Le cru 2012 de la 34e édition du Festival International de Clermont-Ferrand a un goût de Kazak. Lauréat du Prix Procirep 2011 du meilleur producteur, Kazak Productions s’est vu en effet offrir une carte blanche lors du plus grand festival de court métrages. À l’image de leur « ligne éditoriale » qui se veut contemporaine, hétéroclite et osée voire radicale, ils nous proposent ici une sélection diversifiée et tranchée.
L’occasion de voir ou de revoir entre autres, des films comme : « Impaled » du provoquant Larry Clark (2006 – 38’) qui nous propose un casting de jeunes hommes pour un rôle d’acteur porno ; la première version de Tomboy en plus dérangeante, « Même pas mort » de Claudine Natkin (2006 – 15’ – Kazak Productions), « Moonlight Lover » de Guilhem Amesland (2010 – 27’ – Caïmans Productions) avec le fameux Vincent Macaigne ; le génialissime « Junior » de Julia Ducournau ou comment faire de la puberté un évènement fantastique (2011 – 21’30’’ – Kazak Productions), le film d’animation sur-primé « La Saint-Festin » de Léo Marchand et Anne-Laure Daffis (2007 – 15’40’’ – Lardux Films) ; ou encore le film barré « Dans leur peau » d’Arnaud Malherbe (2007 – 22’ – R !Stone Productions).
Pas moins de trois films produits par Jean-Christophe Reymond et toute son équipe de chez Kazak Productions sont également en compétition dans la sélection nationale. Entre le 27 janvier et le 3 février, on aura donc l’opportunité de voir le dénonciateur « Parmi nous » de Clément Cogitore, le décalé « Double mixte » de Vincent Mariette et le très attendu « Ce qu’il restera de nous » de Vincent Macaigne qui passe pour la première fois derrière la caméra.
« Parmi nous » de Clément Cogitore
Le pitch du film annonce ceci : Amin, jeune clandestin, vient de rejoindre un campement dans la forêt. Chaque nuit est l’occasion de tenter de gagner la zone portuaire et d’embarquer sous les camions. À la lecture de ces quelques lignes, on pense encore avoir affaire à un film avec pour thème les clandestins et leur – triste – destin. Mais si on se penche un peu plus sur le cas Cogitore en association avec l’énergie de Kazak Productions, on devine déjà que ce film-là sera à part.
Effectivement, « Parmi nous » offre une vision très contemporaine des états d’âme d’un jeune clandestin : celle de sa confrontation avec les jeunes d’une rave party ayant lieu dans la même forêt que là où il se réfugie. La découverte de la musique techno, avec l’état de transe qui va avec, transforme notre héros qui devient alors un de plus parmi eux, parmi nous et ce, quelles que soient ses origines. On se retrouve donc face à une introduction plutôt classique, voire déjà vue, avec le débarquement de nouveaux clandestins dans un campement au cœur d’une forêt. Le film prend ensuite une toute autre allure, caractéristique assez typique des films qu’on voit sortir de chez Kazak Productions, en entraînant le spectateur là où il ne s’y attend pas.
Lorsqu’on dit que « Parmi nous » est un ovni, c’est que la patte de Clément Cogitore y est aussi et surtout pour quelque chose. Ce jeune réalisateur de moins de 30 ans en est déjà à son quatrième film et c’est sans parler des multiples installations, travaux vidéo et expositions photos qu’il a également réalisés. Lorsqu’on sait qu’il a étudié aux Arts Déco et qu’il sort du Fresnoy avec qui plus est, la participation à plusieurs résidences d’artistes, on comprend mieux son souci de l’esthétique qui ressort de ce court-métrage. Malgré une image très – trop – sombre, quelque peu floue de temps à autre et une caméra qui bouge continuellement, on est transporté à l’intérieur même de la trame, jusqu’à resentir l’humidité de cette forêt.
Clément Cogitore est non seulement à cheval entre l’Art vidéo et un cinéma plus dramaturgique, il l’est aussi entre la fiction et le documentaire, avec lui, les frontières n’existent pas. Il en va de même pour les personnages de ce film pour lesquels il n’y a plus de limites, si ce n’est celles de la survie. Si bien que durant 30 minutes, on tremble, on danse et on pleure à l’écoute d’un des clandestins arrêtés criant son invulnérabilité et face à cette image finale qu’on vous laisse découvrir.
« Ce qu’il restera de nous » de Vincent Macaigne
Au départ, on a appris à retenir le nom de Vincent Macaigne en tant que comédien. Très présent certes sur les planches, on l’a aussi vu dans de nombreux films, dont « Un monde sans femmes » de Guillaume Brac, moyen-métrage ultra sélectionné, sur-primé et récemment nominé aux Césars. On en garde l’image d’un type au physique opposé à celui du beau gosse, souvent dans des rôles de paumé ou de défaitiste, mais absolument inoubliable tant il en impose. Il sait en effet nous faire passer du rire aux larmes en un rien de temps et toutes ses interprétations sont remarquables. Si bien que lorsqu’on apprend que Vincent Macaigne passe derrière la caméra, on est bien sûr curieux du résultat, même si son expérience mise en scène, au théâtre, a forcément joué au niveau de la direction d’acteurs dans ce film.
« Ce qu’il restera de nous » raconte la confrontation explosive de deux frères suite à la mort de leur père. Pendant 40 minutes, nous avons donc affaire à un trio de comédiens en confrontation hystérique : les deux frères et l’épouse de l’un d’eux, interprétée par la génialissime Laure Calamy. Il y a très peu de décors (les bords de la Loire, une maison familiale, une voiture), très peu d’effets de réalisation, mais plutôt une volonté de simplicité de manière à ce que les comédiens à eux seuls puissent occuper tout l’espace et concentrer toute notre attention sur ce qu’ils se balancent à la figure.
Ce film est avant tout une histoire de rencontre : celle des trois personnages qui finalement ne se sont jamais vraiment parlés, celle de Jean-Christophe Reymond qui s’est s’embarqué avec Vincent Macaigne pour réaliser un film sans moyens et celle de ce dernier avec le cinéma en tant que réalisateur. On imagine en plus qu’il subsiste une rencontre implicite : celle de Vincent Macaigne avec ses propres démons. À travers ce film, il crie enfin ce qu’il a à dire ou bien, il met à l’épreuve ses comédiens en les faisant exploser littéralement, les deux étant notables.
On osera dire qu’on sort fatigué d’autant de cris et de violence verbale, voire affecté par autant de provocation, particulièrement avec la séquence de Laure Calamy se recouvrant le visage de rouge à lèvres. Le résultat est néanmoins intéressant : on pourrait y voir seulement un exercice d’acting avec une histoire de famille en fond et pourtant, on est pris aux tripes par la crudité et la vérité qui en ressortent. Désormais, on a donc envie de retenir le nom de Vincent Macaigne dans la catégorie des réalisateurs.
« Double mixte » de Vincent Mariette
Vincent Mariette, pour celles et ceux qui auraient oublié, c’est le réalisateur du film « Le meilleur ami de l’homme » avec pour rôles principaux, Moustic et un berger allemand et qui a probablement été le court-métrage le plus vu et le plus apprécié de la Collection Canal +.
Son nouveau film « Double mixte » n’a pas grand-chose à voir avec le précédent si ce n’est de jouer à nouveau la carte de l’humour noir en utilisant des personnages pourtant assez clichés. Encore une fois, le spectateur est dubitatif à savoir s’il doit rire ou plaindre les personnages paumés/ angoissés que peint Vincent Mariette, un bodyguard barré, sa sœur nymphomane et un personnage anxieux.
Le trio de comédiens qui interprète ces personnages fonctionne à merveille : Gilles Cohen, égal à lui-même, est parfait en flic névrosé, Claude Perron, malheureusement sous-employée dans le cinéma français, est jouissive dans son rôle de folle à lier et Alexandre Steiger, quant lui, est définitivement un acteur à suivre, même si trop souvent engagé pour des personnages similaires, de type un peu obtus, dépassé par la situation.
On notera le travail de Julien Poupard à l’image (qui est doublement présent à Clermont-Ferrand puisqu’il est également chef opérateur sur « Courir » de Maud Alpi) qui sait recréer une ambiance froide, pesante voire presque étouffante, un peu passée de mode justement pour qu’on ne sache pas vraiment situer le film dans le temps. La musique d’Emmanuel d’Orlando joue un peu le même rôle, à la fois ultra contemporaine et vieux jeu, mêlant le classique et la techno.
Avec « Double mixte », on a donc affaire à un film qui ressemble à une simple comédie teintée de psychologie, mais qui finalement casse les clichés et permet au spectateur de ne jamais être passif. On aurait pourtant souhaité que Vincent Mariette adopte un ton encore plus décalé, tant les éléments absurdes sont réunis dans son dernier film. S’il ne gagne pas le Grand Prix de Clermont-Ferrand, il a néanmoins tous les atouts pour passer au long-métrage avec une signature bien identifiée.