Il y a plus d’une semaine, Format Court rentrait d’Aubagne, petite ville du sud de la France connue pour son écrivain maison (Marcel Pagnol) et son festival annuel, combinant musique et cinéma. L’an passé, nous vous avions présenté cette manifestation très proche du court métrage, mettant à égalité les réalisateurs et les compositeurs. Cette année, nous sommes retournés trois jours à Aubagne, pour glaner un peu de soleil (raté) et repérer de nouvelles perles courtes (rares au regard de l’importante sélection)
Cette année, 73 courts métrages étaient en compétition internationale au festival. Au départ, la page 21 du catalogue, introduisant les 11 programmes de courts, promettait des « énergies créatrices (…), un nouveau cinéma (…), des petits moments délicieux ». Curieux, nous sommes allés en salle et avons puisé dans le carton de DVD pour faire le lien entre les séances (deux programmes de courts étant seulement projetés quotidiennement), en faisant l’impasse sur les déjà vus « Tennis Elbow », « Kali le petit Vampire », « Tram » , « Prora », « Topo Glassato al Cioccolato », « La Bifle » et « Abgestempelt » (dont l’interview de son réalisateur Michael Rittmansberger fait partie du focus consacré au festival). À l’arrivée, sur 37 nouveaux films, nous avons trouvé 7 exceptions remplissant cette fameuse promesse.
Commençons par les points d’interrogation et les franches consternations. Le Prix du Public, « Du Poil de la bête » de Sylvain Drécourt (France, 2ème film), mettant en scène Philippe Nahon, déçoit par le traitement très inabouti d’une histoire entre un fils et un père, sur fond de chasse à l’homme et de course au Goncourt. « Les cerises du bateau » de Sarah Hatem (Liban, France, 1er film) agace profondément par ses longueurs et son propos (une rencontre soi-disant improbable, dans un Beyrouth, « tiraillé » entre modernité, blabla et tradition). « Dans le pas de Léa » de Renaud Ducoing (France, 3ème film) offre le même sentiment par son histoire tirée par les perruques entre Léa, ex-prostituée, et Maryline, toujours active dans le métier, qui papotent (à poil) de la fidélité et de la liberté, à l’intérieur d’une caravane (logique).
« Return to Sender » de Denise Hauser (Finlande, 1er film), s’intéresse (sans nous) à une scientifique cherchant tant mal que bien l’homme de sa vie sur Internet, alors que « Leon & Barbara » de Marcin Mikulski (Pologne, 2ème film) mêle sans grande originalité petits vieux, fins de mois difficiles et culture de la marijuana, sur un air d’accordéon lancinant et insupportable. Enfin, « Sex, Lies and Flowers » de Jan Santroch (République tchèque, 1er film) ose se présenter comme un film d’humour noir et ironique (cf. synopsis) là où on ne voit qu’un film à sketches bancal avec pots de fleur et tromperies à gogo.
Gardons le meilleur du pire pour la fin avec deux premiers films ex-aequo : a) « La promotion » de Manu Joucla (France), une comédie pas drôle sur les rapports dominant/dominé dans le monde du travail et de l’amour trop libre, et b) « You Missed Sonja » de Félix Koch (Allemagne), un film d’école bourré d’hémoglobine, de dialogues pas possibles et d’images de caméras de surveillance, plus proche du thriller pathétique que du cinéma de demain.
Heureusement, à Aubagne, nous avons trouvé des « films gentils », possédant certaines qualités sans pour autant nous emballer complètement. Commençons par « Grace » de Jo Kelly (Etats-Unis, Suisse, Belgique, 1er film), Mention du festival, qui lie Jérôme, handicapé mental et physique à Via, prostituée vieillissante, sur fond musical plus ou moins tolérant, mais qui oublie de finaliser son histoire. Poursuivons avec « The Rattle of Benghazi » de Paco Torres (Espagne, Irlande, 3ème film), dans lequel on troque la guerre contre des jeux d’enfants mais dans lequel les bons sentiments et les mauvais acteurs ne font pas bon ménage. « La Ville Lumière » de Pascal Tessaud (France, 3ème film), autre film aimable, confronte un jeune homme à ses pairs, lors de certaines séquences empruntes d’une belle émotion, face aux femmes aimées, pour la vie ou pour un soir.
Terminons avec deux films d’animation très distincts. En premier lieu, une autre Mention, « Fuga » de Juan Antonio Espigares (Espagne, 3ème film) dont on n’a pas compris grand chose, mais dont la musique qui l’accompagne est tellement belle que le film peut bien être mentionné dans ce reportage. Enfin, « How Dave and Emma Got Pregnant » de Joost Lieuwma (Pays-Bas, 3ème film) a le mérite de déclencher l’hilarité par son idée crétine de base : un homme, frustré de ne pas devenir père, voit dans la graisse de son épouse sa progéniture tant rêvée au point de la bercer et de l’accompagner au parc à la vue de tous (sa graisse, oui, vous avez bien lu). Le film, déjanté à souhait, tient plutôt bien la route, mais se ratatine vers la fin, en n’assumant pas son délire jusqu’au bout. Dommage tant cette histoire absurde convoque le rire gras (sans mauvais jeu de mots), changeant de la morosité ciné ambiante.
Parlons maintenant des films réjouissants, vus à Aubagne (car oui, il y en a eu, n’allez pas croire tout ce qu’on vous écrit). À nos yeux virtuels, sept titres valaient le détour cette année au festival. « Korosteoria » d’Antti Heikki Pasonen (Finlande, 3ème film), Prix du Meilleur film de fiction au festival, illustre avec drôlerie et finesse le lien entre deux jeunes paumés, dans une Finlande dépressive et esseulée. sur un air de Dr Alban (aah, It’s My life), de caisses IKEA et d’envies de changement (l’ailleurs ou l’amour ?). « Le Chevreuil » de Rémi St-Michel (Canada, 3ème film) lui emboîte le pas en suivant Marc, un fumeur de joints nonchalant, qui troque le corps de son père contre celui d’un chevreuil percuté sur la route (!), en empruntant à l’humour absurde et à la musique fun & rock toutes leurs saveurs.
Côté belge flamand, deux premiers films nous ont également plu : « Dood van een schaduw » de Tom Van Avermaet, dernièrement nominé aux Oscar (excusez du peu), montre un Matthias Schoenarts méconnaissable (oubliez la masse, la force, concentrez-vous sur son regard, ses émotions), en proie à l’amour et au sacrifice dans ce conte fantastique, plongé dans l’ombre et les ténèbres. Sans autre lien avec ce film si ce n’est sa nationalité, « Natasha » de Roman Klochkov (interviewé au festival), lauréat du prix du Meilleur film d’animation à Aubagne, suit, sous le couvert de l’animation, un ours russe Nicolaï, confronté aux clichés, à la destruction du rêve européen et à l’amour brûlant pianoté un soir de tristesse éthylique. Dans la lignée d’« Administrators », le film de fin d’études de Klochkov, Natasha touche par son graphisme soigné, son humour teinté de mélancolie et le soin apporté à sa partition musicale (un plus à Aubagne).
Côté français, « Lisières » de l’acteur devenu réalisateur Grégoire Colin (2ème film) porte bien son nom et son pluriel puisque le film joue beaucoup sur l’entre-deux (forêt/ville, marginalisation/intégration) en suivant Tchavo, un jeune rom perdant quelque peu ses repères le jour où sa famille disparaît, le laissant seul, malgré lui.
Nos deux derniers intérêts vont à deux films d’écoles, l’un anglais, l’autre israélien. « Head over Heel » de Timothy Rechart (Royaume-Uni), sélectionné cette année à la Cinéfondation et lui aussi nominé aux Oscar (ens animation, pour le coup) propose de s’immiscer dans la vie de Walter, vivant au sol et de sa femme, Madge, vivant au plafond, dans une maison dans laquelle ils se sont éloignés l’un de l’autre depuis bien longtemps. Ce film de marionnettes fonctionne par l’originalité de sa construction (en haut/en bas, le monde à l’endroit/à l’envers), son absence de parole, ses petits regards par dessus les lunettes et ses pas chassés de rapprochement. De son côté, « The House on the Water » de Omer Regev (Israël) s’en sort plutôt convenablement, pour un film d’école, en abordant le choc post traumatique d’un ancien soldat et ses conséquences néfastes sur sa vie d’artiste, d’homme marié et de père de famille. Le sujet n’est certes pas nouveau, mais le film adopte dans sa forme des partis pris intéressants servant son histoire (de l’obscurité des flash-back à la lumière du jour, de l’image tremblante, reflet des incertitudes et des tourments intérieurs à la dissimulation d’un enfant apeuré, derrière un bol de céréales matinales).
Profitons de la nationalité et du sujet de ce dernier film pour parler, une fois n’est pas coutume d’un long-métrage. Cette année, un autre film israélien était en compétition à Aubagne : « Rock The Casbah » de Yariv Horowitz. À la clôture du festival, le film a obtenu une Mention spéciale du Jury à la grande joie du réalisateur (“Merci la France !”). Ce n’est que quelques jours plus tard qu’on a appris que le réalisateur avait perdu connaissance pendant quelques minutes après s’être fait agresser physiquement et verbalement pendant le festival, à l’issue de la projection de son film lié à un souvenir personnel de l’armée (après la mort brutale de l’un des leurs dans la bande de Gaza, quatre soldats israéliens sont réquisitionnés pour retrouver le meurtrier, sur le toit d’un immeuble).
À Aubagne, le contact entre les gens est aisé, et c’est une bonne chose. On se rencontre au petit déjeuner, en terrasse, à une fête, devant le ciné (Le Marcel Pagnol, pour rester simple) ou au resto de pâtes pas terribles. Pendant le festival, nous avons ainsi pu un peu échanger avec Yariv Horowitz et son compositeur, Assaf Amdursky, tout comme avec l’équipe de « The House on the Water » et avec les autres.
Nous n’avons pas pu voir « Rock The Casbah ». À en juger par la bande-annonce, ci-dessus, il est fort possible que le film interroge, interpelle et dérange. Pourquoi pas ? Tous les films ne sont pas lisses, bien heureusement. Mais si certains se défoulent sur d’autres au nom d’une nationalité et d’un sujet traité (par besoin de catharsis ou non), pendant un festival, lieu de culture, de découvertes et d’échanges, on est en droit de se poser des questions et de dénoncer, à notre minuscule échelle, ce genre d’agissements confondant fiction et réalité, cinéma et actualité.