Dans les escaliers du Ciné TNB de Rennes, les murs ensanglantés vous indiquent la direction de la salle. Au détour d’un couloir, entre des candélabres ardents, un vampire livide vous accueille en souriant. Un peu plus loin, dans la foule qui s’entasse à l’heure de l’ouverture, vous croiserez sûrement encore quelques créatures inquiétantes, mais ne soyez pas surpris. Prenez quand même garde à votre cou et surveillez les palpitations de votre cœur, car ça y est, vous y êtes, c’est Court Métrange, et face à l’écran, attendez-vous à trembler !
Etrange… Insolite… Fantastique…
Trois concepts qui définissent à merveille le Festival et vous mettent dans le bain du frisson cinématographique. Films gore, d’épouvante, thrillers et contes à l’imaginaire débridé, poésie macabre, climax haletant, esthétique de l’angoisse, Court Métrange prend aux tripes en programmant au total près d’une soixantaine de bizarreries filmiques dont le point commun est de chercher à nous faire peur, rire ou pleurer.
La compétition européenne ne fait pas de quartier. Prenez donc un siège à la table de « Next Floor » de Denis Villeneuve pour goûter aux pesanteurs de l’abondance gastronomique. Onze complices tirés à quatre épingles vous y attendent pour se livrer à un furieux banquet. Pas besoin de mots pour avaler tous ces plats, l’important ici, c’est de manger ! Manger de la plus ignoble des façons, comme une ode à l’insatiable consommation, entre les valets affairés, les viandes saignantes et la musique de salon, car ici, on s’empiffre par passion, sans conscience et sans respiration. Sous les pieds des convives attablés que rien ne peut apaiser, le plancher commence à craquer. Succombant au poids de l’opulence, il s’écroule avec fracas. Le maître d’hôtel impassible et froid annonce à sa brigade que le service continue un étage plus bas. Descente aux enfers ou interminable fuite en avant, « Next floor » pointe du doigt l’absurdité d’un monde voué à s’effondrer.
Si la table de « Next floor » vous a laissé sur votre faim, invitez vous donc à celle de « Ctin » lorsque les douze coups de minuits sonnent. Avec le film horrifique et burlesque de Cyrille Drevon, venez vous offrir un délirant petit souper entre morts vivants dans une Ukraine radioactive. Régalez-vous donc d’un peu de démence post-apocalyptique, et entrez dans la danse macabre d’une pseudo science expérimentale. Entre tortures et rêves de création à la Frankenstein, un savant fou s’abîme dans une inconscience malsaine et morbide. Au milieu des décors désuets d’un monde glacé en un temps incertain, le docteur actionne les abominables machineries qui hantent son esprit. Dans un univers déjanté aux effets visuels très esthétiques assez référencés à Jeunet et Caro, « Ctin » dresse un sanglant tableau de la folie en jouant sur la frontière entre la vie et la mort.
Au registre des films purement terrifiants, le court métrage espagnol de Alberto Evangelio marque tant il réussit à vous faire tortiller d’effroi sur votre fauteuil. Avec « La Madre », pas de monstres effrayants ou d’effets spéciaux soignés, mais la narration d’un fait divers parfaitement amenée où une mère de famille modèle bascule dans une spirale infernale d’accidents domestiques qui la conduit à assassiner malgré elle ses trois enfants. Un déferlement de panique et de terreur qui, tout en vous tenant en haleine, parvient presque à chaque fois à vous faire deviner l’horreur de la scène suivante. Une intensité dramatique presque insoutenable pour un film qui réveille en nous les peurs les plus cauchemardesques.
Heureusement pour les cœurs plus sensibles, le cinéma fantastique n’est pas réservé qu’aux seuls films d’horreur, et Court Métrange s’ouvre à la large diversité du genre, notamment avec une programmation consistante de films d’animation. Parmi eux, « Cul de bouteille » de Jean-Claude Rozec, conte tendre et poétique d’un enfant atteint d’une infirmité banale, la myopie, et qui se trouve contraint de porter des lunettes. Seulement voilà… Plus rien ne ressemble au monde des enfants quand on doit voir avec les yeux des grands. Alors pourquoi abandonner sa vision d’un monde plein d’aventures incroyables, de figures légendaires et de mystères secrets pour mieux regarder une réalité médicale, insipide et froide ? Où sont donc cachés trolls, dragons et licornes derrière les épais carreaux d’un monde gris et uniforme ? Ne vaut-il pas mieux suivre les chemins de l’imaginaire, la liberté de vivre son propre rêve, d’être son propre héros ? Mais comment suivre ses chimères et se perdre dans de fabuleux univers, si pour de vrai, ce petit compagnon magique qui tient dans votre poche n’est finalement rien d’autre qu’une coquille vide ? Avec « Cul de bouteille », coproduction 100% bretonne réalisée en 2D et en noir et blanc, dont le dessin un peu caricatural joue sur la perception de la monstruosité, on est confronté à une certaine métaphysique de l’enfance, le dilemme du regard sur la vie et du refus de grandir. C’est surtout une invitation à réfléchir sur ce que devient l’enfant qui est en nous.
Pour les enfants un peu plus grands, peut-être ceux qui ont grandi dans les années 80 et qui se rappellent encore avoir passé des heures devant les premières consoles informatiques de l’époque Amstrad, le film incontournable de cette édition était peut-être « Pixels » de Patrick Jean. Lorsqu’un téléviseur à l’abandon se met à répandre une nuée de pixels sur la ville, la ville s’appelle New York, et les pixels s’incarnent inévitablement dans les avatars univoques de Space invaders ou de Tetris. Mêlant brillamment la 3D et la prise de vue réelle, les jeux sortent des écrans et envahissent le monde. Dans une attaque globale coordonnée, la ville est mise à sac par des créatures 8 bits : Pacman avale les lignes de stations de métro, Casse-briques envoie le Brooklyn Bridge dans l’Hudson, et Donkey (King) Kong, au sommet de l’Empire State Building, jette des barils de poudre qui pixellisent le monde en explosant. « Pixels », c’est l’histoire de la conquête technologique de toute une génération qui a réussi à transformer la planète en un énorme cube uniforme et sombre.
En complément de la sélection européenne, le festival proposait cette année trois focus sur des films internationaux avec des séances dédiées aux productions mexicaines, japonaises et américaines. Parmi les films mexicains, le court métrage en rotoscopie de Guadalupe Sanchez Sosa, « Niño de mis ojos », nous fait pénétrer dans l’univers intime d’une jeune femme qui partage son appartement avec un drôle de compagnon, un petit homme à peine plus haut qu’une pomme. Fraîcheur poétique d’une histoire d’amour irréelle et impossible, « Niño de mis ojos » nous invite, sur l’air envoutant de chansons traditionnelles mexicaines, à une tendre réflexion sur la pureté des sentiments amoureux.
Court Métrange est bel et bien un festival étrange. Une programmation riche et hétéroclite, une ambiance originale et décontractée, et un public rennais venu en nombre, Court Métrange sait créer de l’émotion pour nous faire passer un moment fantastique.