Au Festival de Clermont-Ferrand, les journalistes ne manquent pas. Venus de France, de Belgique, du Liban, d’Italie, de Pologne et d’ailleurs, ils sont nombreux à être accrédités et à se croiser au petit déjeuner à l’Hôtel Kyriad ou en salle de presse, installée à l’étage de la piscine municipale. Si on peut regretter ces dernières années l’absence d’un prix de la presse, on peut s’étonner de la présence d’un prix Télérama au palmarès.
Partenaire du festival, le magazine culturel récompense en effet depuis 2009 l’un des nombreux films sélectionnés, que ce soit dans la section labo pendant trois années consécutives (« Lila » du Broadcast Club, « A Family Portrait » de Joseph Pierce, « The Eagleman Stag » de Michael Please) avant de se rediriger vers la compétition nationale depuis deux ans (« Ce qu’il restera de nous » de Vincent Macaigne en 2012 et « Avant que de tout perdre » de Xavier Legrand en 2013). En croisant Pierre Murat, critique de cinéma et membre du jury Télérama, les questions se sont multipliées. Voici leurs réponses associées.
L’équipe de Télérama remet depuis plusieurs années un prix au Festival de Clermont-Ferrand. Comment se fait-il que vous n’accompagnez plus la section labo, comme au début ?
On est arrivé à Clermont-Ferrand par amour du court métrage. Au début, je voyais bien l’intérêt du labo, parce que c’était du cinéma expérimental, un peu plus pointu par rapport au reste de la sélection. Mais avec les années, il m’a semblé que les compétitions française et internationale contenaient des films qui auraient pu être dans le labo. En même temps, le court métrage étant déjà un ghetto, rester uniquement sur des films expérimentaux de courts me semblait complexe.
Promouvoir sur notre site un film casaque d’animation, c’est très bien, mais il me semble qu’on a un peu plus d’utilité d’essayer de faire connaître un auteur français, en ces temps difficiles. C’est peut-être aussi mes goûts cinématographiques qui me poussent vers un peu plus de classicisme que des recherches expérimentales. Les autres années, le labo, en plus, me paraissait faiblard. Il n’était plus tout à fait ardent dans la découverte et un peu mou. C’est pour ces raisons que j’ai préféré qu’on soit plutôt associé à la sélection nationale.
Comment se définit cet amour du court dont tu parles, et pourquoi se concrétise-t-il à Clermont-Ferrand ?
Il ne faut pas exagérer, on n’est pas Bref, on ne parle pas en permanence des courts métrages parce qu’ils ne sortent pas et qu’on ne les voit pas, ce qui est l’éternel problème. Par le passé, j’ai sélectionné les courts français de Cannes et les premiers et deuxièmes films à la Semaine de la Critique, et c’est dans le court qu’on repère les nouveaux auteurs qu’on peut retrouver par la suite. C’est pour ça qu’avec mes camarades de Télérama, on voit entre 40 et 60 courts pour ce prix. Notre idée, qui devrait être celle de tout critique, est de découvrir de plus en plus tôt des jeunes auteurs intéressants.
Et de les suivre après, quand ils font leurs long ?
Oui, autant que faire se peut. Avant, j’essayais d’aller à la fémis et de voir les films qui s’y faisaient. C’est comme ça que j’ai découvert Teddy Lussi-Modeste, en promotion scénario, et son court « Embrasser les tigres ». Quand il a fait son long (« Jimmy Rivière »), il me l’a envoyé très rapidement. On crée des liens très tôt avec les gens, ce qui permet de les suivre encore mieux.
Il y a un problème avec le court. Tu parles de lien mais les courts métragistes peuvent se sentir isolés, éloignés du regard de la critique. Dans la presse généraliste, on voit très peu d’incursions liées au court.
Oui, c’est vrai, y compris dans Télérama, il faut être tout à fait honnête. Il y a de moins en moins de place, même dans les journaux comme le nôtre qui parle de cinéma. De plus en plus de films sortent et on ne peut pas s’occuper de ceux que les gens ne peuvent voir nulle part. Si on les voit, on en fera des critiques. Cela dit, dès qu’ils passent à la télé, on essaye d’en parler et de faire par moments une enquête sur le court. J’ai fait moi-même quelques sujets sur la question et je n’ai jamais eu autant d’attaques que de la part des courts métragistes ! Ceux-ci se plaignent toujours qu’on ne s’intéresse pas à eux et quand on le fait, ils peuvent se montrer quelques fois extrêmement difficiles (rires) !
Votre prix à Clermont est à la fois d’ordre financier et promotionnel. Le film lauréat est mis en ligne, ce qui permet de répondre à l’idée que les courts ne sont pas visibles et d’accompagner un auteur…
On met le film en ligne si le producteur est d’accord, ce qui n’est pas toujours le cas. Mais on ne peut pas le faire tout le temps et partout donc c’est tout à fait minable, je le reconnais. On pourrait aller plus loin en envoyant quelqu’un pendant six jours au festival, comme ce qu’on fait à Cannes. Il en est question chaque année mais on recule. Le problème, c’est qu’il y a trois festivals par jour, qu’on reçoit beaucoup de propositions de leur part et qu’on ne peut pas parrainer tout le monde.
Le streaming en ligne, c’est quelque chose de très suivi ?
Oui, ça marche, ça dépend évidemment du film. L’année dernière, on a récompensé « Ce qu’il restera de nous », le film de Vincent Macaigne qui n’est pas un film facile. Quelque fois, ça peut jouer contre le film et contre nous. Si on mettait un film comme « Wecome and… our condoleances » (Leon Prudovsky, Israël) en compétition internationale cette année, tout le monde serait content. Une caméra cachée, un cadavre au milieu de l’aéroport, de la bonne humeur, de la nostalgie : les gens réclament ce genre de films, évidemment, pour eux, c’est ça le court métrage, un Prix du public en quelque sorte. Or, ce n’est pas du tout ce qu’on veut récompenser, nous.
À quoi vous marchez dans ce cas ? Tu peux me donner des exemples ?
Ce que je cherche dans un long comme dans un court, c’est le regard sur le monde, la société. Pourtant, ce n’est pas parce qu’on a un regard que c’est bien. Depuis que je suis arrivé, j’ai vu des films engagés en international et ils sont maladroits, intellos, pas écrits et pas pensés. J’ai vu ainsi « Bateau de papier » (Helmy Nouh, Egypte). Au début, on y croit pendant quelques minutes, le personnage fait des cocotes en papier, mais brusquement il se met à parler et les monologues ne marchent pas. C’est généreux au possible mais c’est nul, ça manque de regard. C’est littéraire et plus personne ne parle comme dans ce film !
À l’inverse, j’ai eu très peur au début devant un autre film « 6th March » (Chun Wong, Chine). Le film montre des manifestations très heurtées, très saccadées. Je me suis dit que ça n’allait pas marcher si le film continuait comme ça. Curieusement, après, il y a un dispositif (trois policiers assis autour d’une table) et pas grand chose d’autre (des champs et des contre-champs sur des répliques). C’est très bavard et en même temps, peu à peu, on change d’avis. L’aspect agaçant, mode, clip disparait au profit de quelque chose d’intéressant. Il y a un propos, le film fait 30 minutes et arrive à instaurer quelque chose. Ce qui m’intéresse dans les films, c’est de sentir une personnalité, que le sujet traité me plaise ou non.
Personne ne résout le problème, mais est-ce qu’un court est un extrait d’un futur long ou bien un film avec un univers à soi, rond ou brisé ? Je n’ai pas trop de réponses mais parfois, quand je sens trop que j’ai affaire à un banc d’essai pour un futur long, j’essaye de ne pas le primer (rires) ! En tant que critique, tout est subjectif. Maintenant que je commence à prendre de l’âge, je vois très vite devant un long et un court si ça va être bien, au bout de 30 secondes. Quelque fois, ça peut être dû à un plan fixe qui, brusquement, commence à vibrer, à vivre un peu. Ce n’est pas une règle absolue, parfois il y a un bon début et puis, ça retombe mais quand même, quand il y a une personnalité, ça se sent vite.
Ça fait combien d’années que tu fais de la critique ?
Ouh là (rires) !
Cette réflexion-là, tu ne te l’es pas faite tout de suite, c’est venu au fil du temps….
Non, ça n’est pas venu tout de suite, mais ça fait quelques années que je me la fais. Quand je m’occupais des longs, à la Semaine de la Critique, quand ça commençait très bien on se disait, comme la mère de Napoléon : « Pourvu que ça dure » ! Mais malheureusement, il y a des gens qui n’ont pas accès aux images (rires) !
Si on met en perspective le travail de Vincent Macaigne et celui de Xavier Legrand, qu’est-ce qui t’a intéressé dans ces deux films qui jouent avec la tension de façon très différente ?
C’est très différent. Le Macaigne, est un film qui n’est pas aimable, qui est presque déplaisant, ça m’intéresse. C’est un film volontairement provocateur, un rien trop théâtral. Macaigne vient du théâtre, certaines scènes m’avaient un peu agacé comme celles avec le rouge à lèvre. Il y avait un peu d’affectation dans son film, mais ce qui nous avait tous séduit par rapport aux autres films de la sélection, c’était la longueur des plans, la profondeur de champ, le montage, la tension permanente, la force de ce qu’il voulait raconter. On sentait que le type derrière le film avait une personnalité du feu de dieu, qui a semblé indéniable pour le grand jury aussi.
Pour le film de Xavier Legrand, pour être franc, j’ai hésité à voter tout de suite parce que pour moi, c’est un film qui ressemble déjà à un long. C’est un premier film mais on dirait que c’est un troisième ou un cinquième film. C’est tellement bien fait, l’efficacité est telle que je me suis demandé un instant si le réalisateur n’avait pas pris un pseudonyme pour nous faire une farce à la Romain Gary ! Là, l’efficacité prime sur la personnalité. Le Macaigne m’a donné ce que je cherche, là, celui-là m’a donné ce que je crois que beaucoup cherchent au cinéma : une histoire émouvante et pas lacrymale, de la sensibilité et pas de la sensiblerie. Je n’y trouve pas, par contre, ce qu’il y a un peu plus dans nos deux mentions, « Solitudes » (Liova Jedlicki) et « La Maison vide » (Mathieu Hippeau) : une recherche un peu plus esthétique et un jeu avec le sujet transmettant un univers un peu plus personnel.
Personnellement, je suis très content qu’on ait récompensé en deux ans une personnalité d’auteur et un film réussi qui sert un sujet, un propos, des acteurs. J’ai envie de voir ce que Macaigne et Legrand feront après. Avec le prix, j’ai l’impression qu’on a servi à quelque chose, à donner un léger coup de pouce.
Des coups de pouce, vous en donnez dans d’autres festivals ?
La visibilité est toute modeste, c’est une toute petite influence. On peut parler d’influence avec le festival Télérama qu’on organise en janvier autour du long-métrage. Là oui, on a vraiment l’impression d’être utile, car on prend 15 films de l’année déjà sortis, aux carrières déjà faites, à qui on redonne une deuxième chance au mois de janvier. Là, oui, l’influence est forte : on a réussi, sauf cette année à cause du mauvais temps, à faire pratiquement 300.000 entrées en une semaine dans des salles d’art et essai, c’est quelque chose de colossal.
Le festival existe depuis 15 ans, et ça prend depuis 6-7 ans. J’ai pris conscience que ce festival était en train de devenir intéressant quand Bertrand Tavernier m’a appelé il y a deux ans parce qu’on n’avait pas sélectionné parmi les 15 films « La princesse de Montpensier ». Il n’est pas le seul, à partir du mois de septembre, je reçois des mails de distributeurs qui me demandent si leurs films pourraient faire partie des 15. Ca prouve que c’est important, mais au départ, qui aurait misé un kopek sur 15 films déjà sortis ?
Avant de se lancer, on a hésité. Nous, ce qu’on fait en général, c’est des parrainages, des encarts publicitaires et des avant-premières. Avec ce festival, c’est un tout petit différent, l’idée, c’est de ralentir un peu et prouver que les gens peuvent continuer 6 mois après, à aller voir des films, comme « De Rouille et d’os » mais aussi « The Deep Blue Sea », en salles même si ils sont déjà passés à la télévision et sortis en DVD.
J’entends une implication, une prise de risques. Mais est-ce que ton journal, et plus largement la presse culturelle, pourrait faire quelque chose de similaire, d’aussi engagé pour le court métrage ?
Pour le court, on ne fait pas assez d’efforts, c’est vrai. Il faudrait faire plus souvent ce qu’on fait une ou deux fois par an en misant sur un auteur de temps à autre. Ici, à Clermont, les salles sont pleines. Le problème, c’est que l’image du court n’est pas si favorable dans la tête des gens, à part pour les spécialistes. Les responsables des clics sur Internet te diront même que si les auteurs ne sont pas connus, les internautes ne cliqueront pas sur leurs films. Il faudra attendre le grand prix de Clermont, une nomination aux César ou un prix à Cannes pour qu’ils le fassent. Je n’ai pas beaucoup de temps mais je suis prêt à parler d’une révélation, à proposer le court du mois, à montrer 5 minutes d’images, mais ce n’est pas la bonne solution pour faire connaître les gens. Les festivals font encore ce qu’il y a de mieux et puis, il faut continuer à parrainer des initiatives en faveur du court. Je suis tout à faire preneur de l’imagination des autres, des bonnes idées, des associations avec autrui, mais il ne faut pas que ce soit contre-performant pour l’artiste et le court.
Crois-tu qu’une visibilité des courts en salle pourrait inciter les gens à changer d’opinion quant au format ?
Je ne crois pas que le film de Macaigne ait marché en salle. Si on sort un film de Xavier Legrand, qui ira le voir ? On ne sait pas comment aborder les choses. Les programmes de courts sont en général associés aux films pour enfants. Les gens iront-ils vraiment voir 1h30 de courts, même si on leur dit que c’est la meilleure sélection de Clermont, de Brest ou de Ttrifouilly-les-Oies ? Je n’en suis pas certain. Déjà qu’ils ne vont pas voir les longs, alors, pour les courts… À Clermont, on dirait qu’ils se précipitent pour aller voir des courts, mais ailleurs, ce n’est pas vrai. C’est l’arbre qui cache la forêt.
Propos recueillis par Katia Bayer
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