Le Best of Anima 2012, le huitième du genre, édité par Folioscope en collaboration avec Les Films du Nord, regroupe huit courts métrages primés au Festival Anima en 2012, accompagnés de trois coups de cœur du festival et de quelques bonus (bande-annonce, autoportraits). Parmi cette sélection, on retrouve des œuvres présentées et récompensées dans de nombreux festivals, telles que « Luminaris » de Juan Pablo Zaramella ou « Pixels » de Patrick Jean. À leurs côtés, on découvre avec plaisir d’autres créations de tout horizon, issues des compétitions professionnelles comme étudiantes.
Prix du meilleur court métrage international dans la catégorie professionnelle, « Romance » est un film du réalisateur suisse Georges Schwizgebel qui n’a besoin d’aucune présentation. Ce dernier a commencé sa carrière dans les années 1970 et a réalisé depuis une vingtaine de films. « Romance » commence par un plan large sur une jeune femme endormie qui se lève et prend sa valise pour partir en voyage. Parallèlement, un jeune homme quitte son domicile et monte dans un taxi pour se rendre à l’aéroport. Les deux voyageurs se retrouvent côte à côte dans l’avion, et leur esprit bascule alors dans une romance qui évolue au rythme d’une sonate de Rachmaninov. Le point de départ de « Romance » est en effet la musique qui démarre avec le réveil des personnages. Véritable dialogue entre le violoncelle et le piano, le film se passe entièrement de discours pour laisser ses personnages tourbillonner au rythme envoûtant de la partition.
On passe alors du crayon à la peinture, de la couleur au noir et blanc, et on suit les personnages dans un mouvement perpétuel entre plusieurs niveaux, celui du rêve, du film qu’ils visionnent dans l’avion, et de la réalité. Quant aux images, elles ne disparaissent pas mais se transforment : une fenêtre devient un visage, tandis que la robe de la jeune femme se transforme soudain en un banc sur lequel elle s’assoie. Les corps se cherchent, se trouvent au détour d’une valse et s’enfuient, tandis que le spectateur se perd à la rêverie. Georges Schwizgebel nous fait voyager librement dans le temps et l’espace bien particulier de la romance, où les repères disparaissent peu à peu, et nous donnent le vertige.
Après la romance de Schwizgebel, on découvre celle de Roman Klochkov, intitulée « Natasha », lauréate du Prix de la SACD. Après « Administrators », film de fin d’études du KASK (Belgique), ce premier film professionnel décrit la situation du bien morose Nicolaï, immigré russe qui tente de s’intégrer en Europe afin de prouver à sa bien-aimée Natasha qu’il n’est pas un loser. Il aboutit dans un zoo, seule possibilité laissée aux immigrants illégaux.
Le film, croqué avec ironie, repose sur les clichés de chaque pays : pour être un bon Français, il ne faut aller qu’à la buvette et boire que du café ou de la bière, et pour être un bon russe, il faut vivre dans un frigo et boire de la vodka. « Natasha » développe des personnages attachants pleins de ressources, et non dépourvus d’humour, dont le talent est bien souvent bafoué par les nécessités du quotidien. Pianiste hors pair, Nicolaï noie son chagrin dans la vodka et la musique, et nous berce de mélodies tristement belles. Avec ce film, Roman Klochkov traite du statut des immigrants illégaux avec humour noir, dans un style graphique qui rappelle l’univers de la bande dessinée, avec des personnages aux contours noirs marqués et une explosion de couleurs et de détails.
Après quelques romances, faisons un détour par « The Wonder Hospital » du réalisateur sud-coréen Beomsik Shimbe Shim, Grand Prix du festival Anima, qui nous emporte dans un univers surréaliste au sein de « L’hôpital des merveilles », un lieu étrangement inquiétant. Lunettes 3D, miroirs déformants : l’héroïne erre dans un monde non défini où tout est fait pour altérer la vision. Dans cet hôpital de chirurgie esthétique, notre personnage avance dans une enfilade de pièce, les unes plus angoissantes que les autres, vers cet « après » tant désiré. Vues subjectives sur un décor étrange et absurde, plans filmés par une caméra de surveillance, dominance de blancs : tout est là pour accentuer l’ambiance pesante et hostile d’un lieu déjà peu accueillant. Comme si tout cela ne suffisait pas, une musique jazzy ajoute une ambiance de supermarché où l’on imagine bien un nouveau visage être vendu juste à côté du rayon « charcuterie ». Pourtant, intriguée et attirée, notre héroïne continue d’avancer et se laisse guider d’une pièce à l’autre comme dans un train fantôme, pour finalement aboutir sur la table d’opération. Mais cet « après », cette beauté tant recherchée dépend de critères tout aussi étranges que le lieu, et de la façon dont chacun tient le miroir entre ses mains.
Dans un autre registre, « Shattered Past » de Boris Sverlow, Prix TV Paint du meilleur court métrage belge, montre un homme qui fait une attaque alors qu’il écrit ses mémoires. Il est alors propulsé en Russie environ soixante ans plus tôt, lorsque sa famille dut fuir le pays pendant la révolution. Le passé de cet homme est brisé et le réalisateur illustre brillamment la difficile reconstruction et la déformation inévitable du souvenir par une animation faite d’assemblage de papiers découpés, mélangeant dessins, photographies et prises de vues réelles. Des bribes de souvenirs et des images se reconstituent à mesure que le passé refait surface, à travers les yeux d’un enfant. « Shattered Past » nous plonge dans une fresque historique personnelle, basée sur des témoignages et des images morcelées, qui constituent malgré tout un ensemble percutant, où le fond et la forme se rejoignent pour nourrir le récit.
Agathe Demanneville
Best of Anima 8 (2012). Edition : Folioscope et Les Films du Nord. Distribution : Twin Pics