Pour ceux qui s’intéressent à la diffusion des films, « Edmond était un âne » est un film d’animation qui a entamé sa carrière à Annecy où il a remporté le Prix spécial du Jury. Quelques jours plus tard, nous l’avons montré à notre séance Format Court, en présence de son auteur, Franck Dion. Depuis, le film a été l’un des cinq nominés au Cartoon d’Or, il a remporté le Prix Beaumarchais au Festival Court Métrange et il a ses chances au prochain César de l’animation. Dans les jours à venir, le film sera présenté aux festivals de Vendôme et de Bruz.
Pour ceux qui aiment les histoires, tout court, cet Edmond-là n’est pas comme les autres. C’est un être de petite taille, différent, étrange, que certains n’hésitent pas à qualifier de bizarre. Il ne prend pas l’ascenseur, il ne parle pas aux autres, il reste dans son coin. A la maison, ça se passe plutôt bien, en réalité. Edmond n’est pas une source de problèmes et son épouse est heureuse en ménage. Et au travail, aux yeux de son responsable, c’est tout simplement le meilleur élément de son service. Mais pour ses collèges, c’est lui, la bête noire du département. Toujours partants pour un bon tour, ceux-ci l’affublent un beau jour d’un bonnet d’âne. Edmond devient malgré lui la risée de tous. Loin de s’en faire, il voit dans ce couvre-chef inattendu une révélation et un apaisement. Très vite, il ne quitte plus son bonnet, devenu vital pour lui, au grand dam de son environnement conjugal et professionnel. Petit à petit, Edmond devient un phénomène de foire.
« Edmond était un âne » suit « L’inventaire fantôme » (les saisies impossibles d’un huissier auprès d’un particulier collectionnant les souvenirs dont plus personne ne veut) et « Monsieur Cok » (l’inquiétant délire d’un propriétaire d’usine obsédé par le rendement à tout prix), dans le parcours de son auteur. Même si les deux premiers films de Franck Dion sont très différents, en termes de contenu et de forme, ils cultivent un intérêt commun pour l’apparence, la folie, l’étrangeté, la noirceur, la déshumanisation, la solitude, les décors minutieux et l’importance accordée à la musique. Ces éléments se retrouvent, par filiation, dans le dernier opus de Dion. Incompris, rejeté par ses pairs, le personnage principal est extrêmement seul. Il évolue dans un monde fermé, impersonnel et froid, mais il trouve une échappatoire dans un univers avec d’autres codes, où la béatitude avoisine la folie. Sur le plan stylistique, tout comme dans les autres films, un soin particulier est apporté aux détails, au son et à la musique.
Néanmoins, il est intéressant de relever dans le dernier film la façon dont la couleur, la nature et la métamorphose font leur apparition à l’écran, aux moments précis où Edmond porte son bonnet d’âne, qu’il soit en papier journal ou en cuir. Ces plans-là comportent un vrai charme, touchant et authentique à la fois, stimulé par la musique de Pierre Caillet, le compositeur attitré de Franck Dion de film en film. Lorsque Edmond devient un âne, rejoignant ainsi le titre du film, toute la mélancolie entendue et ressentie, toute la présupposée intériorité du personnage, s’émiette pour faire place à une ouverture, à une révélation, à un abandon aussi. L’oreille capte un appel, un chant de sirène, des pépiements d’oiseau. Et à l’image, Edmond accède à la lumière et à la liberté, il se met enfin à sourire, à être lui-même, à vivre sa vie tel qu’il souhaite la vivre réellement. Ce qui est très fort dans ces moments-là, c’est que le réalisateur et son compositeur nous offrent (et c’est réellement un don de leur part) cette émotion, nous permettent de croire à cette histoire, d’avoir de l’empathie pour ce personnage, et de réaliser à quel point l’animation est réellement du cinéma.
« L’inventaire fantôme » et « Monsieur Cok » ont été et restent des premiers jets. À l’époque, ils comportaient des trouvailles intéressantes (l’air de tango et la finesse des traits des personnages, dans le premier, le côté décalé et la militarisation progressive de la société, dans l’autre), mais en les revoyant tous les deux aujourd’hui, on y voit quand même des défauts dans le scénario, dans l’animation et dans la réalisation. Il manquait peut-être à Franck Dion la confiance, les moyens, l’équipe, l’audace et l’envie d’aller au bout des choses, d’explorer complètement cette idée de folie, ce sentiment d’exclusion et de différence. Ode absolue à la tolérance, « Edmond était un âne » est le film de la maturité, celui qu’on attendait de Franck Dion depuis des années. Au-delà de ces considérations, c’est un film précieux, lumineux, bouleversant et époustouflant de maîtrise.
Article associé : l’interview de Franck Dion
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