Le film commence et finit dans une baignoire. D’ailleurs, tout le film ou presque se situe dans cet espace, si bien qu’on en ressort avec la peau des doigts toute fripée. L’ambiance y est d’autant plus moite qu’une brume vaporeuse demeure du début à la fin, comme si nous étions dans un hammam (ou le ventre d’une femme), auquel se greffe un degré de sensualité et de chaleur gratifié par la musique folk du duo Lilt.
Étonnement, lorsque « Les poissons préfèrent l’eau du bain » se termine, nous sommes persuadés qu’il a été mis en scène par une femme tant le propos est cru et engagé en faveur des dames. Pierre Mazingarbe, le réalisateur sélectionné cette année à Aubagne, semble d’ailleurs habitué à ce type de remarques et ne s’en vexe pas, conscient que sa patte est volontiers féminine au même titre que ses thèmes fétiches, il se dit d’ailleurs féministe.
Son pari était osé : son film traite de l’avortement, non pas sur un ton austère comme on peut avoir l’habitude de voir, mais plutôt sur un ton satirique. Trois jeunes filles, aussi blondes que les blés et d’une fausse candeur, s’amusent ouvertement autour de la grossesse et de l’avortement, à l’aide d’un jeu de dés et de cartes, lequel fait étrangement penser à celui du film Jumanji de Joe Johnston. Le décor lui aussi, est directement sorti d’un film féérique, entre un monde d’enfants et d’adultes, à la croisée d’un Jean-Pierre Jeunet et d’un Tim Burton.
Pierre Mazingarbe nous conte une histoire entre rêve et réalité dans laquelle, Fleur, Bérénice et Sarah se jouent du sort du bébé qui est dans leur ventre tel un simple poisson. Il emploie pour cela un ton volontairement léger de la même manière que les comédiennes adoptent un jeu très théâtral permettant d’apparaître frivoles plutôt que réellement vulgaires. On est donc bercé entre les scènes complètement oniriques dans l’eau du bain où les trois blondes débattent en s’amusant de leur grossesse et celles, plus terre à terre, dans un milieu hospitalier où les jeunes femmes sont confrontées à un choix : l’avortement ou pas, et surtout, à quel prix ?
Face à cela, on hésite à rire – jaune – ou au contraire, à s’offusquer de la manière si désinvolte dont le réalisateur aborde la question de l’avortement, mais puisque Pierre Mazingarbe assume totalement ce parti pris, on se laisse aisément emporter dans son univers un peu barré et fantasmé. Il faut dire que le Monsieur, du haut de ses 24 ans à peine, entretient l’art du détail : des effets magiques du téléphone dans la baignoire, aux aiguilles d’horloge qui tournent vite, si vite, la boîte de sardines dans laquelle sont rangés les tests de grossesse, en passant par les individus transportant leur cordon ombilical, .… Tout laisse à imaginer que le jeune homme est effectivement perfectionniste. Et lorsqu’on sait qu’il est à cheval entre la fin de ses études aux Arts Décoratifs et sa première année au Fresnoy, on comprend peut-être un peu mieux son goût pour l’esthétique allié au travail du scénario.
Article associé : l’interview de Pierre Mazingarbe, de Camille Hardouin et Aude Wyart