Après le très remarqué « When the days breaks », court métrage multiprimé, nous retrouvons avec plaisir le dernier film d’Amanda Forbis et de Wendy Tilby, « Wild Life », nominé aux Oscars et sélectionné en compétition internationale à Anima cette année. Les deux réalisatrices qui nous amènent à suivre la trajectoire d’un jeune immigré anglais, parti découvrir les vastes prairies d’Alberta, au Canada en 1909. Mais son amour du badminton, du thé et son flegme naturel perdront ce gentleman.
Parti pour devenir rancher et se lancer dans l’élevage de bétail, il découvre que rien dans son éducation raffinée ne l’avait préparé aux difficiles conditions de vie du Nouveau Monde. Le court métrage met cette trajectoire en perspective, avec des jeux et entrelacs narratifs. Plusieurs procédés nous permettent de saisir le décalage entre la « vie sauvage », rêve romantique d’un jeune anglais, et la réalité d’une vie au Canada. Mais, et il faut le souligner, jamais cela n’entame la fraicheur du court métrage, ni la fluidité d’une narration à l’esprit délicieusement ironique.
L’animation devient une enquête sur le terrain mêlant des témoignages moitié amusés, moitié inquiets des autochtones ayant fréquenté le gentleman, et la relecture des lettres laissées par le rancher. Les « locaux » commentent brièvement son désintérêt pour la religion, pour le travail et nous dressent le portrait d’un doux rêveur, avec une vision romantique de ce que peut être la vie d’un cow-boy. Ainsi, le film emprunte allègrement aux codes du western, définition universelle du grand ouest américain, avec ses vastes étendues désertes et ses chemins de fer.
Si au premier abord, on s’amuse du décalage entre les lettres romanesques qu’il envoie à ses parents et la réalité de sa situation, on ressent vite un certain malaise, une empathie avec ce personnage qui dit avoir acquis un «ranch» là où il n’y a, en fait, qu’une petite cabane au milieu d’un champ. On le voit flâner, plus occuper à regarder les oiseaux et méditer sur le sens de la vie que de se mettre effectivement au travail. Peu à peu, cet entêtement dans le mensonge d’une vie qui ne lui correspond pas lui fait perdre pied; on le voit errant, démuni face à la réalité de sa situation, face à son isolement. Les lettres deviennent alors le seul lien avec une société et, en même temps, le reflet de ce qu’aurait dû être sa «vie sauvage». Car c’est une des caractéristiques appréciables de l’imagination romantique de toujours entraîner le rêveur au-delà de la réalité.
Une autre des mises en perspective utilisées dans la narration est l’utilisation de textes, apparaissant à plusieurs reprises, pour commenter la trajectoire d’une comète, « amas de glace et de poussière, qui n’est pas parvenu à s’intégrer à une planète ». Le parallèle est ainsi créé dès la première image, et c’est bien de cela qu’il s’agit; de la collision entre un esprit cultivé mais détaché de la réalité matérielle, et la « vie sauvage » canadienne. Cela on le comprend vite en voyant le décalage entre les autochtones et le jeune rêveur. En voyant sa « cabane » noyée sous la pluie, la neige, on comprend aussi que la nature n’est ni romantique, ni clémente mais bien au contraire rude et sans pitié.
En intégrant des répliques de photos d’époques, de chansons traditionnelles, « Wild Life » dépasse le récit d’une trajectoire individuelle devient le reflet d’un phénomène de l’époque. Sur les photos jaunies, on voit les visages de ces conquérants d’un «Nouveau Monde» imaginaire, qui connaitront, eux aussi sûrement, les affres du mal du pays. Le contraste entre civilisation et espace sauvage est ainsi constamment présent; les plans du film se répondent : immensité des champs / tasse de thé, ou lorsque le héros joue du golf sur un pâturage criblé de terriers. Autant de détails loin d’être anodins… Finalement, comme la comète, le «rancher» ne peut s’intégrer à son environnement et restera définitivement dans la marge, jusqu’à sa mort, issue certaine de ce changement de vie, radical et dangereux.
Pauline Gardavaud