Seuls deux documentaires étaient cette année en lice au festival de Clermont-Ferrand dans la compétition nationale. Les deux films peuvent être appréhendés ensemble, mis en parallèle tant ils se font parfois écho. Heureux hasard de la programmation ? Cette année, l’attention portée aux films autour de la Méditerranée, du Maghreb et de l’identité arabe semble s’être accrue à en juger la programmation internationale (« Demain, Alger ? »/Algérie, « Al Hesab »/Egypte, « Vivre »/Tunisie, …). Les événements de l’année passée ont sans doute contribué à cette effervescence. En tout cas, si les deux documentaires, « Le Ciel en Bataille » de Rachid B. et « Méditerranées » d’Olivier Py n’évoquent aucunement le Printemps arabe, l’identité, qu’elle soit pied noir ou maghrébine se trouve au centre de leurs réflexions.
La vie en sépia
De prime abord, les deux documentaires semblent partager une esthétique commune : ils puisent la matière filmique dans les archives familiales. Leur format Super 8 et les photos noir et blanc placent tout de suite le spectateur dans un climat de nostalgie : les deux réalisateurs confrontent leur histoire intime (l’infiniment petit) à la Grande Histoire (l’infiniment grand). C’est surtout le cas pour Olivier Py qui se sert des images de ses parents pour mieux décrire l’absurdité de la guerre d’Algérie, qui se passe hors cadre. La forme du film autobiographique unit donc les deux œuvres. Le récit à la première personne est empreint d’un certain lyrisme dans « Le Ciel en Bataille » , tandis que la voix d’Olivier Py se fait plus distanciée, plus critique dans « Méditerranées ». D’une façon quelque peu convenue, il joue sur les mots « mer » et « mère », insistant sur leur fécondité, leur inconstance, leur rôle de trait d’union entre deux continents et deux identités. Le moment clé du film réside peut-être dans cette confrontation entre les images tournées par les parents et celles prises en charge par l’œil du réalisateur lui-même (alors adolescent), qui filme, selon ses dires, « la fin d’un amour » conjugal. Spectateur du film, il devient également le témoin passif d’un passé douloureux.
La douleur en héritage
Rachid B. filme, lui aussi, la mer et parle de ses parents. Dans les deux cas, les films ne sont pas là pour sceller un pacte de réconciliation avec le cercle familial. Au contraire, ils posent tous deux la question d’une faille transmise inconsciemment aux enfants, alors héritiers d’une dérive identitaire (Rachid B. évoque son homosexualité et son rapport aux religions catholique et musulmane, dans lesquelles, semble-t-il, il tente de trouver une justification morale). La métaphore de la mer purificatrice, qui absout, dans le cas du « Ciel en Bataille », est très présente dans l’écriture des deux réalisateurs. A la voix d’Olivier Py qui dit que « la mer lave les plaies et les taches du monde », répond ce long plan d’ouverture (presque une minute) du « Ciel en Bataille », dans lequel une main flotte dans le ciel et s’avance vers les vagues. Chacun à sa manière s’interroge sur ce qui fonde son identité : Olivier Py fait part de ses origines pied noir, Rachid B. évoque ses difficultés à assumer ce qu’il est devant ses parents. Il raconte brièvement une de ses entrevues avec un imam qui l’éloigne un peu plus de la vérité (le religieux pointe – sans surprise – l’immoralité de l’homosexualité). Il invente également un dialogue imaginaire qu’il aurait pu avoir avec son père, mourant au moment du film.
Dans les deux cas, il semblerait que la voix-off ait une vocation cathartique : le fait de « formuler », de « raconter » dans le cas de Rachid B. est une compensation, un exutoire. Il prend le parti de ne pas montrer ses parents, de ne pas les faire parler, tandis que le film ne cesse de tourner autour du silence pesant installé entre ses proches et lui. Aux images assez dures et au son agressif, répondent des séquences organiques montrant la forêt et les arbres. Cette immersion inattendue dans la nature a pour effet de transformer le film en conte.
Les coulisses de l’Histoire
Le film de Py est construit autour du hors cadre. D’une manière très démonstrative, il montre que la vraie histoire (la guerre d’Algérie), le vrai nœud du film se trouve ailleurs, loin des images heureuses de ses parents, décrits comme insouciants et extérieurs aux remous de l’histoire. La voix-off signale à propos de la mère : « elle voit tout ça mais elle ne le donne pas à la caméra ». Py utilise une bonne vieille astuce du cinéma qui consiste à exposer sans montrer, à cacher la clé, la vérité. La guerre est en coulisses, et le réalisateur décide de prendre le contrepied des films faits sur le sujet. Les archives n’évoquent aucunement la violence et les massacres mais un envers du décor presque indécent tant il paraît lumineux.
Une phrase de Py pourrait également résumer la démarche de Rachid B. : « Est-ce que notre histoire à tous n’est pas de chercher nos origines ? ». La question est évidemment intéressante et centrale à l’heure du refroidissement gouvernemental sur la question de l’immigration (la faute à…Guéant), mais faut-il toujours évoquer cette problématique par le biais d’un récit autobiographique ? Rien n’est moins sûr tant cette vision du cinéma paraît éculée…
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