Marek Skrobecki : « Je n’ai pas du tout envie de déshumaniser mes films, je préfère inviter le spectateur à regarder le monde avec un œil différent »

Animateur polonais reconnu, rattaché au légendaire studio Se-ma-for, Marek Skrobecki, est l’auteur du conte poétique « Danny Boy », lauréat du Métrange du Format Court au festival Court Métrange de Rennes. Début décembre, il était à Paris pour présenter ses films dans le cadre d’une rétrospective organisée par le Carrefour de l’Animation, au Forum des images. Entretien particulier dans un espace rose et feutré de la Salle des collections.

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© Cezary

Vous avez démarré votre carrière relativement tardivement. Quel a été votre parcours avant de vous mettre à l’animation ?

A l’époque, en Pologne, il était intéressant de prolonger ses études le plus longtemps possible. Nous étions en plein communisme et l’université était gratuite. J’ai fait un cursus de quatre années en sociologie, mais je ne me voyais absolument pas devenir sociologue. J’étais intéressé par les disciplines artistiques comme le dessin et le cinéma, mais à l’époque je doutais encore de mes capacités à intégrer l’Ecole de cinéma de Lodz. J’ai poursuivi mes études aux Beaux-Arts et je me suis rapproché de mon rêve artistique, mais plus les études touchaient à leurs fins, moins je m’envisageais comme un artiste. Une fois mes études achevées, j’ai enfin trouvé le courage de passer un examen pour entrer à l’école de Lodz. Finalement, j’y ai été admis, ce qui m’a permis d’envisager de faire un film à Se-Ma-For qui était déjà à l’époque un studio national incontournable pour le cinéma d’animation.

Quel était votre regard sur le cinéma d’animation polonais de l’époque ?

C’était un âge d’or pour le cinéma d’animation polonais avec des films remarquables qui se ressemblaient beaucoup, notamment par la technique du découpage, une activité importante de la part des studios à Varsovie, à Cracovie et à Lodz, de nombreux prix et une reconnaissance internationale pour des gens comme Walerian Borowczyk dont les films m’ont beaucoup influencé. Les courts métrages passaient au cinéma, avant les séances des longs métrages, ce qui permettait de découvrir de nouveaux auteurs inconnus.

Au-delà de la question de la renommée, est-ce que l’intérêt pour l’animation était lié à la situation politique ? Osait-on exprimer des choses en animation qu’on n’arrivait pas à évoquer autrement ?

À l’époque, les films ne circulaient pas sur Internet, le sentiment de savoir ce qui se passait dans le monde entier était rare dans un pays comme le nôtre. Parfois, l’animation était politique, la censure ne permettant pas de montrer les choses directement. Mais on n’abordait pas les questions politiques de front, on contournait plutôt la censure en montrant les choses de façon allusive. Les films étaient plus philosophiques que politiques, leur portée reste d’ailleurs encore assez actuelle.

Avez vous rencontré des difficultés pour faire votre premier film, « Epizod »?

Non, pas particulièrement. « Epizod » est mon film de fin d’étude, et une fois le scénario approuvé par l’école, j’ai pu bénéficier d’un financement du studio Se-Ma-For. Pour ce film, j’ai utilisé une méthode d’effets spéciaux aujourd’hui complètement révolue mais qui à l’époque était beaucoup employée, même à Hollywood. C’était un travail technique difficile et laborieux qui consistait à exposer plusieurs fois la même image. Cela demandait beaucoup de temps et d’énergie. Commencer par la difficulté m’a aidé pour la suite, le film a reçu un très bon accueil, il a été primé et j’ai été perçu comme nouveau talent. Cela a grandement facilité ma carrière car le regard des gens sur mon travail a changé, et j’ai pu sortir des sentiers battus du dessin animé pour enfants.

Vous vous êtes spécialisé dans l’animation de marionnettes, mais vos films sont assez sombres et semblent plutôt s’adresser à des adultes. Avez-vous ressenti le besoin de vous démarquer des films pour enfants ?

À l’époque de mes études, les films d’animations avec des marionnettes étaient exclusivement réservés aux productions pour enfants, ce qui ne m’intéressait pas du tout. Comme je ne voyais pas non plus comment développer un travail original en dessin animé, j’ai finalement décidé de faire des films avec des marionnettes qui auraient la particularité de s’adresser aux adultes. Je préfère leur transmettre des messages qu’aux enfants, cela me stimule bien plus comme public.

Vous avez été amené à créer et à animer des marionnettes grandeur nature, pour votre film « D.I.M. ». Pour quelle raison avez-vous cherché à travailler avec une échelle à taille humaine ?

En 1992, j’ai réalisé « D.I.M » avec des marionnettes à taille humaine dans un décor à grande échelle. C’était un travail original qui n’avait jamais été fait auparavant, et aussi une expérience très formatrice pour moi. Utiliser des personnages de cette dimension m’a permis d’appréhender la perfection du corps humain et de ses mouvements, tout en facilitant le travail d’animation car lorsque vous devez déplacer vingt fois une marionnette pour réaliser un simple mouvement de main, il est évidemment plus simple de travailler sur des surfaces qui ne vous contraignent pas à penser en millimètres.

Pour mon dernier court métrage, « Danny Boy », cela a été beaucoup plus difficile : j’avais jusqu’à quarante personnages dans un plan, les marionnettes étaient beaucoup plus petites, donc plus compliquées à animer, et il fallait parfois une heure entière pour réaliser juste une seule image.

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Il y a une autre analogie avec l’être humain dans votre travail, c’est la question du regard. Dans vos films, celui-ci est très expressif. La séparation entre l’inhumain et l’humain est très fine, elle crée même un malaise, je trouve.

Ah, mais ça doit être dérangeant ! L’expression d’une poupée, matière sans vie, qui se met à devenir vivante par le biais de l’animation est très, très intéressante. Le travail des marionnettes permet justement de créer un rapport avec le spectateur qui peut avoir quelque chose de dérangeant dans sa relation avec la matière et je crois que la mise en mouvement d’un personnage non-humain parvient finalement à donner plus de force à l’expression que celle exprimée par un véritable acteur.

Il y a plusieurs mots-clés qui interviennent dans votre travail : le fantastique, le sombre, la métaphysique. Etes-vous un auteur de films fantastiques ?

Je n’ai jamais envisagé de faire des films de science-fiction à proprement parler même si je me sens proche d’univers comme ceux de « Brazil » ou de « Metropolis », notamment par leurs ambiances et leurs décors. Je n’ai pas du tout envie de déshumaniser mes films, et je préfère inviter le spectateur à regarder le monde, la réalité avec un œil différent. Cela m’intéresse que mes personnages soient traversés par des expériences. Mes films ne se posent pas qu’en termes de questions techniques ou de scénario, mais font directement référence aux problèmes que rencontrent les êtres humains dans la vraie vie. La société dans laquelle évolue « Danny Boy » par exemple n’a finalement rien de particulier, il s’agit bien de notre société à nous.

« Epizod », « D.I.M. », « OM », « Ichthys », « Danny Boy » ne comportent pas la moindre parole. C’est important pour vous de faire des films muets ?

Oui. J’ai une conception dans la vie qui dit qu’à chaque fois que je ne suis pas obligé de parler, je préfère me taire.

Alors, si vous le pouviez, vous ne parleriez pas non plus maintenant, pour cette interview ?

Ce n’est pas la même chose. Je ne suis pas une marionnette (rires) !

Vous êtes en train de travailler sur l’animation d’un long métrage « The Flying Machine » mais votre parcours se situe plutôt en court métrage. Qu’est-ce que le court métrage pour a appris ?

Je n’ai pas fait tant de films courts que ça, mais chacun d’entre eux m’a apporté beaucoup de choses. Je remarque une progression technique à travers chaque film, que ce soit au niveau des marionnettes ou des décors. Mon niveau d’exigence personnelle ne fait que s’accroître, et je me dis que mon prochain film sera encore meilleur que le précédent. Actuellement, je suis en recherche de financement pour adapter « La Métamorphose » de Kafka. C’est un projet qui m’anime particulièrement et je sens que j’y ai beaucoup à apprendre.

Propos recueillis par Katia Bayer, traduits par Katia Sulisa-Alves, retranscrits par Xavier Gourdet

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