Avec un peu d’ironie, nous pourrions dire que « Fishing Without Nets » est à certaines régions appauvries du monde ce que sont « Les Pirates des Caraïbes » à un certain cinéma de divertissement ou au tourisme de masse : un blockbuster en devenir. Sauf que les arêtes du réel entaillent ici toute possibilité de fantastique et d’humour. La beauté de la photographie et la richesse solaire rêvée de l’Afrique sont ici impuissantes à produire une quelconque discipline de l’horreur. Ailleurs, des désespérés et des exclus, consommateurs chevronnés de drogues recensées, se craquent sous les déchirants éclairages de doses les rivant à la mort. Dans «Fishing Without Nets », les mêmes mâchent du khat, prennent les armes et braquent les Titanic qui ont échappé au naufrage. Difficile de savoir s’il est préférable de se faire encorner par un iceberg lorsqu’un des pirates constate, pragmatique face à la famine et aux guerres, qu’il leur faut bien trouver un moyen de subsistance; tandis qu’un autre propose de tuer quiconque s’opposera à leur attaque, comme on écrase un moustique.
Même si nous n’assistons pas à l’affrontement, le réalisateur Cutter Hodierne sait mettre du mouvement dans sa fiction, à en juger le travelling avant de la scène d’ouverture, où Abdi rencontre le gang des pirates pour la première fois. En comparaison, le cinéma d’action d’un Tarantino, qui se caractérise aussi par son fort ressac de dérision, est alors très, très loin et même : nous oublions tout de l’existence d’un quelconque cinéma de divertissement devant un film tel que « Fishing Without Nets ». Avant que le destin d’Abdi ne se dirige vers le marchepied du piratage forcé, son quotidien est le suivant : il déambule dans les rues de son village, pauvre, mais aussi lumineux et resplendissant, il s’amuse avec sa petite fille en manque de médicaments, il doit plusieurs semaines d’impayés pour la location de son matériel de pêche, et il passe son temps, seul, en haute mer à pêcher du néant.
Chine, son ami d’enfance, lui, se la pète. Il roule sur l’or, il a un job qui paie bien : pirate. Chine offre un téléphone portable à Abdi qui ne peut refréner un sourire de joie. Chine donne de l’argent à son ami et lui fait la morale et l’incite à suivre ses pas. Et Abdi résiste, en s’attachant à ses valeurs familiales (au sein desquelles figure, on le devine, sa croyance religieuse) qui le nourrissent insuffisamment. À la prostitution de certaines âmes, « Fishing Without Nets » oppose l’utilisation des armes. Et les « gueules », prêtes à riposter, dessoudent tout espoir pour leurs futures victimes.À la fin de l’histoire, seul le visage d’Abdi exhalera encore une certaine innocence, laquelle finira cachée sous l’équivalent d’un keffieh lorsqu’en compagnie des pirates, sa nouvelle famille, il portera un AK-47.
Arbre généalogique du crime, « Fishing Without Nets », du fait de son réalisme, pousse à fournir un peu de rire, avant de s’enfuir. Et pour cela, on choisit de détourner – et de transformer – le titre du très bon documentaire « Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés » de Marc-Antoine Roudil et Sophie Bruneau (d’après le livre éponyme de Marie Pezé) sur les effets néfastes du travail : « Ils ne tuaient pas tous mais tous étaient frappés ».