En France, la formation au cinéma d’animation se porte bien. La Poudrière, les Arts Déco, Les Gobelins, l’EMCA, Emile Cohl, l’ESMA, Supinfocom Arles… Autant de noms ronflants pour des écoles prestigieuses qui accompagnent les talents émergents des films d’animation de demain. L’Association Française du Cinéma d’Animation (Afca) s’est récemment associé à la promotion de cette jeune création en dédiant une compétition spécifique à ces films de fin d’études lors de son Festival National du Film d’Animation de Bruz. Laboratoire d’expériences ouvert à tous les styles graphiques et techniques, banc d’essai artistique où s’exposent innovations et inspirations du moment, le Festival nous a fait découvrir avec près de 35 films issus de ces pépinières de talents, la réserve de créativité du cinéma d’animation français. Parmi eux, quelques coups de cœurs de Format Court.
Matatoro de Raphaël Calamote, Mauro Carraro et Jérémy Pasquet
Avec « Matatoro », les trois auteurs issus de la promotion 2010 de l’école Supinfocom, Raphaël Calamote, Mauro Carraro et Jérémy Pasquet, probablement inspirés par la culture populaire locale de la région d’Arles, nous font pénétrer dans le décor des antiques arènes pour vibrer au rythme hispanisant des spectacles tauromachiques. Le film qui mélange des techniques de dessin en 2D et quelques passages en 3D, nous propose une faena surréaliste dans le monde baroque de la corrida. Jouant sur la confusion du réel et de l’imaginaire, on suit le parcours émotionnel d’un torero maladroit affrontant fébrilement une bête terrifiante de l’élevage Miura, ainsi que la bronca impitoyable d’un public aficionado. Respectant l’univers ultra-codifié des courses de taureaux, le film nous fait traverser les étapes du spectacle en transfigurant les perceptions de son héros pathétique. Dévoyant aux valeurs traditionnelles qu’incarnent les matadors, ce torero de pacotille prend tour à tour les traits d’une danseuse de flamenco enchaînant les passes, d’un picador piteux monté sur les chevaux de bois d’un ancien manège, ou d’un trapéziste balancé dans les hauteurs d’un chapiteau lors du tercio de banderilles, alors que les peones masqués (toreros subalternes) dansent en ronde autour de la bête sauvage qu’ils font tourner en bourrique.
L’univers sonore du film est parfaitement ciselé, et mêle avec brio des ambiances musicales latines et foraines, et les interactions d’un public hyper-stylisé qui s’incarne selon les scènes en fines paires de moustache lorsqu’il s’agit de rire, en une nuée d’yeux sifflant implacablement la prestation, où en fourchettes frémissantes à l’heure de la mise à mort. Car dans le cirque tauromachique, tout termine toujours par une mort dans l’après-midi. L’estocade de « Matatoro » est une merveille du genre et dresse un tableau digne de Jodorowsky, tourné en 3D dans un silence de mort que seul interrompt le bruit d’une vague de fond. Au bout du compte, c’est finalement le torero qui est transpercé par la bête, finissant par se fondre complétement avec elle pour ne plus former qu’une espèce de minotaure christique planant dans les rayons du soleil au dessus d’une arène à genoux. « Matatoro », vainqueur du Grand Prix du film étudiant de Bruz, fait partie de ces films allégoriques qui savent vous troubler par sa puissance émotionnelle.
Laszlo de Nicolas Lemée
Avec « Laszlo » de Nicolas Lemée, l’école de La Poudrière produit un film très actuel qui, entre drame et comédie, dresse une chronique du monde contemporain et apporte un regard critique sur une certaine mondialisation. Au centre du sujet, la clandestinité et le destin de ces millions d’hommes qui, broyés par un système qui les dépassent, survivent entre les expulsions internationales. Dans le cas de « Laszlo », on est face à une fatalité, et le film commence par cette phrase : « La première fois que j’ai été expulsé, c’était du ventre de ma mère ». Dès lors, on suit le parcours chaotique d’un homme dont le seul tort est d’être né sans identité dans un pays en guerre, et qui, sans l’avoir jamais voulu, voyage du Kosovo à Paris, puis à Londres, Kaboul, Guantanamo, New York, Belgrade, au rythme d’expulsions administratives successives qui n’ont aucun sens pour lui. Absurdité d’une époque sans compassion où les hommes sont victimes d’un monde obstrué par la peur de l’autre, les coups de tampons s’abattent sur « Laszlo », touriste involontaire des camps de rétention et des règlements migratoires. Pris au piège de ce processus qui fait de lui un pantin désorienté sans aucune prise sur sa vie, dont seul l’amour offre un répit. Entre arrestations et déportations, une silhouette féminine ponctue le film, ouvrant des moments de pause dans ce mouvement anarchique où l’homme prend enfin sa vraie dimension. Réalisé image par image à partir de photos, de vidéos, et de détails visuels composites, le film joue sur la frontière entre réalité et fiction pour nous emmener dans une danse insensée qui nous renvoie à notre propre humanité.
Plato de Léonard Cohen
Issu de l’ENSAD, Léonard Cohen signe un film de fin d’études brillant et drôle qui jongle avec les potentialités graphiques de l’animation dessinée. « Plato », double Prix du meilleur film de fin d’études et du jury junior à Annecy, est avant tout un jeu de dessin génial qui, avec la simplicité du trait d’un crayon à papier, mélange les perspectives 2D et 3D dans un ballet géométrique en noir et blanc. Verticalité, horizontalité, angles, profondeurs, reflets, volumes, ombres, rotations, inversion des perspectives, « Plato » joue avec des repères mouvants qui bouleversent notre perception logique et l’impression du réel. Au début du film, une silhouette filiforme debout sur une ligne horizontale rappelle franchement l’ambiance « planche à dessin » de la fameuse série télé des années 80, « La Linea ». Le personnage est à la recherche d’une forme et trace des objets géométriques dans l’espace avec la pointe de son doigt. Soudain, c’est l’illumination, il crée le cube ! Mais voilà qu’à peine terminé, le cube glisse hors du plan vertical où il a été conçu pour prendre vie dans un univers tridimensionnel, échappant par la même à son créateur resté captif d’un monde en 2D. Dès lors s’engage entre le dessinateur et son cube, une course-poursuite vertigineuse où l’on bascule sans cesse entre des univers dimensionnels renversants. Exaltant le rapport entre le créateur et sa créature qui tour à tour s’engendrent, s’observent, s’opposent et s’affrontent pour finalement mieux ne faire qu’un, « Plato » nous fait voyager au cœur du processus créatif en jouant de la magie des univers dessinés.
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