Simplicité complexe. Poésie psychédélique. Abstraction torturée. Musicalité pour enfants comme pour adultes. Noir, blanc et autres couleurs. Le travail d’Andreas Hykade, récompensé du Grand Prix à Anima pour « Love & Theft », ne manque pas de combinaisons multiples. Entretien en fin de séance et en ouverture d’un nouveau chapitre.
À chaque rencontre avec un animateur, une question inaugurale et prévisible apparaît : d’où vient son intérêt pour le genre animé ? Quelle serait votre réponse ?
J’ai toujours dessiné et aimé voir des films d’animation, comme beaucoup d’animateurs. Je pense que les gens apprécient cela comme un moyen d’expression mais aussi comme un moyen d’indépendance. Un jour, j’ai vu un film sur le processus de fabrication des films animés, j’ai tenté l’expérience par moi-même, avec une caméra super 8 et un petit personnage. Je n’aurais jamais cru que ça allait marcher, et pourtant, ça a été le cas ! J’avais fait un dessin après l’autre, et ça a commencé à bouger. Cela m’apparaissait comme de la magie, je pensais qu’il fallait avoir de grandes capacités pour y arriver, alors que c’était à la portée de tout le monde. J’avais 15 ans, j’avais écrit ma propre histoire, cela s’appelait : « Johan à la recherche de son visage » (rires) ! C’est comme ça que j’ai commencé à m’intéresser à l’animation. Je pensais même que j’irais chez Disney directement après mes études !
Après, j’ai eu des contacts avec l’animation indépendante pour adultes. C’était quelque chose de tout à fait nouveau pour moi, de bien plus intéressant. C’était un territoire non défraichi dans lequel je pouvais m’exprimer comme artiste et trouver ma liberté, ce qui n’est pas quelque chose de facile à identifier quand on travaille sur des films pour enfants.
Vos dessins sont parfois minimalistes, parfois chargés en détails. Quand avez-vous découvert votre style ?
Après mes premières années d’études. Je viens du réalisme, à l’époque, je dessinais tout. Quand on commence dans l’animation et qu’on se met à dessiner chaque cheveu de chaque personnage, cela prend beaucoup de temps. Pour moi, c’est une souffrance terrible, le facteur de temps perdu. On prend cinq ans pour créer et le résultat dure cinq minutes, c’est hors de proportion.
En travaillant ainsi, j’ai réalisé que je n’y arriverais pas, que je ne serais pas efficace. J’ai donc cherché un style simple et rapide à reproduire. Une fois que je l’ai trouvé, je me suis senti en confiance.
Autre mélange dans vos films, celui de la simplicité et de la complexité…
Quand j’ai commencé, je ne savais pas ce que je faisais. Mon école, l’Académie des Beaux-Arts de Stuttgart, était plutôt nouvelle, personne ne me disait quoi que ce soit sur la technique. Je n’ai pas appris, j’ai fait. Dans mes premiers travaux, je ne savais pas vers quoi j’allais, je faisais intervenir mon inconscient, je prenais beaucoup de temps pour créer. J’ai réalisé que c’était trop douloureux, donc j’ai commencé à travailler consciemment, j’ai réfléchi à la manière d’inclure le public dans ma réflexion et je me suis dirigé vers la simplicité. À partir de « The Runt », j’ai travaillé différemment : j’ai commencé à me concentrer et j’avais une histoire.
Pensez-vous que la musique peut aider le public à entrer dans vos films ? Dans « Ring of Fire », elle est par exemple très présente, au plus près des personnages.
Oui. La musique est un élément clé pour véhiculer des émotions, elle est très importante pour mes films. Probablement, j’en ai utilisé trop mais c’était nécessaire, et puis, j’aime collaborer avec différents musiciens. Sur « Ring of Fire », la musique était très spéciale. Le film parle d’une histoire d’amour triangulaire, basée sur une histoire personnelle entre un ami, sa femme et moi. L’homme est musicien, c’est lui qui a composé la B.O. du film, il a mis toute sa rage, sa passion et son agression dans ce son. Je crois que vous pouvez encore l’entendre aujourd’hui, d’ailleurs, le film entier ne marcherait pas sans cette musique.
Sur « Love & Theft », la collaboration avec le musicien a été aussi intéressante. Tout le film a été animé sur un certain rythme. Toutes les 8 secondes, un changement de personnage avait lieu. On a juste parlé de courbes. Avec un musicien, on peut parler en termes abstraits, chose difficile à faire avec un animateur.
Dans vos films précédents, les éléments féminins étaient soit provocants soit protecteurs, et les masculins insufflaient la peur auprès de leur entourage. Est-ce que vous avez envie de continuer à creuser ce type de personnalité ?
J’essaye à vrai dire de les laisser de côté. Je fais des films pour enfants maintenant (ndrl la série « Tom & The Slice of Bread with Strawberry Jam & Honey »), c’est une première étape. Les films que j’ai faits avant sont tous liés à Altötting, l’endroit où j’ai grandi, un coin pas très joli, démodé, empoisonné d’une certaine manière. Je pense que j’avais à décrire ce que je voyais, d’où je venais, mais aujourd’hui, j’ai envie d’ouvrir un nouveau chapitre et d’exprimer les choses d’une autre manière.
Aujourd’hui, quand vous revoyez vos films, qu’en pensez-vous ?
Parfois, je ne les comprends pas, parfois, je les trouve dérangeants par endroits, parfois, je les trouve bons. Un de mes amis dit qu’en art, tout dépend de ce qu’on a pris au petit déjeuner. Je pense qu’il a raison, tout dépend de l’état d’esprit dans lequel on est.
« The Runt » ressemble autant à un conte pour enfants qu’à une histoire pour adultes. Comment l’avez-vous imaginé ?
Au début, je voulais raconter une histoire de frères et de lapins, mais mon projet allait dans tous les sens. Au même moment, j’ai commencé à donner des cours d’animation. Je disais aux étudiants de se concentrer, de se poser des questions, d’être aussi précis que possible, et en regardant mon travail, je me suis dit que je devais faire de même. Dans le film, l’enfant doit tuer le lapin après un an, je me suis dit que je travaillerais aussi sur une période d’un an, en termes d’histoire, d’animatique, et de design des couleurs.
Pour « Love & Theft », vous avez utilisé des symboles et des références en matière d’animation. Comment avez-vous considéré le travail d’antropomorphie, de succession de dessins ?
Cela faisait plus de dix ans que je n’avais pas animé. Les films pour enfants, je les ai écrits, réalisés, dessinés, conçus musicalement, mais je n’ai pas eu le temps de les animer. Pourtant, animer, faire bouger les dessins, voir une chose en devenir une autre, est le moment le plus épanouissant pour moi. J’ai essayé d’animer sur « The Runt », mais c’était différent, les personnages ne bougeaient pas, alors que « Love & Theft » est justement basé sur le mouvement. L’animation était simple et efficace, chaque ligne en devenait une autre, j’en ai donc tiré beaucoup de joie.
Vous aviez dressé une liste de personnages que vous aimiez pour le film ?
J’en avais beaucoup. J’ai commencé avec 600 personnages qui m’ont inspiré. À la fin, je n’en avais plus que 36. Je les a choisis car je voulais de l’interaction entre eux.
Êtes-vous proche du travail de Jim Woodring ? Son trait apparaît dans votre film.
Oui, il est dans le film. J’aime Frank et la grenouille. Dans les série « Tom & The Slice of Bread with Strawberry Jam & Honey », il y a une famille de grenouilles qui sont des références à Jim. Je ne l’ai jamais rencontré, mais j’aimerais beaucoup lui acheter un dessin de grenouille !
Où en est votre projet de long métrage ?
Je pense à un film sur la vie de Jésus, à partir de trois perspectives, l’une féminine, les deux autres masculines. Dans les courts, on doit toujours se limiter, à la fin, on se retrouve toujours à jeter des choses, et je voudrais m’ouvrir un peu, je voudrais me poser un moment.
C’est un sacrifice pour vous de jeter ?
Oui, parfois. Les épisodes sur « Tom » durent tous cinq minutes alors que mes histoires font toujours six minutes. Je me retrouve à devoir jeter une minute et c’est un sacrifice car parfois, je dois me débarrasser du meilleur. Il y a ce qu’on a besoin et ce qu’on veut; comme on ne peut pas jeter ce qu’on a besoin, on doit jeter le reste.
Mais parfois, ce qu’on veut revient plus tard..
Oui, mais c’est brisé. Ça glorifie la chose donc c’est perdu pour toujours. Je pourrais vous parler des dix meilleurs gags que j’ai eus pour cette série et qui n’ont jamais existé. Peut-être ils reviendront, oui, mais il y aura de toute façon une perte.
Rouvrez-vous parfois vos anciens carnets de croquis ?
Si je suis désespéré, oui (rires) ! Je les regarde parfois, je les garde depuis 1990. Cela fait 21 ans maintenant que je les accumule. Sinon, ma mère a gardé ceux que je faisais quand j’étais enfant, mais c’est le cas de toutes les mères !
Propos recueillis par Katia Bayer
Article associé : la critique de « Love & Theft »
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