Dernièrement primé par Format Court au festival Court Métrange de Rennes et projeté au Carrefour de l’Animation au Forum des Images, « Danny Boy » impressionne par son acuité visuelle et sa richesse narrative. A la croisée de la fable fantastique et d’une chronique contemporaine, Marek Skrobecki, loin d’en être à son premier coup d’essai, signe un film d’animation polymorphe.
Le film s’ouvre sur une ville grise, froide, offrant au loin une vue sur deux tours, ombres portées du 11 Septembre. Cette étrange scène d’ouverture est accompagnée du son des cornemuses, et nous voilà catapultés au cœur de la grande ville, un travelling vertical nous faisant alors découvrir des jambes qui s’activent à un rythme effréné comme l’impose la grande métropole. La cité est déjà absurde et inhumaine, la scène parait quotidienne mais voilà que le travelling continue et laisse découvrir des personnages à la tête manquante.
La grande force du film est de faire cohabiter une vérité sur notre société contemporaine et la fantaisie de la fable. Métaphore grotesque de l’individualisme poussé à son paroxysme ? On pourrait le croire tant Marek Skrobecki insiste sur cette absence de cœur des passants qui ne se regardent plus et qui ne daignent pas s’arrêter en cas d’accident. Le film ne dit pas seulement ça : à la manière d’un film fantastique, il développe également l’argument d’un monde futuriste, peut-être décimé par une étrange épidémie qui a fait perdre la tête à toute une population. Mi-animal, mi-homme, l’homme du futur est à la fois régressif et avancé, tant il se rapproche d’un robot mécanique : on pense à cette terrible scène où les personnages récemment touchés par le fléau de l’homme sans tête, réapprennent à marcher à l’aveuglette, forcés de redécouvrir le monde par le biais du toucher. Certains paraissent alors condamnés à l’errance, laissant place à un terrible clin d’œil à la théorie darwinienne de la sélection naturelle.
L’humour noir n’est donc pas exempt du film et contribue à dépeindre un monde sans âme, dépourvu du sentiment de compassion. Une scène en particulier semble amorcer cet engrenage de l’humour désespéré : un mendiant, sans tête donc, arbore à son cou, comme une ultime tentative de se démarquer des autres, un carton sur lequel est inscrite la mention « Blind ». A ces êtres sans visage et sans épanchement, s’oppose, on le croit au début, Danny, le garçon qui garde encore la tête haute. Un travelling avant assez brutal nous le fait découvrir d’une façon inattendue, au milieu de la foule. Il est, de suite, montré comme « l’outsider », le désaxé, dans une société où chacun s’apparente à tous.
Dès cette exposition, le film prend en charge son point de vue : les sons de la ville sont étouffés, comme si le personnage ne se rendait pas compte de l’agressivité des uns envers les autres ou comme s’il était déjà sourd à leur violence. Et puis, il fait une rencontre déterminante, celle d’une femme qui n’accepte guère ce qui fait son exception. La scène amoureuse donne lieu à un échange cocasse : ne sachant pas où regarder (la femme est évidemment dépourvue de tête), le protagoniste ne peut que regarder sa poitrine.
Le film se règle, dès lors, mécaniquement sur le rythme de Danny, le seul personnage qui possède un visage. Il s’attelle alors à une drôle de tache dont on prophétise l’issue fatale. Pour se faire accepter du tout ensemble, Danny est contraint de se mutiler, et de se soumettre à cette forme de dictature du toucher. Il installe donc une guillotine et se décapite lui-même. Seule tache de couleur dans ce film quasi monochrome, le sang de Danny macule la ville morte, de rouge. Pas pour longtemps puisque la dernière scène, empreinte d’ironie tragique, le montre sautillant à la manière de Charlot au bras de sa douce, désormais comblée. Au loin pourtant, un avion percute une des tours de la ville et le monde s’embrase. Mais jusqu’ici tout va bien…
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