Les destinées sensibles des amants éternels Image et Son
Comment parler de ces enfants terribles qui ne peuvent se passer l’un de l’autre depuis l’origine du cinéma ? Comment transmettre cette passionnante relation qui les unit ? Comment parler de ce lien fusionnel qui les transcende l’un et l’autre quand l’alchimie opère ? Dernièrement, le Festival Paris Courts Devant a permis à son public de mettre le doigt sur une partie des réponses à ces questions en proposant un programme en compétition de Films de musique.
Une pluralité de formes sonores
Le fait le plus marquant de ce programme est sans doute la grande diversité de formes et de contenus des films présentés. La musique prend différentes formes dans les films, de la plus attendue à la plus décalée : elle y est tour à tour pratique instrumentale (« L’accordeur » d’Olivier Treiner), personnage (« Conversation piece » de Joe Tunmer), illustration sonore (« Flatbed » de Tom Merilion), thématique principale (« Leçon de ténèbres » de Sarah Arnold), bande originale (« Le dernier passager » de Mounes Khammar), …
Cette variété s’exerce également dans les genres musicaux représentés qui vont du classique (« Leçon de ténèbres » avec une musique de Virgile Van Ginneken) à la chanson (« L’attaque du monstre géant suceur de cerveaux de l’espace » de Guillaume Rieu sur une musique de Mathieu Alvado) en passant par le jazz (« Conversation piece » basé sur le morceau du même nom interprété par Rex Stewart). C’est bien connu, la musique classique adoucit les mœurs là où le hard rock conduit plutôt à l’énervement. Prêts à jouer (plus ou moins) de ces poncifs, certains des films présentés détournent les codes attachés aux différents styles musicaux pour mieux servir la narration.
Dans « L’accordeur », qui est sûrement l’exemple le plus frappant, un joueur de piano virtuose se retrouve bien malgré lui contraint de jouer un morceau classique pour contenir les ardeurs meurtrières d’une cliente ! Du point de vue auditif, le réalisateur a utilisé, outre la musique de Raphaël Treiner, des thèmes classiques très connus de Schuman et Rachmaninov.
Un programme qui flirte avec les genres
Le programme se compose ainsi de films où la musique est présente sous de multiples formes. Il met également à l’honneur les films dits de genre et notamment la comédie musicale. On trouve ici tout le plaisir désuet de ce genre, mais également le sérieux de l’exercice et la complexité dans l’écriture de celui-ci. Les comédies musicales présentées fonctionnent, qu’elles soient sur le ton de l’humour ou qu’elles soient plus âpres (« Groove your life », réalisé et mis en musique par Franck Lebon, « La France qui se lève tôt » d’Hugo Chesnard sur une musique de Serge Balu, Damien Tronchot et Antoine Larcher). S’il faut s’attarder quelques instants sur l’une d’entre elles, parlons de l’incroyable et déjantée « Attaque du monstre géant suceur de cerveaux de l’espace ». Guillaume Rieu propose une comédie musicale acidulée avec des monstres dans laquelle les morceaux musicaux chantés et dansés ajoutent une note décalée et désuète. Ceux-ci portent le récit et s’intègrent sans fausse note dans cet hommage aux séries Z.
Les autre genres mis à l’honneur dans la programmation sont : le film à suspense avec « L’accordeur » qui joue sur la corde sensible du spectateur et sur le retournement de situation, le drame dans « Leçons de ténèbres » où la musique est mise en abyme (elle y est d’une part une musique jouée à l’image par des instrumentistes et d’autre part bande sonore qui souligne le drame du récit) ou encore le film dansé avec « Flatbed » où le son, composé par Howard Skempton et Robert Shaw, parfait une ambiance étrange mais supporte surtout la mise en scène dansée des protagonistes. Sans être un prétexte, elle n’est dans ce dernier film qu’un relais sensoriel à la narration.
Un langage universel, la fabrique des sensations
Quand un célèbre magazine parle du « poids des mots, (et du) choc des photos », en cinéma, on peut aisément se réapproprier cette expression, la musique appuyant, détournant, accrochant les sensations provoquées par les images animées. Dans « Le dernier passager », Mounes Khammar suit les derniers instants d’un jeune homme jusqu’à sa mort. La narration est transcendée par une création musicale de Zyad Rahbani qui est rythmée sur les actions du personnage. La musique insiste sur les sentiments provoqués par les images. Il n’y a aucun doute, le ton est clairement tragique, image et son se répondent sur le thème de la mort qui plane. Le film est bref comme ce qu’il montre et ce qu’il laisse entendre. On est presque dans une construction clippesque sans avant ni après, l’action est saisie et vive, la musique est au final plus qu’une bande originale. Elle supporte l’idée force du film. Dans cette relation musique/image, le langage ne passe pas par les mots, chacun peut percevoir les intentions du cinéaste, les codes sont universalisés. On retrouve cette fonction dans « Conversation piece » où Joe Tunmer a été au bout de l’idée de « fabrique de sentiments » par le son et la musique. Ici, cette dernière va jusqu’à prendre la place du personnage principal. En substituant la parole des acteurs à un morceau de jazz, le réalisateur transpose une scène de ménage en un mouvement musical. Les voix sont remplacées par les notes d’un instrument. Le phénomène est assez troublant : sans parole et uniquement avec la grammaire des sons, on comprend la scène, on irait presque jusqu’à interpréter les mots prononcés par… les acteurs ou les instruments ?
Un programme riche à reconduire ?
Les propositions de ce programme sont denses et variées. La thématique Films de musique semble assez inépuisable tant images animées et sons sont liés. Les films présentés dans le programme ont le mérite d’être des œuvres très accessibles. En même temps, on ne peut s’empêcher de regretter qu’il n’y ait eu aucune proposition expérimentale ou d’animation, deux domaines pourtant très portés sur et par la musique en général. Notons également l’intérêt que pourrait avoir la présentation de films de musique asiatiques ou africains par exemple où les codes de l’art musical sont très différents des codes occidentaux. Les futurs programmes de films de musique seront sans doute l’occasion d’aller explorer ces territoires sonores et visuels.
Consulter les fiches techniques de « Flatbed », « L’Attaque du monstre géant suceur de cerveaux de l’espace », « Le dernier passager », « Conversation piece »