J comme Jessi

Fiche technique

Synopsis : Pendant que sa mère purge sa peine en prison, la petite Jessi, 11 ans, vit dans une famille d’accueil. Sa quête d’identité la mène jusqu’au village où elle a grandi. Là, elle découvre que sa recherche doit aller bien au-delà des limites de son ancienne vie.

Genre : Fiction

Durée : 33’

Année : 2010

Pays : Allemagne

Réalisation : Mariejosephin Schneider

Scénario : Mariejosephin Schneider

Image : Jenny Lou Ziegel

Musique pré-existante : Marian Mentrup, Robert Rabenalt

Musique : Marian Mentrup

Montage : Inge Schneider

Décors : Kerstin Eichner

Mixage Son : Benny Dunker

Interprétation : Pit Bukowski, Luzie Ahrens, Jasmin Rischar, Anja Stohr, Sophie Rogall, Michaela Hinnenthal

Production : DFFB / Deutsche Film- und Fernsehakademie Berlin

Article associé : la critique du film

Une sale histoire de Jean Eustache

Le Festival de Brive propose une rétrospective consacrée à Jean Eustache. On s’en réjouit, tant ses films sont compliqués à voir dans de bonnes conditions. L’auteur de « La Maman et la putain » (1973) a réalisé plusieurs moyens métrages, fictionnels comme documentaires : « Les Mauvaises fréquentations » (1963), « Le Père Noël a les yeux bleus » (1966), « Le cochon » (1970), et « Le Jardin des délices de Jérôme Bosch » (1979). Mais aussi « Une sale histoire », datant de 1977, qui, en 49 minutes sympathiques, affole une anodine journée d’avril.

 

« Une sale histoire » se présente comme un docu-fiction en deux parties, partagé entre une histoire narrée par Michaël Lonsdale (le volet “fiction”) et le même récit, mot pour mot, sortant de la bouche de Jean-Noël Picq (le volet “document”), un ami d’Eustache. Dans les deux situations, un homme raconte à de très belles femmes comment il s’est retrouvé dans la peau d’un voyeur et comment il a rencontré des difficultés à se déshabituer de cette nouvelle obsession.

Dans la première partie du film, Jean Douchet, cigare au bec, demande à Michaël Lonsdale de revenir sur son histoire de voyeur car il n’arrive pas à l’adapter au cinéma. Le comédien s’assoit sur un canapé, à proximité de plusieurs femmes et raconte face caméra son récit. Il explique sa découverte hasardeuse d’un trou dans les toilettes d’un café parisien permettant de voir incognito le sexe des femmes. Il agrémente son récit de moult détails et remet en question son rapport au beau sexe. Des femmes l’écoutent en silence, ne le quittent pas des yeux, lui sourient, et se mettent finalement à le taquiner, en lui proposant à l’identique de jouer les voyeuses.

Dans la deuxième partie, Jean-Noël Picq, le protagoniste réel, à l’origine de cette singulière histoire, évoque le même récit que Michaël Lonsdale, de manière peut-être plus spontanée que son « double » fictionnel, plus dans le jeu et dans la personnalisation du texte. Face à lui, des femmes développant des réactions similaires à la première situation.

Le dispositif est exactement le même que dans le volet “fictionnel“ : un témoin, une anecdote, un monologue, un texte, une disposition des lieux, un auditoire féminin … . Seuls les interprètes changent pour livrer le même contenu : une histoire salace.

Deux films en un, deux versions d’un même scénario, un docu-fiction, … Eustache, en mêlant histoire vraie et procédé fictionnel, pose la question de la mise en scène et de la véracité des faits tout en évoquant la perception des tabous et de la sexualité d’une certaine époque. Une époque qui a quand même vu d’un œil pudique la sortie houleuse de ce film. Pour revenir en arrière et pour comprendre les mœurs d’aujourd’hui, ce film/ces films reste(nt) à voir.

Katia Bayer

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S comme Une sale histoire

Fiche technique

Synopsis : Dans un salon, un homme raconte à trois femmes comment il devint voyeur dans un café qu’il fréquentait et pourquoi il y prit goût pendant un temps…

Genre : Docu-Fiction

Durée : 49’

Pays : France

Année : 1977

Réalisation : Jean Eustache

Scénario : D’après une histoire de Jean-Noël Picq

Photographie : Pierre Lhomme, Jacques Renard

Montage : Chantal Colomel, Jean Eustache

Son : Roger Letellier, Bernard Ortion

Interprétation : Michael Lonsdale, Douchka, Laurie Zimmer, Josée Yanne, Jacques Burloux, Jean Douchet, Elisabeth Lanchener, Françoise Lebrun, Virginie Thévenet, Annette Wademant

Production : Tamasa

Article associé : la critique du film

Brive 2011

À Brive-la-Gaillarde (cherchez pas, c’est en Corrèze), on aime Patrick Sébastien, vedette de télévision, le rugby, un sport local pratiqué en groupe et en short, et le moyen métrage, un format ne dépassant pas les 59 minutes. En effet, P.S. est né dans le coin. Demain, les Brivistes jouent à 14h contre les Gallois. et les 8èmes Rencontres européennes du moyen métrage proposent jusqu’à lundi des films en compétition européenne, une rétrospective Jean Eustache, les films de Manoel de Oliveira, un panorama consacré au jeune cinéma polonais, un hommage à Serge Gainsbourg, des tables rondes et un ciné-concert.

Retrouvez dans ce Focus :

La critique de « Philipp » de Fabian Möhrke (Allemagne)

La critique de « Pandore » de Virgil Vernier (France)

La critique de « Low Cost (Claude Jutra) » de Lionel Baier (Suisse)

La critique de « Rêve bébé rêve » de Christophe Nanga-Oly (France)

La critique d' »Un Monde sans femmes » de Guillaume Brac (France)

La critique de « Jessi » de Mariejosephin Schneider (Allemagne)

La critique d' »Une sale histoire » de Jean Eustache (France)

Le palmarès 2011

Les films en compétition européenne

Ainsi que nos anciens sujets liés à cette édition festivalière :

La critique de « Because we are visual » de Gerard-Jan Claes et Olivia Rochette (Belgique)

La critique de « Coucou-les-nuages » de Vincent Cardona (France)

L’interview de Vincent Cardona

La critique de « Petit tailleur » de Louis Garrel (France)

L’interview de Sébastien Bailly. le délégué général du festival

La Bohème de Werner Herzog

Pour son clip de commande, Werner Herzog a concocté un curieux documentaire qui se veut un exercice en contrepoint audiovisuel interpellant. Programmé récemment dans le cadre du festival Cinéma du réel, au Centre Pompidou, ce court transplante l’air célébrissime « O soave fanciulla » de l’opéra de Puccini dans le contexte d’une Éthiopie tiraillée.

Lorsque l’un des cinéastes les plus intransigeants de notre époque est sollicité à l’occasion des 10 ans de collaboration entre la chaîne Sky Arts et l’ENO (l’Opéra national anglais), on ne peut pas s’attendre à un résultat gentillet. En effet, le parti pris d’interpréter la partition puccinienne par le biais de plans (souvent très rapprochés) d’une tribu éthiopienne n’est ni banal ni habituel. Pourtant, le doyen du Nouveau Cinéma Allemand n’est pas étranger à l’univers de l’opéra. Son œuvre, hétéroclite, prolifique et résistant à toute catégorisation – si ce n’est la marque distinctement auteuriste du réalisateur –, a côtoyé le genre lyrique à plus d’une reprise : les documentaires « Gesualdo : Mort à cinq voix » et « The Transformation of the World into Music » comme les fictions « Leçons de ténèbres » et « Fitzcarraldo » traitent tous directement ou indirectement de sujets opératiques, de sorte que Herzog s’est approprié une réputation de cinéaste « wagnérien ».

Il est donc d’autant plus remarquable que, pour traduire un air d’opéra en images, il se démarque à ce point de l’esprit romantique et précieux du Paris de la Belle Époque. Si la démarche contrapuntique paraît à première vue simpliste ou gratuitement provocatrice, elle révèle en fait une signification puissante. En filmant des civiles éthiopiens armés en même temps que des couples (tellement éloignés des déclamations exagérées du Rodolfo rêveur et de la Mimi phtisique), Herzog élabore un jeu de regards conflictuel entre ces personnages – un écho en quelque sorte à l’amour maudit des Bohèmes, mais aussi un message politique pour une contrée ravagée par la violence depuis des décennies. À l’aide de l’utilisation audacieuse de la technique de face caméra, ce jeu de regard sort de la « diégèse » et se déplace entre le spectateur et le sujet, entre le regardant et le regardé. Ainsi, deux cultures aux antipodes historiques et politiques se confrontent, l’une via l’image, l’autre à travers la bande-son. L’air de rien, Herzog opère un tour de force de forme et de fond. Cet objet improbable qu’est « La Bohème » casse la complaisance qui recouvre le drame de Puccini plus d’un siècle après sa création, à l’époque novatrice, et impose un relativisme manquant autour de sa lecture qui permet d’ébranler le discours eurocentriste. Quid urbi et quid orbi ?

Adi Chesson

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B comme La Bohème

Fiche technique

Synopsis :  Tourné au sein du peuple Mursi dans le Sud-Ouest de l’Ethiopie, le film de Herzog recrée l’énigmatique interprétation du duo amoureux de Puccini ‘O soave fanciulla’ extrait de La Bohème.

Genre : Documentaire, expérimental

Durée : 4′

Année : 2009

Pays : Royaume-Uni

Réalisation : Werner Herzog

Musique : Giaccomo Puccini

Article associé : la critique du film

Javier Packer-Comyn : « Je suis toujours attentif à la manière dont le film travaille le monde et à celle dont le monde traverse le film »

Avant de devenir le directeur artistique du Cinéma du Réel, le festival dédié au documentaire de création, organisé par le Centre Pompidou fin mars-début avril, Javier Packer-Comyn a œuvré pendant plusieurs années en faveur du même cinéma à Bruxelles, en faisant venir des auteurs, et en montrant des films méconnus via l’association Le P’tit Ciné. D’une ville à l’autre, d’une expérience de travail à l’autre, des fondamentaux sont restés : dialogue entre passé et présent, statut de l’image, regards sur le monde, solitude groupée, et points d’entrée. Entretien.

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À l’époque du P’tit Ciné, tu te voyais comme un passeur entre le cinéaste et le public. Est-ce un rôle que tu as eu l’occasion de développer plus amplement au Cinéma du Réel, avec une équipe et une structure bien plus importantes qu’à Bruxelles ?

Ce qui est stimulant ici, c’est de se rendre compte qu’il y a d’autres passeurs tels que Pierre-Alexis Chevit, Arnaud Hée, Corinne Bopp. La structure n’est pas similaire au P’tit Ciné, mais l’approche est la même : on est très proche du débat, de la rencontre, des gens.

D’où vient l’envie de programmer une compétition de courts métrages dans un festival qui met en avant le documentaire et qui se balade entre les films de patrimoine et les nouvelles réalisations ?

Mon envie n’est pas guidée par la durée du film. Ce qui m’intéresse, c’est l’écriture particulière du film. C’est difficile pour moi de raisonner en longs ou en courts, mais je dois apprendre à le faire parce que c’est nécessaire pour l’organisation d’un festival. Cette année, j’ai effectivement eu envie de mettre en avant les courts, mais au final, j’en ai retenu moins que je le pensais pour la compétition. Ce geste de programmation ne se dessinera peut-être plus amplement que l’année prochaine.

Pour l’instant, dans le documentaire, les registres d’images étant très variées, il me semble que quelque chose d’assez beau est en train de se consolider, quelque chose qui fait qu’aujourd’hui, un festival peut faire cohabiter des films très différents, comme « Coming Attractions » et « Pa Rubika Celu ».

Pendant longtemps, il y avait une grande tendance au portrait et à la voix-off dans les courts, cela se remarquait beaucoup dans les films danois et allemands. On montrait par exemple une femme de ménage dans ses mouvements et dans ses gestes, tandis que son récit était proposé en off. Il y avait de l’empathie, de la sensibilité, mais il manquait quelque chose. Depuis quelques années, je sens néanmoins une variante.

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"Coming Attractions"

Comment cette variante s’exprime-t-elle par rapport à ce que tu voyais précédemment ? Dans les films que vous proposez, on sent une vraie recherche formelle, un vrai éclatement des genres.

Effectivement, les genres éclatent. Quand je ne connais pas quelque chose, j’ai envie d’approfondir, de découvrir. Je suis vraiment ouvert à tout. Par contre, je suis toujours attentif à la manière dont le film travaille le monde et à celle dont le monde traverse le film.

Personnellement, j’ai l’impression que notre écriture a changé et que beaucoup de documentaires sont devenus fragmentés. La manière dont on décrit les choses et dont on se décrit a évolué. J’ai l’impression qu’on se dirige de plus en plus vers une espèce d‘observation en fragments, un peu à la manière d’une écriture d’Annie Ernaux. J’ai le sentiment que l’être humain est devenu très sensible à l’infra-ordinaire, au micro-événement, à une écriture très parcellée, pouvant être le fruit d’une boulimie, d’un zapping ou d’une manière de raconter le monde qui n’est plus soumis à une vue d’ensemble.

Serait-on passé du point de vue au fragment ?

Non, parce que dans le fragment, on peut aussi avoir un point de vue. C’est comme si on accepte l’impuissance à fixer une image globale pour raconter le monde, ce qui sauve notre regard, c’est de pouvoir découper, s’arrêter sur une chose en particulier.

Pour faire le lien avec le fragment, vous montrez au Réel un film mobile anonyme, “Fragments d’une révolution” portant sur la révolution iranienne. L’idée de montrer des images filmées avec une caméra à portée de main, de proposer des images anonymes, c’est une forme d’engagement pour vous ?

L’engagement n’est pas de mon côté, il est du côté de celui qui font les films, puisque dans ce cas précis, ma position est confortable. Je montre un film, les cinéastes ont besoin d’anonymat, je le comprends, je le respecte : ils prennent des risques. Pour moi, ce film-là, c’est un excellent exemple de ce que peut être le statut d’une image. Il est composé d’images qui ont été filmées avec des téléphones portables lors de la révolution populaire avortée en Iran, donc quelque part, l’image est faite à un moment précis, dans un acte immédiat pour pouvoir la diffuser, la faire circuler sur Internet, et informer sur ce qui est en train de se passer dans le pays. Le temps du cinéma documentaire vient dans un deuxième temps, c’est-à-dire qu’à un moment donné, les cinéastes nous racontent autre chose. La manière dont ils organisent, classent les images tournées à la va vite prend non seulement une valeur historique mais aussi une densité d’analyse grâce au film qui est en train de se faire. On est donc dans un travail de recomposition d’éléments épars pour raconter la grande histoire. Ce qui m’intéresse, c’est que le matériau de base a changé de nature. C’est aussi ça, le rôle du cinéma : déplacer la nature du matériau.

De plus, le film réunit tous les anonymes. Au-delà du fait qu’il reste anonyme parce qu’il y a un réel danger à se nommer, je pense que l’auteur de ce film, en faisant ce travail, rend aussi hommage à l’anonymat de tout le monde.

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“Fragments d’une révolution”

Cette année, des documentaires ont été montrés sur la Toile, à l’initiative de Pointdoc, un nouveau festival en ligne. Comment jugez-vous au Réel le lien entre Internet et ces images ?

Internet pourrait m’intéresser comme outil, mais je proviens de la relation entre un public et une salle, et rien ne remplace pour moi cette sensation d’être seul ensemble, d’être isolé sur mon siège et de me sentir relié aux autres. Évidemment, Internet crée des communautés d’utilisateurs, mais la seule dans laquelle je me sens réellement bien quand je suis face à un film, c’est la salle. C’est le seul rapport aux images auquel je crois.

Parallèlement à la compétition, vous montrez énormément de films anciens, courts, isolés, inconnus, invisibles, repêchés un peu par miracle. Comment arrivez-vous à repérer ces films parfois sans auteurs et sans producteurs ?

Globalement, il n’y a qu’un secret : une énorme connaissance sur le cinéma accumulée de part et d’autre, qu’heureusement, je ne connais pas ! Je découvre ces films au fur et à mesure. Un programme, c’est comme du tissage. À un moment donné, les fils nous sont tendus : un ouvrage nous livre la référence d’un film, celui-ci comporte un générique, les noms qui y figurent renvoient vers d’autres personnes. Moi, je ne peux partir que de ce que je ne connais pas.

Tu ne connaissais donc à la base aucun des films que tu as décidé de programmer ?

Si, certains oui, mais ce sont les points d’entrée. Il y a quelque chose de cyclique dans la cinéphilie, dans l’histoire du cinéma : on ne cesse de découvrir la même chose en creusant à chaque fois un peu plus profondément. On approfondit car nos connaissances s’affinent, car on a le goût d’aller plus loin. Après, on se retrouve avec une grande masse d’images et on doit évaluer les films. Dans les courts que j’ai gardé, j’ai aussi voulu garder des choses qu’aujourd’hui, on peut encore réellement défendre comme films.

Ce qui veut dire ?

Ce sont des films qui ont échappé pour moi à la notion de propagande de l’époque. Si les films sont hermétiques 70 ans plus tard, ils ne me renvoient pas au monde d’aujourd’hui. Le dialogue entre passé et présent est primordial. L’important dans le documentaire, c’est d’apprendre à voir le monde, à être plus ancré dans son quotidien. Je pense que ça vaut la peine de montrer des œuvres ayant cette porosité dans le passé, elles peuvent nous renvoyer à quelque chose d’actuel. Ce n’est pas les instrumentaliser, mais c’est souligner leur valeur universelle et l’éventuel écho qu’elles peuvent avoir encore aujourd’hui.

Certains des courts que vous montrez ont commencé leur carrière au festival de Venise. Les sélections des autres festivals ne sont pas un frein pour vous ?

Il y a un ordre naturel des choses. Les festivals comme Venise, Berlin et Cannes sont des lieux de polarisation, ils sont beaucoup plus grands que nous. Je trouve normal qu’un film aille là-bas et que beaucoup de choses en découlent. Pourquoi ne montrerais-je pas un film qui est passé à Venise il y a six mois et qui n’a pas été vu à Paris ? Par rapport au public, je ne me pose pas de questions. Je montre les films qui m’intéressent avant tout.

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"Primary"

Tu programmes en séances spéciales Richard Leacock et Leo Hurwitz, deux documentaristes ayant eux aussi un lien au court. Qu’est-ce t’intéressait en eux ?

Richard Leacock, je l’avais déjà programmé à la Cinémathèque, à Bruxelles. C’est quelqu’un qui fait partie de l’histoire du cinéma et qui est à l’origine de la caméra en son synchrone, une invention qui a vraiment bouleversé le documentaire et représenté une nouvelle forme de liberté. Il a notamment suivi, dans “Primary”, John F. Kennedy, candidat aux primaires américaines, partout, du meeting au salon. Ce qui est assez étonnant avec lui, c’est qu’il s’est autant intéressé au milieu politique que musical. C’était des lieux qui avaient besoin d’être décloisonnés, il a pu les filmer.

Leo Hurwitz, c’est autre chose. Je ne connaissais globalement que deux films de lui et le fait qu’il avait filmé le procès Eichmann, il est souvent réduit à cela seulement, d’ailleurs. J’ai eu la possibilité de voir le reste de son travail grâce à un DVD pédagogique, même pas commercialisé, édité en Suède, et j’ai découvert une œuvre très variée et très poétique. Hurwitz a toujours été très juste sur l’analyse politique de son époque, ça m’a donné l’envie de le programmer.

Est-ce que des noms comme Leacock et Hurwitz intéressent la presse? Comment réagit-elle par rapport au genre documentaire en général ?

Faut-il parler de ce qu’on sait ou de ce qu’on ne connait pas ? La plupart des médias aujourd’hui préfère conforter le lecteur, le spectateur, l’auditeur dans ce qu’il sait déjà plutôt que de prendre le risque de lui délivrer un autre contenu. C’est un éternel débat, un mauvais calcul, je pense. Un pan de la cinématographie n’intéresse pas les gens, mais ce n’est pas pour autant qu’on se sent isolés. Le festival rencontre son public et a une belle couverture de presse. Certains journaux pointus ont évoqué notre travail dans leurs pages culturelles, mais cette année encore, on m’a reparlé de Michael Moore, d’Océans, et du Cauchemar de Darwin. Ça, c’est ancré, ça reste malheureusement.

Propos recueillis par Katia Bayer

Consulter les fiches techniques de « Coming Attractions » et de « Fragments d’une révolution »

C comme Coming Attractions

Fiche technique

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Synopsis : L’expression « cinéma des attractions » décrit une relation unique entre l’acteur, la caméra et le public des débuts du cinéma, qualité qui disparaît ensuite dans le cinéma « moderne » après 1910. Ce film cherche à réunir publicité, cinéma du début et film d’avant-garde.

Réalisation : Peter Tscherkassky

Genre : Expérimental

Année: 2010

Durée : 25’10’’

Pays : Autriche

Son : Dirk Schaefer

Montage : Eve Heller, Peter Tscherkassky

Production : Peter Tscherkassky

Article associé : la critique du film

Coming Attractions de Peter Tscherkassky

Présenté au Festival Cinéma du réel, le dernier court métrage de Peter Tscherkassky explore la culture pop sous le couvert d’images publicitaires auxquelles le réalisateur confie des intentions bien plus complexes que celles qu’on leur donne naturellement.

Elaboré à base de rushes de films publicitaires des années 50 et de morceaux de films de cinéma, « Coming Attractions » nous immerge dans un spectacle qui regorge de matière filmique.

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Les morceaux de pellicules travaillés sont cisaillés, démembrés, découpés par un réalisateur-monteur qui ne jure que par la matière argentique. Tscherkassky met en œuvre son savoir faire, acquis au gré des expérimentations, pour faire émerger un sens caché aux images. Dans ses mains, un « stylo laser » magique, qui ne le quitte plus depuis plusieurs films et qui élabore la surimpression à la manière d’un orfèvre aveugle, laissant – un peu – sa chance au hasard. On découvre alors, au détour d’une transparence, un visage en bordure du cadre qui répond de manière anachronique à celui d’une femme en gros plan qui déchire l’écran de sa beauté sensuelle.

On dit qu’à force de répétitions de l’exposition d’un sujet à un phénomène donné, ledit sujet finit inévitablement par l’apprécier. « Coming Attractions » joue certainement sur ce registre tant dans la forme que dans le fond. Du cinéma documentaire de Tscherkassky naît la proposition d’un point de vue sur ce produit qu’est la matière film et sur les phénomènes d’attractions que peuvent induire les images données à voir dans celui-ci. Ici, les gestes simples et mécaniques des ménagères montrées dans les spots ventant des produits (jamais montrés à l’écran dans le film) deviennent sensuels et changent de sens lorsqu’ils sont découpés, ralentis, accélérés dans une répétition lancinante de chaque séquence.

coming-attractions

Le montage atteint son paroxysme quand le réalisateur l’emploie, sans distinction de genre (pub ou film), sur des gros plans de visages de femmes. Au détour d’un regard, il transfigure un plan, plus ou moins anodin, en un appel peu farouche. Ces œillades sont-elles autant d’incitations à consommer (pour les spots de pub), à nourrir une intrigue (pour les films de cinéma), ou bien à venir voir de plus près ce qui peut se passer dans cette expérimentation ?

« Coming Attractions » repense la réception des images de consommation. Tscherkassky prend le parti, comme à son habitude, de transfigurer le message initial des rushes dont il dispose. Cependant, la particularité de « Coming Attractions » vient de la nature même des images utilisées.

Si dans ses précédents films il utilisait des rushes de fictions de cinéma, l’emploi de bouts de films de consommation de masse, en parallèle à ceux de cinéma, propose une lecture juste de ce qu’était (et ce qu’est toujours ?) la culture pop : un amalgame complexe de perceptions artistiques, culturelles, sociales et consuméristes.

Fanny Barrot

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Palmarès du 33ème Festival International de Films de Femmes

Meilleur court-métrage étranger :

Little Children, Big Words de Lisa James Larsson (Suède)

500€ offerts par le Festival

Meilleur court-métrage français :

L’invention des jours heureux de Sandrine Dumas (France)

Achat de droits de diffusion sur les antennes de CINÉCINÉMA

PRIX DE L’ASSOCIATION BEAUMARCHAIS – Meilleur court-métrage francophone à :

Au milieu de nulle part ailleurs de Annick Blanc (Canada)

1500€ et une bourse d’aide à l’écriture

PRIX DU JURY UNIVERSITE PARIS EST CRETEIL – Meilleur court-métrage européen à :

Little Children, Big Words de Lisa James Larsson (Suède)

1500€ par l’Université Paris Est Créteil

MENTION SPÉCIALE

(The Importance of ) Hair de Christina Höglund (Suède)

PRIX « PROGRAMMES COURTS ET CREATION CANAL + » – Meilleur court-métrage à

Chacun son goût de Hyun Hee Kang (France)

Achat des droits de diffusion par Canal +

PRIX FRESNES AVEC LE SERVICE PÉNITENTIAIRE D’INSERTION ET DE PROBATION 94

Depuis 2004, le Festival organise et anime des projections-débats pour les détenues de la Maison d’Arrêt de Fresnes. Cette action culturelle en milieu carcéral est le fruit de la solide collaboration, nouée depuis plusieurs années avec le SPIP 94*.
En 2008, le Festival crée le prix « Fresnes ». Les détenues constituent un jury encadré par l’équipe du Festival et visionnent les courts métrages en compétition afin d’en primer un de leur choix.
La réalisatrice élue est invitée à la Maison d’Arrêt de Fresnes afin de rencontrer le jury.

… Un ange passe de Leyla Bouzid (France)

Palmarès du Cinéma du réel 2011

Le jury international, composé de Marta Andreu (productrice, Espagne), Gueorgui Balabanov (Cinéaste, Bulgarie), Marie-Hélène Dozo (monteuse, Belgique), Jean Gaumy (photographe et réalisateur, France) et Mehran Tamadon (réalisateur, Iran), a décerné les prix suivants :

* GRAND PRIX CINÉMA DU RÉEL :
Palazzo delle Aquile de Stefano Savona, Alessia Porto, Ester Sparatore (France, 2011)
Doté de 8 000 euros par la Bpi avec le soutien de la Procirep

* PRIX INTERNATIONAL DE LA SCAM :
Distinguished Flying Cross de Travis Wilkerson (Etats-Unis, 2011)
Doté de 4 600 euros

Le jury Premiers Films, composé de Raed Antoni (réalisateur, Palestine), Maria Bonsanti (programmatrice festival dei Popoli, Italie) et Dominique Marchais (réalisateur, France), a décerné le prix suivant :

* PRIX JORIS IVENS :
Il Futuro del mondo passa da qui d’Andrea Deaglio (Italie, 2010)
Doté de 7500 euros par Marceline Loridan Ivens, La Fondation Européenne Joris Ivens et l’association Les Amis du Cinéma du réel
* Mention spéciale : Eine ruhige Jacke de Ramón Giger (Suisse, 2010)

Le jury international et le jury Premiers Films ont décerné conjointement le :

* PRIX DU COURT MÉTRAGE
Extraño Rumor de la tierra cuando se atraviesa un surco (secuencia 75, huerto de Juana López, Toma 01) de Juan Manuel Sepulveda (Mexique, 2011)
Doté de 2 500 euros par la Bpi et par Vectracom (deux Betanum avec incrustation du sous-titrage)

Le jury des jeunes, composé de 5 lycéens et de Vanina Vignal (cinéaste) a décerné le prix suivant :

* PRIX DES JEUNES – CINÉMA DU RÉEL :
Exercices de disparition de Claudio Pazienza (Belgique/France, 2011)
Doté de 2 500 euros par le Centre Pompidou, avec le soutien de la Mairie de Paris.
* Mention spéciale : Fragments d’une révolution , Anonyme (Iran/France, 2011)

Le jury des bibliothèques, composé de Christine Puig (médiathèque José Cabanis, Toulouse), Joël Gourgues (médiathèque Pierre et Marie Curie, Nanterre), Emmanuel Valentini (bibliothèque Marguerite Yourcenar, Paris) et du cinéaste Jean-Patrick Lebel, a décerné le prix suivant

* PRIX DES BIBLIOTHÈQUES :
La Mort de Danton d’Alice Diop (France, 2011)
Doté de 6 000 euros, par la Direction générale des médias et des industries culturelles
* Mention spéciale :
The Ballad of Genesis and Lady Jaye de Marie Losier (États-Unis/France, 2011)

Le Jury de l’Institut français, composé de François Caillat (réalisateur), Elsa Cornevin (attachée audiovisuelle à l’Ambassade de France à Lisbonne – Portugal), Anne Coutinot (chargée de mission au département cinéma de l’Institut français), Christine Houard (chargée de mission au département cinéma de l’Institut français), Anne-Catherine Louvet (chargée de mission au département cinéma de l’Institut français) a décerné le prix suivant :

* PRIX LOUIS MARCORELLES :
Fragments d’une révolution , Anonyme (Iran/France, 2011)
d’une valeur de 10 000 euros, comprenant l’achat de droits et l’édition d’un dvd multilingue
* Mention spéciale : The Ballad of Genesis and Lady Jaye de Marie Losier (Etats-Unis/France, 2011)

Le Département du pilotage de la recherche et de la politique scientifique – Direction des patrimoines – ministère de la Culture et de la Communication a décerné le prix suivant :

* PRIX PATRIMOINE DE L’IMMATÉRIEL :
La Place de Marie Dumora (France, 2011)
Doté de 2 500 euros

Elégie de Port-au-Prince d’Aïda Maigre-Touchet

Stupeur et tremblements

Présenté au Cinéma du Réel à Pompidou dans la compétition Contrechamp français, le film d’Aïda Maigre-Touchet rend hommage au poète et troubadour haïtien, Dominique Batraville. En suivant l’écrivain sur les ruines de Port-au-Prince, la réalisatrice offre une lecture lyrique d’une ville et d’un peuple qui traditionnellement « a un pied dans la vie et l’autre dans la mort ».

elegie

Dominique Batraville parcourt la capitale haïtienne, scandant son amour inconditionnel à l’âme de celle qui fut autrefois comparable à Genève pour sa propreté et son « bien-vivre », et qui n’est aujourd’hui plus que ruines et désolation.

Grâce à un rythme lent, une empathie marquée par le respect et l’admiration de son sujet, « Elégie de Port-au-Prince » fait apparaître une foule de détails qui, à travers la fenêtre du présent, habitent la ville maudite et la font renaître de ses cendres. Parce que son âme, selon Batraville, même perfide, même damnée, survit dans l’Art qui la libère et la transporte loin de la souffrance matérielle.

L’artiste est ce messager surgi des décombres affirmant que sa ville reste habitée sous le manteau poussiéreux de la misère. Des ruines jaillit un renouveau et de la perte naît l’espoir de la (re)construction.La caméra de la réalisatrice se faufile sur les chemins escarpés de la première République Noire, suivant un guide exalté tout en gardant une jolie distance critique . Quand le cinéma croise les frontières du réel.

Marie Bergeret

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Focus Cinéma du réel 2011

Du 24 mars au 5 avril derniers s’est déroulée, au Centre Pompidou, la 33ème édition du Cinéma du Réel, le festival international de films documentaires. Au programme, des courts et des moyens métrages en compétition nationale et  internationale ainsi que des séances spéciales et des rétrospectives.

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Découvrez dans ce focus :

La critique de « La Bohème » de Werner Herzog (Royaume-Uni)

L’interview de Javier Packer-Comyn, directeur artistique du festival

La critique de « Coming Attractions » de Peter Tcherkassky (Autriche)

La critique de « Elégie de Port-au-Prince » d’Aïda Maigre-Touchet (France)

Le Palmarès 2011

La programmation

Festival Courtisane 2011 – le palmarès

Winners of the 2011 competition: Sarah Vanagt and Miranda Pennell

The 10th edition of the Courtisane Festival for film, video and media art closed on Sunday 3rd April 2011. At the award ceremony, the festival jury − Marina Kozul (HR, organiser/curator), Adam Pugh (UK, curator/writer/organiser) and Vincent Meessen (BE, visual artist/curator) − announced the Belgian and international winners. Directly afterwards the winning works were shown again. The prize for the best Belgian work was awarded to Brussels based filmmaker/visual artist Sarah Vanagt (°1976) for her latest video, The Corridor (2010). It’s the second time Sarah Vanagt is a Courtisane Festival laureate, in 2007 she won the Belgian competition with First Elections.

http://www.balthasar.be
http://www.courtisane.be/en/festival/2011/programme/intimate-portraits

The jury statement on The Corridor:
We appreciated the film’s proposal to re-evaluate the relationship between humans and animals on a political level – and in particular its suggestion that the basis of this relationship may be inverted, so that the animal cares for the human.
In doing so, it questions notions of domesticity and humanity, bestiality and consciousness with understated rigour, revealing a dignity of purpose and of realisation.
The film is courageous, too, for choosing to reveal its own process, and for its subsequent restraint: in speaking quietly, it achieves a clarity and depth which might in other hands have been lost.

The international award was handed out to Miranda Pennell (°1963), a London based film and video artist with an extensive background in contemporary dance and visual anthropology, for Why Colonel Bunny Was Killed (2010). The work of Miranda Pennell isn’t new to the audience of the Courtisane Festival either. In 2008 her short film Drum Room was screened at the festival, and in 2007 You made Me Love You.

http://www.mirandapennell.com
http://www.courtisane.be/en/festival/2011/programme/other-side

The jury statement on Why Colonel Bunny Was Killed:
The politics of difference and of inequality also hung above this work. Rephrasing the title of a photograph included in the film, ‘Why Colonel Bunny Was Killed’ transforms a caption into a statement, changing the status of the original as a means to interrogate the documentation of history.
Using original documents to highlight the symbolum of power and thereby to exhume the clues left by the would-be victors, the artist re-evaluates part of her own history to speak of a wider thruth; at once to challenge the authority of the archive of supposidly impermeable documents and to reacquaint us, as a western audience, with a degree of doubt about the legitimacy of our worldview.
In doing so, the artist also illuminates an entirely contemporary yet parallel situation, and taken together these elements speak not only of her personal resolve but of the circularity of history itself – and of its continuity bias for power and the powerful. “Facts, after all, are opinions.” (Gandhi)

D comme Dr Nazi

Fiche technique

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Synopsis : Charles Chinaski est un type à problèmes et se considère comme responsable de la plupart de ses problèmes. Il décide un jour de consulter le premier docteur venu.

Réalisation et scénario : Joan Chemla d’après la nouvelle « Dr Nazi » de Charles Bukowski

Genre : Fiction

Durée : 15′

Année : 2010

Pays : France

Image : Yorgos Arvanitis

Son : Damien Tronchot

Montage : Béatrice Herminie

Montage son : Damien Tronchot

Mixage son : Aymeric Dupas

Interprétation : Nicolas Clerc, Bernard Waver, Céline Samie

Production : KG Produtions

Article associé : la critique du film

Dr Nazi de Joan Chemla

Après « Mauvaise route » (2008), Joan Chemla a choisi de sortir des sentiers battus en réalisant « Dr Nazi », un court métrage inspiré de la nouvelle éponyme de Charles Bukowski. Lauréat du Prix Canal + à Clermont-Ferrand cette année et sélectionné à Créteil, au Festival International de films de femmes, le film traduit l’univers du romancier américain avec une aisance audacieuse.

« Dr Nazi » s’ouvre sur un montage élaboré d’images déclinant la signification du mot « fuck« , en anglais puis se substitue subtilement à la narration du film, en français. Si la prose bukowskienne exhale la bière et le gros rouge, le film de Joan Chemla, quant à lui, embaume l’éther et le formole des cliniques aseptisées. Charles Chinaski (alter égo fictif de l’écrivain maudit), ivrogne instable et asocial décide de consulter un médecin pour résoudre ses problèmes. Par facilité, il se rend chez le docteur Kiepenheuer situé à deux pas de chez lui.

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Au fil des consultations une étrange relation s’installe entre Chinaski, hypochondriaque croyant être atteint d’un cancer, et Kiepenheuer, ex-Nazi reconverti en thérapeute énigmatique. Les rapports entre le soigné et le soignant s’inversent vicieusement car le médecin trouve en Chinaski l’écoute idéale, l’autiste inapte et incapable de se révolter (« désolé, moi, je ne lutte pas »), sur laquelle il déverse ses frustrations et humiliations d’un mariage raté qu’il considère plus affligeant que son appartenance au nazisme.

La réalisatrice fait des choix judicieux pour rendre compte des angoisses de son personnage principal, victime d’un père tyrannique. Les pensées de Chinaski parviennent par le biais d’une voix off sensible et fragile qui expose une personnalité trouble. La blancheur immaculée répétée tout au long du film au travers de nombreux fétiches (radio, murs du cabinet de consultation, draps…) trahit une culpabilité refoulée bien au-delà d’une apparence idéale et bien comme il faut. Chemla alterne volontairement plans d’ensemble et plans rapprochés significatifs, sons d’ambiance et musique, qui tantôt participe à l’histoire, tantôt accompagne l’ascension de Chinaski vers l’éternité. Voilà un deuxième court pour Joan Chemla, chirurgicalement mis en scène.

Marie Bergeret

Consultez la fiche technique du film

S comme Stendali

Fiche technique

Synopsis : Ce documentaire de mise en scène constitue un des derniers témoignages d’un chant funèbre en griko (dialecte de l’Italie du Sud d’origine grecque), filmé à Martano, village du Salento, inspiré de la leçon du cinéma soviétique et de l’oeuvre ethnologique d’Ernesto De Martino.

Genre :  Documentaire

Pays : Italie

Durée : 11′

Année : 1960

Réalisation : Cecilia Mangini

Scénario : Pier Paolo Pasolini, Cecilia Mangini

Image : Giuseppe De Mitri

Montage : Renato May

Musique : Egisto Macchi

Interprrétation : Lilla Brignone

Production : Vette Filmitalia

Article associé : la critique du film

Stendali (Suonano ancora) de Cecilia Mangini

Dum pendebat filius

Documentaire sur les rites mortuaires dans la région des Pouilles au sud de l’Italie, « Stendali (Suonano ancora) » pose un regard sur la féminité dans sa dimension expressive et émotive. Une œuvre obscure et fascinante de Cecilia Mangini, mise à l’honneur dernièrement au Festival de Films de Femmes de Creteil.

À Martano, dans le talon de la botte italienne, jusqu’il y a peu de temps, la veille funéraire se faisait à domicile pour les femmes – auxquelles il était défendu d’assister à l’enterrement – en présence des pleureuses professionnelles, telles qu’on en trouve encore dans certains pays du Proche-Orient et dans quelques régions de l’Inde.

L’éloge funèbre, sous forme d’un chant scandé en griko (dialecte grec de la région), est traduit dans un registre hautement poétique par Pier Paolo Pasolini, collaborateur fréquent de la cinéaste. Hormis les personnes filmées, le seul « personnage », extradiégétique, est incarné par la voix de l’actrice italienne Lilla Brignone (« L’Ecclisse ») qui, par sa déclamation poignante, fait écho au tragique de l’eulogie croissante jusqu’à la frénésie. Le texte laisse entendre un renversement du rapport entre le mort et les vivants en faisant allusion au défunt comme un enfant nécessitant des soins quotidiens qu’il n’aura plus à force d’avoir quitté le monde des vivants : un déploiement idiomatique et archéen du thème de la Mater dolorosa et du culte marial omniprésent dans l’Europe méridionale.

L’humanisme de Mangini est doté d’une dimension engagée par le biais du prologue textuel de Pasolini, qui situe d’emblée le sujet dans le contexte historique d’une Italia anno zero sortant difficilement de la misère de la post-guerre. Ce traitement est renforcé formellement par une bande son sombre et une image maîtrisée dans laquelle la photographe-cinéaste et le chef op’ Giuseppe De Mitri alternent des tableaux collectifs dignes des cinéastes soviétiques et de gros plans intimes, évoquant des scènes de la Pietà. Le tout imprégné de la sévérité quasi orthodoxe de l’esthétique des Pouilles.

Témoignage précieux de mœurs disparues, « Stendali » sonne toujours et rappelle que la réalité peut se révéler parfois bien plus spectaculaire que la fiction.

Adi Chesson

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