme je le disais, je me suis beaucoup immiscé dans son travail, et je suis sûr qu’il aurait fallu lui laisser un peu plus de liberté.
T’imagines-tu réaliser des clips ?
A.H. : Oui, j’adorerais ça. J’en ai discuté avec un groupe que j’admire énormément, mais je ne veux pas trop en parler pour le moment, de peur de ruiner le projet.
Autour de la musique, les voix sont également très importantes, comment as-tu choisi celle de l’acteur et écrivain Mackenzie Crook pour incarner Tom ?
A.H. : Je voulais quelqu’un qui puisse passer d’une voix à l’autre dans la tête de Tom – du dominant méprisant à l’inférieur nerveux. J’ai vu Mackenzie dans un spectacle d’humoriste il y a quelques années dans lequel il s’acharnait sur le public de manière condescendante mais géniale. J’avais Mackenzie en tête lorsque j’ai écrit le film. C’était un pari un peu risqué de faire interpréter Tom à différents âges par Mackenzie et son fils Jude, car je ne savais pas comment ce dernier réagirait, mais il s’est révélé tout aussi formidable. Ils ont enregistré chez Mackenzie, sous un tas de matelas, tous les deux blottis autour d’un micro. Dès que j’ai entendu l’enregistrement j’ai su que j’aurais une superbe scène, ma partie préférée du film.
Pourquoi avoir choisi de travailler avec des marionnettes ?
A.H. : Je ne sais pas du tout dessiner, je n’ai pas le choix ! Non, j’exagère, disons que je savais que je voulais surtout travailler les personnages, sans arrière-plans, avec beaucoup de noir à l’intérieur du cadre. Il fallait donc que les personnages soient suffisamment intéressants pour porter avec eux toute l’action et l’émotion du film. Je pense que les marionnettes et la stop-motion se prêtent tout particulièrement à une étude très approfondie des personnages, et c’est tout simplement une méthode que j’adore.
Quels sont tes projets pour le futur, maintenant que tu es sorti de l’école d’art d’Édimbourg?
A.H. : Actuellement je m’amuse énormément. Je collabore beaucoup avec mon ami Will Anderson, qui a réalisé « The Making of Longbird » que j’ai co-écrit. Nous sommes en train de réaliser un autre film hybride entre stop-motion et live-action qui s’appelle « Monkey Love Experiments ». Le film met en scène un laboratoire de primates en 1969, et un singe appelé Gandhi, persuadé qu’il est destiné à voyager dans l’espace. D’ailleurs, vous pouvez en suivre la réalisation sur le site du film. Nous allons travailler sur ce film jusqu’à mi-juillet, nous en sommes ravis.
Propos recueillis par Agathe Demanneville
Article associé : la critique du film