Isabella Rossellini était déjà l’incarnation sublime des rêves barrés de David Lynch dans « Blue Velvet » et « Sailor et Lula ». Elle a tout naturellement été accueillie chez Maddin comme une amie longuement attendue et fantasmée, comme une muse à sa hauteur. C’est en 2003 avec « The Saddest Music in the World » que Maddin franchit le pas et fait de Rossellini une patronne de brasserie amputée des deux jambes dont les prothèses sont remplies de bière. Leur collaboration n’a depuis jamais cessé, Rossellini se retrouvant à nouveau cette année au cœur du dernier-né du cinéaste canadien, « Ulysse souviens-toi ! » (« Keyhole » en VO) encore à l’affiche de quelques bonnes salles obscures.
« My Dad is 100 Years Old » est un film de Guy Maddin certes, mais a été écrit par Isabella elle-même. Si la forme est purement madinnienne le récit, très narratif, mélancolique voire pédagogique a tout de son actrice légendaire. Le film est un hommage au père d’Isabella, Roberto, né 100 ans plus tôt (nous sommes alors en 2005). Comme dans « Des trous dans la tête », Rossellini est la narratrice du film. Le charme désarmant du film doit d’ailleurs beaucoup à sa voix inimitable et irrésistible faite d’un anglais teinté d’un fort accent italien.
Ce principe de narration sera également repris plus tard en 2008 dans la désormais fameuse série des « Green Porno » sur Sundance Channel où Isabella nous disait tout de la vie sexuelle des insectes et autres animaux à la libido débridée. Dans « My Dad is 100 Years Old », elle affirme d’ailleurs que son père aurait pu être un hippocampe s’il avait été un animal car « c’est le mâle qui tombe enceinte ». Petite, Isabella pensait en effet que son papa était « enceinte », à cause de son ventre si gros. C’est ce ventre « énorme, doux, rond, chaud, câlin » qui est au centre du film et qui représente le réalisateur italien. Autour de ce corps créateur et nu, viennent dialoguer de grandes figures du cinéma qui ont connu Rossellini père. Alfred Hitchcock, Federico Fellini, Charlie Chaplin et le producteur David O.Selznic font ainsi leur apparition fantomatique, et c’est Isabella qui les incarne tous. Elle excelle dans le travestissement, imitant jusqu’aux accents de chacun. Ils débattent sur le rôle du cinéma opposant le divertissement (Hitchcock) à la vérité et au savoir (Rossellini). C’est l’occasion de brillantes saillies où Hitchcock suggère à Rossellini qu’il aurait dû être un prête plutôt qu’un réalisateur, ce à quoi l’intéressé rétorque que le maître du suspense aurait été plus à sa place comme magicien.
Bien sûr, c’est l’apparition d’Ingrid Bergman drapée de blanc sur un écran de cinéma qui vient réveiller en nous une émotion assez inédite, Isabella Rossellini ressemblant traits pour traits à sa mère, son interprétation ramène à la vie une autre actrice légendaire. Plus que troublant, ce face à face entre la mère et la fille atteint des sommets de poésie. C’est à l’évidence le plus beau moment du film. Isabella revient sur la rencontre de ses parents et Bergman évoque Anna Magnani de façon très touchante alors que Rossellini a quitté cette dernière pour elle. L’occasion également de rétablir quelques vérités sur ce couple qui avait scandalisé les bien-pensants. « Certains disent que tu as détruit sa carrière » dit Isabella à sa mère. « Non, c’est moi qui ai détruit la sienne » confesse Bergman.
Roberto Rossellini meurt le 3 juin 1977. Profondément marquée par cette perte, comme mesure de l’impact la disparition de son père sur sa vie. Son calendrier à elle se divise entre « avant le 3 juin 1977 et après le 3 juin 1977 ». Elle clôt son film par ces mots, simplement sincères, à destination de son père : « Je ne sais pas si tu es un génie mais je t’aime ».
Dommage que l’on ne trouve pas le DVD de « The funeral »(« Nos funérailles »)
d’Abel Ferrara,chef d’oeuvre au casting hallucinant(Christopher Walken,Vincent Gallo et Benicio Del Toro) dans lequel Isabella Rossellini est particulièrement émouvante.Depuis,elle est culte chez les cinéphiles argentins de Buenos Aires.
Il serait souhaitable que cette actrice rare trouve,en France,des cinéastes à la hauteur de son talent (Claire Denis,Bruno Dumont,Philippe Grandrieux,etc.).
Qu’en sera-t-il du film de Carine Tardieu « Du vent dans mes mollets »?