Adapté d’une nouvelle de János Szántai, « Vegtelen percek », ou « Infinite minutes », pour ceux qui ne parlent pas la langue de Cioran, nous propose d’adopter l’espace d’un instant le point de vue de plusieurs personnages tous liés à un même lieu. Déjà remarqué au Festival de Locarno en 2011, il est sans aucun doute l’un des meilleurs courts métrages proposés au Festival européen du film court de Brest cette année.
Ce film est construit comme une équation mathématique où les destins de chaque personne se nouent inéluctablement et non sans grâce. La structure du film est analogue à la figure du cercle : on entre et on sort du film exactement au même moment de l’histoire, celui où un médecin- collectionneur est en train d’admirer le tatouage d’un serpent sur un corps, formant un cercle parfait, dans une morgue. Chaque scène rejoue ce même instant et propose une version personnelle des quelques minutes écoulées. Implacablement, le puzzle prend forme et les personnages se dévoilent.
L’action débute dans la morgue d’un hôpital avec un amateur de tatouage, puis, tandis que le récit avance, nous montons d’un étage pour nous retrouver avec un chirurgien tourmenté, et de fil en aiguille, nous continuons à gravir les différents niveaux du bâtiment pour faire la connaissance d’une infirmière gourmande, d’une patiente faisant la sourde oreille et enfin d’un directeur d’hôpital libidineux, avant de redescendre inexorablement vers la fin de l’histoire et boucler la boucle.
A partir de cette métaphore, la réalisatrice Cecília Felméri tisse les fils de son histoire avec une grande minutie et un sens du détail remarquable. L’articulation des scènes et l’emboîtement des intrigues sont exécutées avec une précision d’horloger suisse. Chaque action, même anodine, fait écho à l’autre et participe à la fatalité de la situation. De petites touches d’humour grinçant viennent heureusement alléger le propos et donner ce ton particulier au film. Par exemple, lorsque chacun des personnages entre en scène dans le champ de la caméra, une petite fiche en indique une description lapidaire (nom, âge, profession et traits de caractères) dans un coin de l’écran. Aussi efficaces que des aphorismes, ces didascalies permettent en quelques secondes de donner une épaisseur et une complexité tout à fait surprenante aux personnages.
Un va-et-vient se met en place entre ces petits détails qui peuvent paraître insignifiants et la grande histoire qui en est la somme. « Vegtelen percek » est en quelque sorte une variation de l’allégorie des battement d’ailes d’un papillon qui provoque une tornade à l’autre bout du monde, en d’autres mot la « théorie du chaos ». Cecília Felméri parvient à créer un univers complexe et subtile sans compromis, en clôturant son film avec une surprenante ironie.
« Vegtelen percek » appartient à la catégorie des films qui ne s’épuisent pas au premier visionnage. Richesse des thématiques, précision de la mise en scène et maîtrise du langage cinématographique : l’ensemble du film contribue à faire coïncider le fond avec la forme. On a hâte voir le prochain film de Cecília Felméri !
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« Vegtelen percek » est projeté au Festival du film européen du film court de Brest, dans le cadre du programme européen n°7, le jeudi 15/11, à 20h et le samedi 17/11 à 10h30