Emma de Swaef est la co-réalisatrice du mystérieux et textile « Oh Willy… », Grand Prix du festival Silhouette et Cartoon d’Or (meilleur film d’animation européen) 2012. Avec Marc Roels, repéré il y a quelques années pour son atypique et absurde « Mompelaar », elle fait des films où il est question de marionnettes, de douceur, de fantastique et de monde parallèle. Rencontre à Malines, en Belgique, au studio Beast Animation où Emma tourne actuellement une publicité et où demeurent quelques restes de « Oh Willy… ».
Tu as étudié le cinéma documentaire puis, tu t’es tournée vers l’animation. Qu’est-ce qui t’intéressait dans le cinéma du réel et qui t’a fait, par la suite, basculer dans le cinéma d’animation ?
Le documentaire et la fiction en général m’intéressent beaucoup. Mais j’ai du mal à filmer les gens. Pendant mes études à St-Lukas, à Bruxelles, les sujets qui m’intéressaient touchaient à l’intime, ils étaient très personnels. J’avais des difficultés à filmer les visages et j’étais plutôt introvertie, j’en avais marre de pénétrer dans la vie des gens avec une caméra. À vrai dire, quand je commence à filmer quelqu’un, je deviens vite fascinée par sa personnalité, ses faiblesses. Mes envies vont très loin et je ne peux pas aller si loin avec de vraies personnes.
J’ai alors commencé à mélanger un peu les genres, à faire des interviews audio, à refaire les images en animation et ça a évolué tout doucement vers l’animation. Lors d’un travail de troisième année, « Wollen Honden », au lieu de filmer une vieille dame parlant de maltraitance conjugale, j’ai crée un personnage en laine dialoguant avec un enfant. C’était une expérimentation, c’était aussi le tout début de l’animation. Elle n’était pas géniale, ce n’était pas vraiment comme maintenant (rires) !
Pourquoi avoir choisi la laine à ce moment-là ?
Ce n’était pas vraiment un choix. J’ai toujours fait des marionnettes depuis que je suis très petite. J’étais scolarisée dans une école très catholique où la couture était très importante. C’était ce que je faisais vraiment bien, j’étais même la meilleure de la classe (rires) !
Et comment en es-tu arrivée aux marionnettes ?
On a appris à faire des poupées, à l’école, mais dans un but ludique. Je dois avoir une photo de moi, toute petite, avec ma première marionnette (rires) ! Mais ma famille s’y connait bien aussi en travaux manuels. Mon père possède une ferme avec des moutons, il utilise leur laine pour faire des tapis. C’est lui qui m’a appris à tricoter en réalité. Ma base vient de là.
La laine offre de la douceur, de la chaleur. Est-ce qu’il t’est arrivé de penser qu’elle pouvait offrir un contrepoint à la dureté des histoires que tu pouvais raconter ?
Mes documentaires ont toujours été assez durs, le travail de Marc aussi. Je ne pense pas que l’usage de la laine ait été quelque chose de très réfléchi, mais elle s’harmonise bien avec nos idées de films. C’est une bonne coïncidence.
Comment as-tu travaillé sur « Zachte planten », ton film de fin d’études ?
La technique était tellement compliquée qu’elle demandait beaucoup de travail et de temps. J’ai parfois négligé l’histoire, alors que c’était ce qui comptait avant tout. Le travail avec la laine a livré un résultat trop doux, à mon goût. Du coup, avec « Oh Willy… », on a éprouvé une sorte de libération. On a pu aller beaucoup plus loin avec l’animation, « Zachte planten » a été une transition.
Les deux films sont muets. L’absence de dialogues permet de laisser beaucoup de place à l’imagination, à la suggestion. Est-ce que tu as envie de passer à la voix au prochain film ?
Ce n’est pas facile, avec une marionnette, de trouver la bonne voix qui s’y prête, du coup, on s’est dit que c’était mieux de laisser chaque personne se l’imaginer (rires) ! Mais pour le prochain projet, on va justement passer à la voix (rires) ! Ce ne sera pas évident mais ce sera chouette aussi, car ça permettra d’aller plus loin dans l’histoire aussi.
Qu’est-ce que Marc apporte à ton travail ?
Il est très fort (rires) ! On se connaît depuis dix ans, c’est de plus en plus facile de travailler ensemble. Il est très bon en structure narrative, il connaît bien le cinéma. Il apporte ses connaissances. J’avais écrit un début de scénario autour de Willy et du naturisme et on a construit la structure ensemble. Il a donné vie aux images, et au scénario et au montage, il était également présent.
Il a plutôt fait de la fiction et de la pub. Comment s’est-il retrouvé avec des personnages d’autres dimensions, avec des plateaux fixes ?
Avant de commencer chaque jour, il y avait une montagne de travail. On commençait avec un plateau vide, on le remplissait au fur et à mesure, on installait la lumière. Tout cela pouvait durer toute une journée. Le côté spontané du tournage disparaissait, c’était un peu dur pour lui, mais maintenant, je pense qu’il a fort envie de continuer, de faire d’autres films d’animation parce que cela lui offre la liberté de créer un univers totalement fictif. Marc a étudié l’animation au KASK, à Gand, c’est quelque chose qui lui va très bien, au même titre que la fiction. Même quand tu regardes « Mompelaar », tu y trouves un peu d’animation, dans la façon dont bougent les acteurs. Ils sont dirigés mais leurs mouvements ne semblent pas très naturels.
Est-ce que tu as vu travailler Marc sur « Mompelaar » ?
Oui, j’étais aussi sur le plateau. Le film a été tourné en partie chez mes grands-parents, dans leur living et leur cuisine. Je collais chaque matin des bouts de faux poils sur la tête de l’acteur principal, pour lui donner un air mal soigné ! Voilà ma tâche sur le film !
Tu me disais, en me montrant les lieux, que tu avais passé beaucoup de temps aux abords du plateau…
Des fois, le soir, on restait dormir au studio parce qu’on habitait trop loin. On était à deux, tous seuls, bien fatigués. J’allais voir mes décors, surtout les intérieurs. Parfois, on remplaçait les murs, on ouvrait la toute petite porte et on regardait à l’intérieur, comme dans une maison de poupées (rires) ! J’étais contente de voir mes marionnettes, d’avoir créé ce petit monde bien sécurisé et doux. Aujourd’hui, le yéti est sur notre sofa, à la maison ! Quand j’ouvre les yeux, la première chose que je vois, c’est lui, je suis contente ! Dès fois, on lui parle, il fait partie de notre petite famille ! On lui a attribué une personnalité.
C’est vrai ? Comment s’appelle-t-il ?
Yéti. Pour nous, il s’appelle Yéti. Du coup, quand on reçoit des visiteurs, on leur dit : « Désolés, le canapé est déjà pris (rires) !
Les autres poupées sont aussi chez vous ?
Willy, lui, est sur la cheminée, mais il voyage beaucoup, car je l’emmène en festival !
Dans « Oh Willy… », le souffle occupe beaucoup l’espace…
Le son est souvent négligé dans les films, je trouve. Notre preneur de son travaille en général sur des documentaires. Je lui ai demandé avant que le film commence d’aller chercher des sons dans des grands espaces, dans des champs par exemple. Après, on a ajouté les effets et la musique. Ce son assez réaliste m’a beaucoup aidé à l’intérieur de ce décor artificiel, ça a crédibilisé notre travail. On avait déjà travaillé de cette façon avec « Zachte planten ». Du coup, les deux films sont très silencieux. J’ai remarqué ça au Cartoon d’Or, à Toulouse. Le son du premier film, « Zing », était très hollywoodien, celui du deuxième était très bas, c’était le nôtre, et après, c’était celui de « Tram », très enjoué. J’ai vraiment senti la différence. C’était très dur pour nous de regarder le film, en général, on s’enfuit, on sort de la salle, mais là, on ne pouvait pas (rires) !
On sent une vraie évolution dans le développement des marionnettes d’un film à l’autre. Dans ton film de fin d’études, les yeux étaient en tissu, la bouche ne tenait qu’à un fil, les membres étaient mous et dans « Oh Willy… », le regard devient plus expressif, les formes prennent corps…
Pour moi, c’est comme si tu passais du flou au net, avec une autre lentille. Maintenant, on voit ce que je voulais faire. J’espérais à l’époque faire quelque chose de stylisé, mais avec 500 euros et en étant très seule, tu es forcément limitée. Le film s’est fait dans le grenier de la mère de Marc. J’ai tout construit, tout animé, on était qu’à deux, on avait très peu de lumière. Les armatures ne se concrétisaient qu’en quelques fils d’aluminium placés dans une marionnette.
On a fait « Oh Willy… » avec 4 boîtes différentes, parce qu’un film en stop motion est bien plus cher qu’un film d’animation normal et surtout un film de fiction. On avait un budget, une équipe, des gens en France aussi. Heureusement que le premier film a donné l’envie de financer le deuxième. En même temps, ce n’était pas facile de trouver de l’argent. Tu imagines un scénario pareil arriver au CNC (rires) ! Les membres des commissions ont fort hésité à valider un projet tellement bizarre, mais ils devaient être curieux et se demander ce que donnerait ce truc tellement bizarre, car c’est cette curiosité qui nous a sauvés (rires) !
Dans « Oh Willy… », une forme d’émotion se transmet au fur et à mesure, et de différentes manières, par la musique, la lumière, l’atmosphère, les personnages, la texture, etc. Véhiculer l’émotion, cela vous tient à cœur ?
Oui, on a essayé de la faire passer de différentes manières. On a beaucoup travaillé sur l’expressivité des yeux, par exemple. Suzie Templeton, la réalisatrice de « Pierre et le loup » a été mon mentor. Elle m’a un peu aidé sur le scénario, comme elle s’intéresse de près à l’expressivité, elle m’a beaucoup fait réfléchir sur cela. Faire passer l’émotion par les couleurs, les atmosphères, la lumière surtout, nous importait également. C’était gai de pouvoir créer son propre monde. On a consacré énormément de temps aux installations, parce qu’on n’était content qu’au moment où il y avait une certaine émotion dans l’image.
Que peux-tu me dire sur votre prochain projet ?
Il se passera en Afrique, à l’époque coloniale, en 1900. C’est une histoire en vignettes, avec des personnages qui se croisent. « Zachte planten », « Mompelaar », « Oh Willy… » ont des structures similaires. On a envie d’en tenter une autre. On est en plein dans l’écriture et dans le développement des personnages. On espère finir le story-board en novembre. Un des personnages s’appellera même Willy (rires) !
Qu’est-ce qui te plaît, finalement, en fiction et en animation ?
Dans « La double vie de Véronique » de Kieslowki, il y a un petit passage qui se déroule dans un théâtre de marionnettes. Ca m’a fort influencée, je l’ai vu très jeune. C’est une des raisons, je crois, pour lesquelles j’anime des marionnettes. J’aime aussi beaucoup le travail de Suzie et celui d’Igor Kovalyov, pour son sens de l’animation et du rythme. On a montré un de ses films, « Milch », à tous nos animateurs, avant de commencer « Oh Willy… ».
Le cinéma t’importe beaucoup, on dirait…
Oui, je suis d’ailleurs contente que le film ait gagné un prix à Silhouette. Ce n’est pas un festival d’animation, mais un festival normal et les animations ne gagnent pas souvent des prix dans ces lieux-là. Quand ça arrive, on a l’impression que les films sont égaux alors que souvent, l’animation est le petit frère de la fiction. Avec Marc, nous avons voulu faire un film, avant tout.
Propos recueillis par Katia Bayer
Article associé : la critique de « Oh Willy… »
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Le site d’Emma de Swaef : www.emmadeswaef.be