En 2010, le Centre Pompidou a eu la judicieuse idée d’envoyer des artistes français en Inde en leur donnant carte blanche pour revenir avec leur vision forcément singulière de ce gigantesque pays, finalement encore assez méconnu par l’Occident. Les œuvres réalisées ont donné lieu à une exposition – couronnée de succès – baptisée Paris-Delhi-Bombay à Beaubourg au printemps 2011.
Camille Henrot, jeune artiste protéiforme, a fait le voyage – son premier en Inde – et a imaginé un film comme un tunnel souterrain entre l’Orient et l’Occident. Il a été présenté en mai à la Quinzaine des Réalisateurs, en juillet à Paris Cinéma et le voici arrivé au labo de Clermont. Car oui, il s’agit bien d’un film dit « expérimental », de ce terme un peu vague dont on retiendra surtout l’expérience du spectateur face à cette œuvre courte, tendue et fiévreuse. Rythmé par la musique sur mesure de Joakim, c’est le genre de film qui vous hypnotise et ne vous lâche pas.
Le choix qu’à fait la cinéaste pour raconter son Inde a été de partir de ses propres idées reçues et de la sensation de peur et d’étrangeté que lui inspirait ce territoire construit sur un imaginaire tout particulier, celui de la traditionnelle opposition Orient /Occident. Pourtant, le film aborde le sujet par le biais de ce qui rapproche ces deux cercles si différents en apparence.
A travers le motif du serpent, propre aux deux cultures, Camille Henrot tisse habilement un lien entre l’Inde et l’Europe. A la fois symbole prophylactique et danger réel, l’animal est ici montré sous toutes ses formes, réelles et (ré)inventées. Du serpent du « Livre de la jungle » à celui accroché à la croix du pharmacien en passant par ses multiples représentations dans la peinture ou la sculpture, il apparait comme omniprésent, incarnant à la fois la mort et la survie. Outre la musique, le film tire également sa force de fascination d’un montage d’images très efficace -qui joue quasiment sur un effet de persistance rétinienne- les unes venant se superposer aux suivantes, accumulation de symboles religieux, médicaux ou simplement sauvages qui forment un tout étrange et cohérent. L’image d’un homme sortant la tête d’une tombe qu’il était en train de creuser achève le sort qui nous est jeté.
Dans « Le songe de Poliphile » rédigé en 1467, Poliphile s’endort au pied d’un arbre au cœur d’une forêt obscure et se retrouve transporté en songe dans un monde merveilleux, jonché de débris antiques et où il rencontre monstres, déesses, allégories et faunes. Camille Henrot aurait pu être une Poliphile du 21e siècle tant son rêve filmé nous emporte avec elle.