À l’occasion du 9ème Festival Court Métrange de Rennes, le film « Mamembre » réalisé par Sylvain Payen, Christophe Feuillard, Caroline Diot, Guillaume Griffoni, Clarisse Martin, Julien Ti-I-Taming et Quentin Cavadaski, a été distingué par le Métrange du Format Court du meilleur film européen. Diffusé lors de notre soirée de projection du 8 novembre au Studio des Ursulines à Paris, ce film d’animation écrit et réalisé à sept mains nous plonge dans un univers sombre et terrifiant à l’étrangeté très assumée, qui aborde la question des rapports de possessivité unissant une mère et sa fille.
Premier film, oeuvre collective de fin d’étude pour l’école ESRA 3D Sup’infograph, « Mamembre » est un film dont le procédé surprend d’emblée. Utilisant majoritairement la 3D avec certains passages en 2D, le film bouleverse notre rapport au normal en mettant en scène des personnages en kit, comme des mannequins de vitrines de magasin aux textures plastiques dont les membres sont interchangeables, mais dont les yeux sont des incrustations réalisées en prise de vue réelle. Rapport paradoxal entre réel et virtuel, humain et inhumain, l’antinomie apparente entre les regards et les corps prolonge l’étrange sensation du jeu des membres extractibles. L’ensemble crée une impression bizarre qui suggère finement le thème de la séparation organique, de la coupure physique et charnelle entre une jeune fille qui grandit et cherche l’amour d’un homme, et une mère qui refuse le temps qui passe et veut jalousement conserver son bébé pour elle seule.
La scène d’ouverture présente à merveille le rapport conflictuel entre les deux femmes et la question de la lutte pour la sortie de l’enfance. Sur un air de boîte à musique enfantine, la jeune fille pose un regard attendri par la fenêtre vers le jeune homme qui l’attend en bas, une paire de jambes sous le bras comme pour lui proposer de s’enfuir. Intervention autoritaire, la mère de la jeune fille interrompt brutalement la scène pour coucher son enfant, la déshabillant maternellement de ses jambes et de ses bras. Démembrée et immobilisée dans un lit à barreaux devenu bien trop petit pour elle, la jeune fille reste à l’affût de l’arrivée de son amant par la fenêtre. S’exprime dans cette scène initiale, toute la puissance castratrice d’une mère trop aimante dont le cordon ombilical tentaculaire enserre de son affection dévastatrice la liberté d’être de sa progéniture.
Dès lors on comprend que le film nous amène vers une déchirure inéluctable, une amputation et un écartèlement violent. Mais dans la nuit de « Mamembre », la maman a la dent dure et ne semble pas décidée à se laisser déposséder de son pouvoir sur sa créature. Pour cela, elle se rend en compagnie de son enfant tronc jusqu’à l’étrange boutique d’un chirurgien du mannequin, univers troublant où une dérangeante collection de membres pend du plafond alors que cuisses, mains et mollets de toutes tailles sont rangés par étagères entre des hanches et des torses tordus en d’inquiétantes formes désarticulées. Dépossédant son enfant d’encore une moitié de son corps, la mère se livre à une greffe. Heureuse comme une femme enceinte caressant son nourrisson assoupi en elle et oubliant l’horreur de son amour, elle a réintégré en son ventre la dernière partie de sa fille en en conservant que le visage. Comment échapper à ce carcan ? Comment se libérer lorsqu’on est réduit à ce point? Ultime alternative à l’émancipation guidée par l’instinct de survie, il faut tuer la mère. Se dégageant avec violence de l’emprise, au milieu des cris de douleur déchirants rappelant ceux des accouchements, la jeune fille se transforme en morsures impitoyables et dévore sa mère de l’intérieur.
Court-métrage audacieux et énigmatique qui exploite l’étrange en en assumant le côté noir, « Mamembre » fait partie de ces films insolites et dérangeants qui ne pouvait pas échapper à la sélection de Court Métrange et au Métrange du Format Court.
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