À la table des convives privilégiés du Festival Anima cette année, nous retrouvons le plus castillan des pays de la péninsule ibérique. L’Espagne s’offre une jolie mise en valeur avec deux programmes de courts métrages, des avant-premières de longs, un focus sur Sam Orti, l’un des maîtres de la pâte à modeler et une rétrospective consacrée au pionnier de l’animation espagnole, Segundo de Chomón.
On constate que dès les premiers temps, le cinéma espagnol montre un certain penchant pour le morbide, l’obscur et le ténébreux. De « Satan s’amuse » (de Chomón, 1907) à « Los Otros » (Amenábar, 2001), « Le Labyrinthe de Pan » (del Toro, 2006) en passant par « Un Chien andalou » (Buñuel, 1929), une grande partie des cinéastes espagnols se nourrit des peurs et des fantasmes collectifs pour créer des histoires dont l’intrigue évolue aux frontières du réel. L’animation contemporaine semble être marquée du même sceau car à y regarder de plus près, il se dégage de la sélection “Cortos de España”, une odeur de soufre, un parfum d’angoisse funéraire où la mort et ses nombreuses allégories s’abreuvent du surréalisme fantastique que l’on retrouve dans les peintures de Goya et de Dalí notamment.
“This is the end”
Les thèmes de l’angoisse, de la déliquescence, de la désillusion et du désenchantement se conjuguent à tous les temps du passé et du présent pour signaler les dangers qui pèsent sur un futur incertain. Les héros des films sont souvent représentés comme des individus perdus, seuls face à une fin véloce et pernicieuse.
Dans “Birdboy” qui est une adaptation de la B.D “Psiconautas” de Alberto Vázquez, Pedro Rivero et Alberto Vázquez dénoncent les abus d’une industrialisation effrénée menant à la destruction de la planète. La petite souris Dinki se rend à l’école avec son papa chéri. Sur le chemin, elle croise son compagnon de classe Birdboy, un hibou qui essaye de voler mais en vain. Quand survient une terrible explosion qui ravage toute l’île, Dinki n’a plus que Birdboy et ses ailes pour la sauver. Ayant recours à un graphisme stylisé: après la catastrophe, les visages des personnages tels ceux parsemant les peintures de Munch sont pareils à des fantômes arborant d’immenses trous à la place des yeux, et jouant sur les contrastes de couleurs chaudes et froides, de la simplicité naïve du début et de la cruelle dureté de la suite, Rivero et Vázquez signent une animation fascinante et glaçante. Un conte apocalyptique (l’envol de Birdboy vers un soleil couchant rappelle l’affiche du film de Coppola) qui ne laisse pas indifférent.
L’angoissant « Les Bessones del Carrer de Ponent » plonge dans les profondeurs du mal. En s’inspirant de la vie de Enriqueta Martí (1868-1913), célèbre tueuse d’enfants du début du siècle dernier, à Barcelone, Marc Riba et Anna Solanas ne s’y sont pas trompés. D’un fait-divers diabolique, ils livrent un film d’animation terrible et fantastique. La jeune femme désaxée se convertit en un couple de vieilles sœurs jumelles castratrices (Enriqueta et Ramoneta) qui enlèvent des enfants pour les manger. Les poupées de bois sont animées grâce à la technique de l’animation en volume. Métaphore cruelle de la fin de l’enfance ou de la fin d’un monde rêvé, le film opère des incursions dans la psychologie freudienne en ajoutant un peu de piment saphique dans la relation qui unit les marâtres.
Kafka dans le coin
Sur un fond bleu Klein et des accords de violon, les mains squelettiques de Janus Harper se confessent sur le clavier de son ordinateur. Depuis un certain temps, la “chose” est apparue en haut, dans le coin de son appartement. Il a beau en parler aux autres et s’en plaindre, il semble être le seul à apercevoir le cyclope octopode qui le suit partout (même chez son psy). « La Cosa de la Esquina » de Zoe Berriatúa revisite avec élégance le thème de l’étrangeté cher aux écrivains du 19ème siècle. À la différence de la “Métamorphose”, le héros ne se transforme pas en “la chose” mais est condamné à vivre avec. Du chef d’œuvre kafkaïen, on retrouve la mise en relief de l’angoisse existentielle. Narré à la première personne dans la langue de Shakespeare, ce court métrage est d’une charmante clairvoyance.
Chronique d’une mort souhaitée
« La Dama y la Muerte » est un phénomène en son genre : premier film d’animation réalisé en 3D stéréoscopique en Espagne et détenteur en 2010 du Goya du meilleur film d’animation ainsi que d’une nomination aux Oscars la même année. Le court métrage de Javier Recio Gracia, produit par Kandor Moon, la société de production andalouse d’Antonio Banderas, a fait beaucoup de bruit à sa sortie. Le film parle de la mort ou plutôt du droit à mourir dignement. Loin d’être en faveur de l’euthanasie, il dénonce davantage l’acharnement thérapeutique pratiqué par certains hôpitaux et certains médecins sous le couvert d’une prétendue éthique. Ainsi, dans un lieu d’Andalousie dont on n’ignore le nom, un moulin à vent accompagne les notes du langoureux “We’ll Meet Again” de Vera Lynn, berçant une vieille dame attendant la mort, espérant rejoindre son défunt mari. Et quand sonne sa dernière heure, c’est avec joie et soulagement qu’elle accueille la grande faucheuse. Au même moment, un fringant praticien et sa horde d’infirmières complaisantes tente de retenir l’ancêtre utilisant tous les moyens possibles et imaginables. La fin ne justifie-t-elle pas les moyens? S’ensuit alors une course-poursuite (digne des classiques du 7ème art) entre la Mort et le personnel hospitalier se disputant le corps inanimé de la patiente. Recio va jusqu’à reprendre la célèbre scène du landau du “Cuirassé Potemkine” d’Eisenstein (elle-même reprise par De Palma dans “Les Incorruptibles”). A la place du landau, la chaise roulante de la “Dame”. Traité avec beaucoup d’humour et de rythme, « La Dama y la Muerte » fait l’effet d’un rayon de soleil dans cette jolie brumaille hispanique.
Consultez les fiches techniques de « Birdboy », « Les Bessones del carrer de Ponent », « La Dama y la muerte« , « La Cosa de la esquina«