Roman Klochkov est un animateur russe, né au Kazakhstan. Après nous avoir épatés avec son film de fin d’études, « Administrators » tourné à KASK, une école d’animation belge située à Gand, il revient avec son premier film professionnel, « Natasha ». Le film chroniqué le mois dernier sur le site a remporté le Prix du Meilleur Film d’Animation au dernier festival Aubagne. Sur place, nous avons rencontré Roman Klochkov, pour un entretien mélangeant l’humour, l’allégorie et les petits rêves.
Je t’ai beaucoup vu dessiner dans ton agenda, pendant le festival. Qu’est-ce qui te plait dans le dessin, dans l’animation ? Qu’est-ce qui t’a incité à étudier à Gand ?
J’ai toujours dessiné et ça a été une chance d’étudier en Belgique. C’était un rêve de faire des films d’animation. Je vivais à Gand comme réfugié, le KASK s’y trouvait. Je la connaissais pour sa très bonne réputation, et j’ai eu l’opportunité d’y entrer et d’y étudier.
Quand es-tu arrivé en Belgique ?
En 1999, il y a 13 ans.
Dans « Administrators », tu parles de l’administration, de la bureaucratie, et dans « Natasha », tu évoques l’immigration, la situation des réfugiés…
Dans les deux films, je parle des problèmes capitaux du monde (rires) !
Est-ce que tu t’es basé sur des expériences personnelles pour nourrir ces deux films ?
Je me suis basé sur mon expérience, il y a beaucoup de réalisme dans les deux films. J’ai aussi voulu filmer l’allégorie dans « Natasha », en montrant le quotidien d’immigrés arrivant en Europe et recevant des boulots pas terribles.
Qu’est-ce qui t’intéresse justement dans l’allégorie ?
Les problèmes, les conflits, la philosophie ayant trait à la frustration des gens.
Pourtant, cette idée de frustration est commune aux deux films. Dans le premier, le personnage d’Igor le lapin n’arrive pas à éteindre le feu, il court d’une administration à l’autre. Dans le deuxième, Nicolaï l’ours n’arrive pas à être lui-même, il est bloqué, confiné dans un tout petit espace.
Oui, mais malgré tout, j’essaye toujours d’aller vers quelque chose de différent. Mon but n’est pas de me répéter. J’ai travaillé pendant six ans sur « Natasha », après mon film d’école. Je suis allé voir un producteur qui a accepté de me suivre sur ce projet. Je voulais raconter l’histoire d’un grand ours qui arrivait en Europe, sans trop savoir ce que j’allais en faire. Depuis 2006, j’ai beaucoup retravaillé le scénario car je n’étais pas content, sauf qu’à un moment, j’ai bien dû arrêter de tout changer.
Dans ce film, tu cultives l’humour noir, tu joues avec les stéréotypes sur les pays et les nationalités. Travailler autour des clichés t’intéresse ?
Au moment où j’ai fait le film, oui. Si maintenant j’avais la possibilité de le refaire, je retravaillerais ces clichés, je les rendrais plus subtils. Je voulais faire une blague, raconter une histoire, mais je n’aime plus trop ces stéréotypes.
À un moment, un de tes personnages dit que les gens ne vivent pas dans un rêve. Quand les animaux arrivent en Europe, ils ont peut-être des espoirs, des rêves, mais quand ils se confrontent à la réalité, ils déchantent très vite.
Quand tu atteins le rêve, il est vide, alors, je préfère ne pas trop rêver. Quand j’ai un but, je rêve avec précaution. Je pense toujours à ce qui peut mal se passer. Je ne rêve pas trop en grand.
Sur quoi travailles-tu actuellement ?
Je travaille sur un film autour de la paix, cent après la fin de la première guerre mondiale. Il s’agit d’un projet qui englobe une petite dizaine de personnes; chacune anime une histoire courte d’une minute autour de la paix. Mon histoire est celle d’un ours et d’un lapin qui se préparent pour la guerre et puis… C’est la fin ! Je ne la raconterai pas pour ne pas dévoiler le film !
Pourquoi es-tu si intéressé par les lapins ? Dans chacun de tes films, il y en a un !
C’est ma marque. Je ne veux pas répéter de concept mais c’est vrai que je reproduis le personnage du lapin. J’aime le dessiner comme un personnage mixte : frustré, toujours effrayé, plein d’esprit.
« Natasha » est très marqué musicalement. Le film est plutôt drôle, mais dès que l’ours commence à jouer au piano, cela devient émouvant et triste.
La musique sauve tout : la situation, le film, Nicolaï, son amour et la fin dont nous ne parlerons pas ! La musique est très importante, c’est le coeur même du film. Ici, à Aubagne, le festival s’intéresse de près à la combinaison entre musique et cinéma, et dans « Natasha », cela se ressent bien.
Comment as-tu travaillé avec la compositrice, Tifany Veys ?
J’avais travaillé avec elle pour « Administrators », donc ça a été très rapide. On se connait bien, elle sait ce que je veux. Je lui ai expliqué mes envies sur le film. Elle travaille avec son mari, ils ont écouté mes remarques et m’ont proposé une version que j’ai aimé. Ils m’ont aussi envoyé une petite vidéo de mains jouant au piano, car je ne savais pas comment animer les doigts, le toucher. La musique est très importante dans le film, c’était une remarquable collaboration.
Tes films se distinguent par une ligne, un contour noir, imparfait, encerclant les personnages…
Une ligne grasse, oui. Le trait doit être imparfait et rapide pour être plus énergique et volumineux. Ça rend les personnages plus lumineux, ça leur donne plus d’épaisseur. J’adore animer comme ça, j’aime que ce soit un peu sale. Il ne faut pas que tout soit superbe dans un film, qu’on consacre trop de temps à ce côté lisse. L’énergie et la spontanéité du début, des esquisses, ne doivent pas disparaître. C’est ce que j’ai appris de Michaela Pavlátová, qui, elle aussi cherche à ne pas se répéter de film en film.
Qu’est-ce qui a changé entre le film d’école et le film pro ? La notion de liberté ?
Non, à KASK comme maintenant, j’étais libre. Au début, à l’école, je voulais juste faire des blagues qui feraient rire et qui rendraient tout le monde joyeux et heureux. Depuis, je veux dépasser l’effet de blague, raconter des histoires, mais pas pour autant faire des films très tristes à l’image des 90% des productions actuelles.
L’humour est important, il est à conserver pour l’avenir ?
Oui, absolument. Il ne faut pas donner plus de tristesse à l’écran qu’il y en a déjà. La plupart des films parle de problèmes, de situations difficiles. « Natasha » aussi, mais je ne veux pas que les gens soient déprimés en regardant mes films. Parfois, il faut qu’il y ait un peu d’humour….
Propos recueillis par Katia Bayer
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