Quand la peinture inspire l’animation, un film tel que « Dripped » coiffe le stock sans fin et impersonnel des courts métrages actuels. Coloré, mystérieux et musical, le film de Léo Verrier est un hommage à la création picturale et à Jackson Pollock en particulier. Proposé par Chez Eddy, une société de production aux fausses allures de bar du coin, le film de Léo Verrier se balade entre air jazzy, nuits américaines et conte à part sur l’art.
Milieu du siècle passé, New York. Picasso, Kandinski, Cézanne, Gauguin, Michel-Ange, David, Munch, Arcimboldo, … Tous les tableaux de maîtres des grands musées, Jack les a subtilisés pour ses fins et sa galerie personnelle. Loin de les revendre ou de les conserver pour ses vieux jours de voleur repenti, Jack consomme l’art comme personne : il croque les courbes, les lignes les couleurs pour éprouver au plus près la substance des tableaux (se muer en feu d’artifice coloré, avoir des ailes dans le dos, ne faire plus qu’un avec Dora Maar, …). Lorsqu’à cours de tableaux, Jack se met à peindre et à croquer ses propres toiles, il est très loin des signatures de génies dont il s’est imprégné. Ne supportant pas sa propre médiocrité, il se met alors à jeter des taches de peinture sur sa toile, encore et encore. Celles-ci se superposent et se mélangent, pour ne former plus qu’un mot, le dripping.
Léo Verrier, dans son film, disperse ici et là des pastilles ingénieuses. Il commence avec une atmosphère. Celle d’une ville plongée dans l’obscurité, celle d’un film noir à rebondissements, celle d’une époque révolue, celle du crime artistique le plus romantique. Il poursuit avec un (gros) plan saisissant, celui d’un homme poursuivi par les forces de l’ordre, un Picasso sous le bras, et rejette les temps morts (hallucinante et hallucinatoire passation de tableaux, explosion de couleurs et de formes). Pendant ce temps, Pablo Pico, le compositeur soigne particulièrement ses morceaux de jazz, basculant allègrement du piano aux cordes, en passant par le saxophone. En l’absence de dialogue ou de narrateur, sa musique accompagne à souhait l’intrigue du film. Résultat : « Dripped » se voit autant qu’il s’écoute. Avec délectation.
L’intérêt pour l’histoire de l’art, la volonté de créer coûte que coûte, la représentation de la modernité esthétique, l’hommage à Pollock et à sa technique, le dripping, en lien avec le titre, se ressentent fortement dans ce film. « Dripped » va plus loin, il contourne d’une façon drôle et libre la vérité historique, laissant l’imaginaire de Verrier et la patte de Pico s’étaler et s’éclater à souhait. Le son retrouve sa maîtresse, l’image, les sentiments imprègnent les toiles, la couleur vagabonde entre les fresques, les pots renversés, les ruelles et les galeries de musées. Quand la peinture inspire l’animation, le stock sans fin et impersonnel des courts métrages actuels se personnalise, ne fut-ce que grâce à un bon et curieux film en mouvement.
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