Après avoir tourné plusieurs courts, le réalisateur québécois Nicolas Roy est sélectionné en compétition officielle à Cannes avec « Ce n’est rien ». Refusant de prendre le spectateur par la main, il signe là un film poignant sur l’inceste d’un point de vue original : celui d’un père, découvrant avec horreur ce que sa fille a subi et décidant de « régler » la situation au sein du cercle familial. Tension dramatique, sobriété, économie de moyens, direction d’acteurs, … : Nicolas Roy fait le point.
Beaucoup de films de fin d’études prendront le chemin d’Annecy la semaine prochaine. Répartis en quatre programmes, ils viennent d’Allemagne, de Finlande, d’Australie, des Pays-Bas, et d’ailleurs. En voici leurs titres.
F1
Venus de Tor FRUERGAARD – Danemark
Setkání de Sangeun WON – République Tchèque
Weiss kein Weiss d’Anna BERGMANN (DIT SAMO) – Allemagne
Walkman – Nora JUNCKER – Belgique
Baka!! d’Immanuel WAGNER – Suisse
Heavy Heads d’Helena FRANK – Danemark
Collision de Sarah EDDOWES – Australie
Feestnummer de Danne BAKKER – Pays-Bas
Télégraphics d’Antoine DELACHARLERY, Lena SCHNEIDER, Léopold PARENT, Thomas THIBAULT – France
Kielitiettyni d’Elli VUORINEN – Finlande
Ah de Sung Hwan LEE – Corée du Sud
Laszlo de Nicolas LEMÉE – France
Hinterland de Jakob WEYDE, Jost ALTHOFF – Allemagne
Elnézést de Kati BESSENYEI – Hongrie
Flocons et carottes de Samantha LERICHE-GIONET – Canada
Out on the Tiles d’Anna PEARSON – Grande-Bretagne
F2
Elu kilukarbis de Stella SALUMAA – Estonie
Pimple de Tsung-min HUANG – Taiwan
The Eagleman Stag de Mikey PLEASE – Grande-Bretagne
Balatar Az Abrhaye Khakestary de Sare SHAFIPOUR – Iran
Animal Kingdom de Nils HEDINGER – Suisse
XICHT de Cornelius M. HEINZER – Suisse
Thursday de Matthias HOEGG – Grande-Bretagne
Fischmädchen de Julia Maria IMHOOF – Suisse
Rame Dames d’Étienne GUIOL – France
Plato de Léonard COHEN – France
Mighty Antlers de Sune REINHARDT – Danemark
Condamné à vie de Vincent CARRÉTEY, Hannah LETAÏF – Belgique
Il s’est fait connaître par le clip avant de se risquer au court et au long métrage. Continuant à faire des va-et-vient entre les formes et les idées, il vient de présider le Jury de la Cinéfondation et des courts métrages officiels au dernier festival de Cannes. Rencontre avec Michel Gondry, filmeur filmé.
Synopsis : A Tampa, un homme en proie à une crise de confiance personnelle cherche satisfaction dans les toilettes d’un centre commercial. Une comédie qui mêle toilettes et gang-bang.
Genre : Fiction
Durée : 17’
Pays : États-Unis
Année : 2011
Réalisation : Kyle Henry
Scénario : Carlos Treviño
Image : Pj Raval
Décor : Caroline Karlen
Montage : David Fabelo
Interprétation : Carlos Treviño, Bob E Smith, Stanley Roy, Sammy DeSilva, Michael Dalmon, Jose Villarreal
Production : A.O.K. Productions , C-Hundred Film Corp
La teneur fantasmatique d’un tableau accroché au-dessus du comptoir d’un saloon pourrait procéder d’une telle image; quelques palmiers aux couleurs pâles devant un fond rose bonbon. On y verrait quelques figures au centre, sirotant face au ciel crépusculaire, parlant d’amour et d’eau fraîche. Seulement voilà, le court-métrage américain Tampa, sélectionné à la dernière Quinzaine des Réalisateurs, n’est pas une peinture du dimanche et encore moins un paysage « carte postale ». Reprenant à son compte des clichés bien colorés, il dresse un univers tantôt vide tantôt plein où un homme, dans sa solitude, voit ses désirs osciller entre plénitude et frustration. Nous ne sommes donc pas exactement sur les plages exotiques de Floride mais dans les toilettes d’un centre commercial où seul les fantasmes les plus débridés sont acceptés. Ils s’agit d’une réalité bousculée qui laisse davantage place aux ombres qu’aux traits naturalistes : la carte postale devient une carte de vœux provocante où le rose n’impose qu’un calme apparent. Et pour cause. Toutes les limites de l’imaginable sont repoussées. En somme, une rêverie extatique appelant à la résurrection de la chair…
Septième art : septième ciel ?
Replacer les fantasmes érotiques au cœur du cinéma pour en extraire leur tonalité divine; tel est le pari de Tampa, le second segment d’un quadriptyque consacré à des rencontres sexuelles du septième type et conçu par le cinéaste américain Kyle Henry, qui fait du cinéma en le faisant résolument (ar)rimer avec provocation. Alors que le premier segment se déroulait à San Fransisco, le réalisateur a choisi ici pour décor les petits coins d’un centre commercial de Tampa, une cité de l’ « État ensoleillé ». Un homme au T-shirt rose bonbon, joué par le génial Jose Villarreal, un nouveau Priape visiblement en manque d’assouvissement (homo)sexuelle, voit ses envies trouver une concrétisation. Aussi les frontières entre la réalité et la fiction, entre la vérité et le désir, sont-elles progressivement rendues poreuses. Pendant que les cartes — en même temps que les hommes — se redistribuent, les envies sont plus fortes que la volonté et bientôt notre héros est bientôt dépassé par cette situation irrégulière. Les dieux modernes, les stars et les hommes politiques se mêlent à la partie. Pus généralement, les autorités morales du monde moderne se voient incarner des sex toys fétichisés. Dégoûté par la jouissance à laquelle il n’est que témoin, notre héros va néanmoins bientôt voir son rêve tourner à son avantage. L’excès repousse les limites de l’imaginable pour mieux annoncer l’arrivée de sa propre « extase » au deux sens du terme.
Résurrection de la chair
Si, comme nous le mentionnions en introduction, « érotique », « théologique » et « extatique » font bon ménage, il s’agit d’un ménage christique. L’apparition feutrée du Christ crée bien une combinaison des trois termes, avec toute la retenue, la pudeur et le sacré qu’il convient. L’explosion de jouissance qui avait succédée à la première étape du fantasme laisse alors place à la découverte d’un plaisir charnel inattendu, à la croisée du ciel et de la terre. Le temps fantasmatique, jouant autant sur l’imagination que sur la croyance religieuse, ressemble au temps divin de par sa dimension surnaturelle. La notion d’extase s’applique donc parfaitement à la trajectoire sexuelle démesurée du protagoniste. Cependant, comme la profondeur des choses n’advient que dans l’invisible et la surprise, rien n’indique au départ que les toilettes d’un centre commercial puissent accueillir la messe extatico-érotique à laquelle assiste le spectateur. Les pouvoirs mystiques sont à l’œuvre.
Le devenir du tripoteur
Le film fait singulièrement penser au Chant d’amour de Jean Genet (1950). Tout comme dans ce dernier, l’univers cinématographique renferme une mise à nu aussi rare que provocatrice. Il contribue à inattendue mise à nu des corps mais surtout à une mise à nu du processus fantasmatique. La durée de ce dernier est respectée, même s’il est absent de toute logique linéaire. Ce qui semble intéresser le cinéaste, c’est donc le devenir d’un homme face à sa frustration et à ses fantasmes. Cette œuvre n’est donc pas un film sur la pornographie mais un documentaire sur l’être humain, sa solitude, sa capacité à déformer le monde et se lier aux autres par désirs. Mais les deux prochains épisodes de la série Fourplay participeront-ils à cette même célébration christique rose bonbon ? Rien n’est moins sûr. Dans l’attente, il nous faudra faire face à nos propres fantasmes et faire preuve d’une patience… exquise. Et nous rappeler que, dans certains cas, la fiction dépasse de loin la réalité.
Pour information, « Fourplay : Tampa » sera projeté le jeudi 13 juin 2013, à 20h30, lors de la séance Format Court spéciale Quinzaine des Réalisateurs, au Studio des Ursulines (Paris 5e).
Synopsis : Un garçon qui n’a d’autre famille que son frère aîné couche avec un homme pour de l’argent. À court d’espèces, l’homme suggère une nouvelle rencontre pour le lendemain et lui demande son numéro de téléphone. Mais le portable du garçon est confisqué par son frère qui refuse de le rendre.
Réalisation : Tae-gyum Son
Genre : Fiction
Pays : Corée du Sud
Année : 2010
Durée : 21′
Scénario : Tae-gyum Son
Image : Man-wook Han
Montage : Tae-gyum Son
Son : In-kyung Lee
Interprétation : Min-ho Cho, Shin-hwan Chun, Hyun-woo Son
Derrière un titre des plus complexes se cache un film des plus intéressants. Troisième prix de la Cinéfondation, Ya-gan-bi-hang de Tae-guym Son, réalisé en Corée du Sud, lie passage à l’âge adulte, amours nocturnes et rapports fraternels. Un autre aperçu de l’intimité et de l’amour au-delà des distinctions d’âge ou de genre.
Ce film réalisé à l’Université Chung-Ang s’intéresse à trois hommes : un garçon, un frère et un amant de passage. Le garçon se prostitue à l’insu de son frère aîné qui l’héberge sous son toit. Celui-ci gagne sa vie de manière plus classique, en vendant des tickets aux passants. Tous deux travaillent de nuit et se retrouvent le lendemain matin. Un soir, le garçon couche avec un homme plus âgé que lui, le Maître”, et le revoit le lendemain.
Parce que tout peut changer en l’espace d’une nuit noire, parce que l’amour vaut plus qu’une histoire de belles fesses, parce que les marches d’escaliers sont propices à la promiscité, ce film est à ranger dans les tiroirs de ses souvenirs. Les pluriels (silences, solitudes) y rencontres les singuliers (innocence, intimité, confiance, mensonge), la communication entre les individus y est simple et complexe à la fois, et la représentation des scènes d’amour homosexuel, plutôt taboue en Corée du Sud et plus largement en Asie, y est audacieuse et courageuse pour un film d’étudiant.
Intéressé par le thème de l’adolescence, moment de transition entre l’enfance et l’âge adulte, Tae-guym Son fait intervenir dans son casting restreint Min-ho Cho, un comédien non professionnel et réservé dont l’intériorité se reflète dans le non-jeu. Encore enfant, son personnage à l’air boudeur et au regard absent se retrouve à jouer des jeux d’adulte sans en maîtriser pour autant les codes et sans arriver à se positionner par rapport à son propre désir.
Au-delà de l’encouragement et de l’enveloppe transmis au réalisateur, la récompense de Cannes devrait bel et bien aider le film gagner en visibilité. Une bonne nouvelle lorsqu’on sait que Tae-guym Son travaille depuis cinq ans sur ce scénario.
Le festival international du film indépendant se déroulera du 2 au 4 septembre 2011 à Saint Germain de salles (03). A cette occasion, il lance un appel à projet pour diffuser les films (tous formats) sur le festival.
Pour la troisième année consécutive, le collectif ET DOC ! termine sa saison par une nuit consacrée aux courts métrages, « Jolis Courts de Mai », le vendredi 27 Mai à partir de 18h.
Espace (les cinémas Utopia et le Théâtre des Doms, voisins à « l’ombre du Palais des Papes ») et temps (une soirée en trois étapes et trois programmes entrecoupés de pauses conviviales) à la veille de l’été pour découvrir principalement des créations récentes de formats «courts».
Le Théâtre des Doms (Vitrine Sud de la création contemporaine en Communauté francophone de Belgique) propose systématiquement des œuvres cinématographiques venant de Wallonie et de Bruxelles au cours de la première séance de cette soirée – Et Toc, C’est du Belge! – où vous pourrez découvrir cinq films, cru 2010, en présence de Marie Bergeret du site belge Format Court.
Les deux autres séances – Et Doc!, C’est long c’est court! et Et Hop! C’est Utopique! – ont été concoctées par l’association Cinambule et se termineront par l’intervention de Franco F.Revelli, réalisateur de _Petite histoire d’une république libre.
*Le collectif ET DOC !, constitué dès 2002, propose une saison de programmation de films documentaires sur Avignon et le Vaucluse et il regroupe six structures très différentes (un cinéma d’auteurs/Utopia, une équipe locale de syndicalistes/CGT, des associations de diffusion du cinéma en milieu rural/Cinambule, Filmodéon et Cinéval, deux lieux culturels/Théâtre des Doms et Akwaba).
Présenté en ouverture officielle du festival de Cannes avant le film de Woody Allen et en séance de rattrapage quelques jours plus tard grâce aux demandes insistantes des membres de la presse et des festivaliers, Le Voyage dans la lune de Georges Méliès a été projeté dans une version inédite, en couleurs et en musique. Le court métrage le plus célèbre du magicien français, premier film classé au patrimoine de l’UNESCO, montre une succession de tableaux en couleurs originales peintes à la main avec une musique additionnelle écrite par le groupe Air. Trois structures sont liées à cette restauration et à cette sauvegarde minutieuses : Lobster et les fondations Groupama Gan et Technicolor. Retour sur une résurrection miracle avec Serge Bromberg.
Comment avez-vous été mis en contact avec cette version colorée du Voyage dans la lune ?
En 1993, un anonyme a déposé à la Cinémathèque de Barcelone une collection de plus d’une centaine de boîtes des films des premiers temps dont on ne sait rien, puis, il a disparu. Il y a donc un vrai mystère sur cette copie, on ne sait pas d’où elle vient.
Saviez-vous qu’elle existait ?
Oui, bien sûr. Pratiquement tous les films de Méliès étaient proposés au coloriage. On savait qu’il y avait probablement eu des copies coloriées mais on ne savait pas le nombre exact et on ne le saura jamais. Quand Anton Jimenez, le conservateur de la Cinémathèque, a récupéré ces boîtes, il a rapidement constaté qu’il y avait une copie du Voyage dans la lune en couleur et que le film était complètement décomposé. Le film nitrate n’est pas pérenne, celui-là était totalement pétrifié. Les laboratoires lui ont dit que c’était impossible de récupérer le film.
En 1999, on s’est rencontré après la projection de L’Araignée d’or de Segundo de Chomón, un film perdu, en couleurs, que nous avions retrouvé et restauré. Anton Jimenez a souhaité m’acheter une copie. J’ai refusé de lui en vendre une, je lui ai proposé à la place un échange avec un de ses tirages en couleurs. Il n’avait rien de ce type mais il avait Le Voyage dans la lune de Méliès dont il m’a donné le nitrate. À la fin, il a souri et m’a dit : « Si vous réussissez à tirer dix photos de ce nitrate, vous êtes les rois du monde ! ». Effectivement, quand le nitrate est arrivé, l’idée d’en extraire une photo ressemblait à de la science-fiction.
Eric Lange, l’homme de l’ombre avec qui je travaille depuis longtemps, m’a dit qu’il fallait faire décomposer le film encore d’avantage pour qu’il devienne tout mou. Dans sa cave, il a installé un petit appareil photo et mis le film sous cloche avec un produit appelé le dessiccateur. On a attendu des mois. Tous les jours, Eric ouvrait la cloche et rien ne se passait. Un jour, pourtant, un petit morceau d’image s’est décollé, puis un deuxième, et un troisième. Au bout de deux bonnes années, un tableau trempait encore alors que les autres s’étaient décomposés et décollés entre temps. On avait pu tout photographier et sortir 95% du film avec les moyens de l’époque.
À ce moment-là, vous aviez retrouvé les couleurs d’origine du film ?
Absolument, elles étaient impeccables, mais avec plein de défauts. On comptait avoir deux ou trois images, et tout d’un coup, on s’est retrouvé avec 95% du film. Il devenait plausible de le restaurer sauf que les technologies 2K et les outils numériques n’existaient pas donc les données sont restées sur deux disques durs.
En 2008, le 2K est arrivé. On a été voir les prestataires qui nous disaient que ça allait coûter cher et qu’ils n’étaient pas en mesure de restaurer le film. On était au point zéro. Finalement, la phase moderne de la restauration a commencé en 2010 avec le risque pris conjointement entre Lobster et les deux fondations Groupama Gan et Technicolor qui ont payé plus d’un demi-million de dollars sans savoir si la restauration était possible et combien de temps elle allait prendre. Cela a en fait pris un an, avec huit personnes à plein temps à Technicolor, sur Sunset Boulevard à Hollywood, sous la direction de Tom Burton. Chaque semaine, on alternait avec des moments d’espoir et de désespoir.
Vous parlez de désespoir. Quand ce travail a-t-il commencé à prendre forme ?
Honnêtement, j’ai été désespéré pendant un bon moment, jusqu’au jour où Tom Burton a réussi la performance de mettre deux fichiers en parallèle : sur la droite, les images en noir et blanc et sur la gauche, les images en couleur correspondantes. Il avait une épine dorsale, un squelette, et il disposait les morceaux de chair à la bonne place. Il allait pouvoir reconstituer la chair manquante. Quand on a vu ça, on savait que ça allait demander un temps démentiel mais que c’était continu.
Les couleurs d’origine qui apparaissent dans le film offrent une toute nouvelle lecture du film. Que sait-on à leur sujet ?
La copie que nous possédons est une énigme parce qu’elle est issue d’une deuxième génération, d’un négatif de sauvegarde ou pirate, on ne le sait pas. Elle est à l’évidence espagnole puisque le drapeau français est colorié en rouge et jaune. Les perforations Edison montrent que c’est une copie qui date au maximum de 1905. Elle a été coloriée de l’époque où Méliès était au sommet de son succès. Le style de coloriage est tellement conforme et typique de ce que Méliès demandait et tellement complexe et achevé qu’il ne peut pas s’agir d’un coloriage fait à la va-vite par un exploitant qui possédait de la couleur.
Aujourd’hui, les animateurs doivent travailler à partir d’une charte graphique, respecter les teintes pour la conformité visuelle. Était-ce déjà le cas à l’époque ?
Très probablement, Madame Thuillier, une coloriste possédant un atelier à Paris, avait déterminé avec Méliès les chartes de couleur sur chaque film et chaque tableau. Quand Méliès envoyait un film au coloriage, les colorieuses devaient s’adapter à la charte déterminée. Il est clair qu’il ne supervisait pas le coloriage après-coup mais que l’atelier le faisait.
Savez-vous quels autres films ont été déposés par cet anonyme espagnol ?
Il y avait quatre films apparemment coloriés par un autre atelier et beaucoup moins intéressants.
30 copies de ce Voyage vont être données aux 30 grandes Cinémathèques du monde entier. Faire circuler ce film, est-ce une façon d’essayer de toucher ce donateur ?
Cela s’est passé il y a 18 ans. Je ne sais pas si il est encore vivant. Si il assiste à une projection, on ne saura même pas qu’il sera là ! Anton Jimenez est décédé il y a deux ans. Il n’a vu le film ni terminé ni commencé. Je lui avais promis que le nom de la Cinémathèque de Barcelone apparaîtrait sur le générique. C’est le cas, il également remercié à la fin. Sans lui, le film n’existerait plus, il aurait terminé dans une poubelle.
Vous venez de retrouver une partition originale composée pour le Voyage que personne ne connaissait. Est-ce que ce n’est pas ce morceau qui devrait accompagner le film ?
En 1903, un Anglais, Ezra Read a effectivement composé un morceau, The Trip to the Moon, qui correspond tableau pour tableau au film de Méliès. Ezra Read connaissait probablement Méliès car celui-ci était parti en Angleterre faire ses premières armes et avait même acheté sa caméra à un Anglais, Robert William Paul, étant donné que les frères Lumière ne voulaient pas lui en vendre une. Il est donc possible qu’il ait demandé à son camarade Read, un compositeur assez doué et très reconnu à l’époque, de faire une musique pour son film.
Ceci dit, Méliès n’a jamais exigé aucune musique en particulier lors de l’édition de ses catalogues et la vente de ses films. Chacun était libre de mettre la musique qu’il voulait, ce qui légitime d’une certaine manière notre entreprise de combiner un film de 1902 et une musique de 2011 et d’en faire un objet cinématographique qui traverse les siècles pour être finalement un objet du présent qui brille dans les yeux de celui qui le regarde.
Vous continuez à accompagner les films muets au piano tout en donnant aussi accès aux images à d’autres personnes, comme à Air, qui livrent leur propre interprétation, le temps d’un ciné-concert. Pourquoi ?
C’est leur regard. On me dit qu’il faut passer la musique d’époque, mais depuis, il y a eu Darius Milhaud, David Bowie, Les Beatles, AC/DC, Michael Jackson. Quelque part, les gens ne connaissent plus les musiques de l’époque, il faut les prendre par la main et la musique est un passeport. Je ne dis pas que c’est le passeport absolu mais c’est un moyen pour que le film circule dans le monde entier et voyage vers le jeune public. On m’a demandé de signer pour l’exclusivité de la musique de Air sur le film, j’ai refusé. Le film doit être montré avec n’importe quelle musique, celle que les gens auront choisie.
Vous avez l’impression que les jeunes n’arrivent pas à accéder au film original, sans musique et en noir et blanc ?
Ils ne s’y retrouvent pas. À la limite, j’ai envie que ce film se retrouve dans les boîtes de nuit, que les jeunes dansent sur Air et qu’à la fin, ils se disent : « Mais c’est quoi, ça ? Méliès ? Mais c’est quoi ? ». J’ai envie qu’ils se lâchent et qu’ils s’initient à un moment donné à son univers.
Ce n’est rien du canadien Nicolas Roy fait partie des neuf films retenus en compétition officielle à Cannes, cette année. Portant sur un sujet plus que difficile, le viol d’une petite fille, le film est centré sur le ressenti du père, Michel, joué par un Martin Dubreuil tout en force et en fragilité.
Nicolas Roy, quatre courts métrages à son actif, revient au cinéma avec une histoire de drame, traversé par des thèmes qui lui sont chers (la famille, la désolation ambiante, l’isolement et la mort), qu’il continue à interroger de film en film.
Son précédent court, Jour sans joie, présenté notamment à Locarno, suivait le voyage en voiture d’un homme (Martin Dubreuil déjà) se rendant aux funérailles de sa mère en compagnie de sa femme. La noirceur de cette histoire, la tension provoquée par l’accident de voiture et l’économie de parole, très présentes dans ce film, se retrouvent intensément dans Ce n’est rien.
Au début du film, Michel accompagne sa fille Marie chez le médecin. Celui-ci demande au père après avoir auscultée la fille : « Tu ne sais pas avec qui elle était ? « . Le père répond non. Puis, sort cette phrase fatidique : « Il ne s’est rien passé ». A partir de là, la douleur du père fait écho au mutisme de l’enfant. Ils ont en commun le silence et l’isolement, toute parole et tout contact étant impossibles vu les circonstances. L’homme, dans sa souffrance, se heurte à l’incompréhension de sa mère et à la disparition mystérieuse de son père. Parti à sa recherche, il hurle seul dans sa voiture, frappe violemment le volant, et dégaine une arme. Il n’est plus le même. D’ailleurs, comment pourrait-il encore l’être ?
Ce n’est rien dresse le portrait d’un homme dont la vie bascule le jour où il découvre que sa fille a été victime d’une agression sexuelle. En proie tour à tour au chagrin, au déni et à la rage, il s’embarque pour un voyage impulsif, dans un désir de vengeance, préférant régler seul les problèmes familiaux, sans aide extérieure, quelque soit l’issue de sa décision.
Nicolas Roy laisse ses personnages s’exprimer peu, comme à son habitude. Seuls leurs ressentis, leurs regards, leurs silences, et leurs choix, comptent, d’autant plus que le sujet qu’ils évitent de mentionner est tabou. Du début à la fin du film, la tension est palpable, que ce soit sur le siège arrière, aux côtés de Marie, dans le cabinet du médecin, au contact de la grand-mère ou lors de la traque du pédophile présumé. Des coupes entre les plans et un montage dynamique complètent cette tranche de vie sombre, à vif dans laquelle le spectateur se retrouve confronté, une fois n’est pas coutume, à une émotion étrange, sans pareille liée à la gravité du sujet et à la sobriété du traitement. Ce n’est rien ? C’est déjà beaucoup.
Septième édition de Short Screens, projections mensuelles de courts métrages en salle de cinéma, avec une séance de films éclectiques et atypiques, une programmation d’aujourd’hui et d’hier. Rendez-vous le 26 mai à 19h30 à l’Actor’s Studio, à Bruxelles.
Synopsis : Justine, dite Junior, 13 ans, des boutons et un sens de l’humour bien à elle, est un garçon manqué un brin misogyne. Alors qu’on lui a diagnostiqué une gastroentérite fulgurante, le corps de Junior devient le théâtre d’une métamorphose étrange…
L’adolescence, c’est l’âge des premières cigarettes, de l’affirmation de sa relative indépendance auprès des parents, des premiers émois,… C’est un chantier de réaménagement intérieur, mais aussi de l’apparence. Une étape majeure dans la vie qui ouvre un nouveau champ de possibles. Un sujet développé dans nombres de réalisations et qui ne laisse a priori que peu de surprises. Et pourtant…
« Junior », projeté cette année à la Semaine de la Critique et lauréat du Prix du petit rail d’or, offre une vision parfaitement inédite, tel un conte initiatique, où l’héroïne disgracieuse sort peu à peu de l’état de l’adolescence. La mutation est ici prise au mot et c’est dans l’absolu qu’elle s’y révèle. Déployé au travers d’une métaphore forte, ce passage naturel et inhérent à tout à chacun prend alors la forme d’un événement étrange, inquiétant, presque surnaturel. De ce cycle humain, la réalisatrice propose en effet une figure peu lisse, dans une mise en scène inattendue aux frontières du fantastique. Un choix résolument audacieux pour mieux rendre visibles, bien en surface, les doutes et les craintes jusqu’au rejet de grandir.
Laisser naître la féminité en soi n’est pas chose évidente, ça l’est d’autant plus lorsqu’on est davantage disposé à renier toute coquetterie, à agir et à parler comme un garçon manqué. Lunettes énormes, vêtements informes, cheveux gras, et gouaille : Justine, dite Junior, n’a décidément rien d’une fille modèle. Comme sa « métamorphose » se double également du changement du rapport à l’autre, cela crée inexorablement un malaise dans ces relations. Jeune fille devenant femme, Junior doit désormais définir sa nouvelle identité face à l’autre sexe.
En cela, la construction du court métrage de Julia Ducornau est habile, mettant peu à peu en place l’évolution du personnage et les troubles qui en sont la résultante. L’usage de scènes crues, tout en oscillant avec le suggestif, permet à son auteur de s’affranchir de toute étiquette du genre, tel un ovni cinématographique. La réalisatrice joue intelligemment avec la dimension symbolique de ce rite de passage, et réussit à en souligner ainsi son caractère mystérieux et marquant. Car finalement quitter l’âge ingrat, c’est bel et bien sortir de sa carapace et en définitive faire peau neuve.
Sirot-Balboni, le nom sonne comme un remède à la morosité ambiante et pour cause, à en juger leur dernier film qui revisite avec beaucoup d’humour le conte du “Petit chaperon rouge”. Sélectionné en compétition nationale au Festival du court métrage de Bruxelles, « La Version du loup » a reçu une Mention Spéciale pour le Prix Be TV. Rencontre avec le couple qui subit les influences positives de Gilliam, Fellini, Greenaway ou encore Abel et Gordon.
En venant de deux milieux artistiques différents, le cinéma pour toi Raphaël et le théâtre pour toi Ann, comment vous est venue l’envie de collaborer?
Ann: On s’est rencontrés sur des travaux qu’on avait faits chacun de notre côté. Raphaël m’a fait voir son travail de fin d’études “Les Habitants” et comme à cette époque-là, j’étais en train de suivre une formation d’écriture dramatique, je lui ai fait lire « L’oeil tambour”, une pièce que j’avais écrite.
Raphaël: En lisant la pièce d’Ann, je me suis tout de suite dit qu’il fallait l’adapter au cinéma. C’est d’ailleurs de cela que notre deuxième court métrage “Juste la lettre T” a été inspiré.
On vous décrit facilement comme amateurs de fables et de mythologies ordinaires. Pourquoi cet intérêt pour les univers décalés?
Ann: Je sais que ce qui nous intéresse là-dedans, c’est de traiter des choses banales, de traiter des situations que l’on peut traverser dans la vie réelle et de les enrober d’une atmosphère particulière.
Concrètement, comment travaillez-vous?
Raphaël: Ann écrit le scénario et moi j’en suis simplement le lecteur. Je suis le travail depuis le début, on en discute. On travaille assez séparément, finalement puisqu’Ann écrit de son côté. Pour la réalisation, on fait tout à deux. Après, c’est vrai qu’Ann est vraiment la garante, elle est un peu la colonne vertébrale des films parce qu’elle a écrit l’histoire. Par exemple, elle saura tout de suite quelle affiche il faudrait mettre dans tel décor. Moi, j’interviens davantage au niveau du découpage et au niveau du rythme.
Ann: Ce qui est intéressant dans le fait de travailler à deux c’est qu’on ne veut surtout pas être dans une logique de compromis, mais plutôt être dans une logique de plus de précision, plus d’exigence car il est plus difficile de convaincre deux personnes qu’une seule. Ce qui est bien quand on est deux c’est qu’on est déjà un petit public.
Raphaël: Mais ce problème de compromis arrive plus souvent au montage, en fait. En ce qui concerne le scénario et la préparation, on tombe facilement d’accord.
Si on regarde vos trois films communs “Dernière Partie”, “Juste la lettre T” et “La Version du loup”, on constate que la musique a beaucoup d’importance. Au-delà d’illustrer, elle rythme l’action et la narration. Vous mettez en valeur des univers sonores qui font partie intégrante du récit.
Ann: Oui, c’est très important. Pour nous la musique est là pour nous aider à soutenir un univers. Par exemple dans “Juste la Lettre T”, on tenait vraiment à cette musique très mathématique de Bach. Parce qu’on est dans un monde un peu post-apocalyptique, devenu très codé, avec peu de ressources, un monde où l’on doit vivre dans une grande promiscuité. On voulait vraiment une musique très réglée et très sobre.
Raphaël: Cela permet de donner le ton aussi. Sur “Dernière partie”, c’est un peu différent car la musique vient très tard et vient plus comme accompagnement rythmique de la montée de cette partie éclatée de la fin. Mais dans “Juste la lettre T” et dans “La Version du loup”, la musique donne le ton.
Ann: En fait dans “La Version du loup”, cela donne la bonne distance au spectateur. C’est très intéressant car vu que c’est une adaptation du “Chaperon rouge” et que nous, on rigole avec ce conte, on voulait vraiment que le public fasse partie de cette blague et la musique de Django Reinhardt permet assez efficacement de mettre le spectateur à la bonne place. Dès les premières notes, on comprend un petit peu l’état dans lequel il faut regarder le film.
Avec ce film, vous offrez quelque chose de beaucoup plus léger que ce que vous avez fait jusqu’à présent. Pourquoi?
Ann: Le projet est né d’une envie pressante de tourner. En attendant que “Fable Domestique”, notre prochain film, se fasse, on voulait absolument tourner quelque chose de différent.
Raphaël: “Dernière partie” aussi, on l’a fait parce qu’on ne voulait pas attendre que “Juste la letter T” soit terminé. “La Version du loup”, c’est pareil. Ce sont deux courts métrages faits avec très peu de moyens.
Ann: Oui, Dernière partie” était vraiment une espèce d’expérience, on est partis sans scénario, avec juste des balises et ensuite on écrivait les scènes sur place, pendant le tournage, c’est une expérience de formule alternative.
Raphaël: Il y a aussi le fait que l’on vienne de deux milieux différents. On a confronté un peu nos façons de travailler et j’ai été vraiment étonné de voir que sur mon film de fin d’études, “Les Habitants”, je me suis retrouvé à voir mes comédiens 2X 2h alors qu’An travaillait dans une Compagnie où il y a peut-être 3 mois de création où les comédiens et le metteur en scène se voient tous les jours. C’est centré différemment, au théâtre, les comédiens participent beaucoup plus. Et là, on s’est inspirés de cette façon de faire, on avait un lieu donné, des comédiens donnés, on avait une trame et on a construit petit à petit. C’est une expérience qui reste limite car on s’est retrouvés sur le tournage sans avoir la fin du film.
Ann: C’était une expérience vraiment intéressante qui nous a montré aussi que cette façon de faire n’était pas vraiment adaptée au cinéma.
Justement, dans la “Version du loup” particulièrement, on remarque ce mélange de théâtre et cinéma ce qui en fait un produit un peu hybride.
Raphaël: Oui, tout à fait. D’ailleurs les coulisses que l’on voit sont clairement des coulisses de théâtre. Le comédien qui se change seul par exemple, c’est aussi quelque chose qui au cinéma n’existe pas vraiment, c’est très théâtral.
Etait-ce pour rester dans le ton burlesque du film?
Ann: En fait, moi, ce qui m’intéressait dans l’histoire c’est que le loup est un personnage qui se déguise, qui fait semblant. Je trouvais cela assez fascinant. Du coup, on se disait que si ce personnage était un comédien, il fallait transformer l’histoire car on voulait que les deux fassent semblant. Et forcément, vu que les comédiens changent de costumes eux-mêmes, on trouvait intéressant d’utiliser des coulisses.
Et pourquoi ce conte plus qu’un autre?
Ann: Par rapport au personnage du loup notamment mais aussi parce qu’on voulait partir d’une histoire que tout le monde connaissait et comprenait car ce que l’on nous reprochait souvent c’était justement de n’être pas assez compréhensible dans ce que l’on faisait. Inutile de dire qu’avec “Le Petit chaperon rouge” on était certains d’être compris.
Dans le film, on revoit avec plaisir Jean-Jacques Rausin aperçu dans “Juste la lettre T” en même temps que l’on découvre la pétillante Ana Cembrero Coca. Ce sont des choix de casting?
Raphaël: Pas vraiment. En fait l’idée dé départ du film était de faire un troc de talents entre nous deux et un autre couple d’artistes, Ana (le chaperon) et Jorge (le chef-opérateur). Ils font des films de danse, elle est danseuse-chorégraphe, réalisatrice et lui est chef opérateur, réalisateur. Le troc consistait à partir à quatre quelque part et à réussir à faire deux films, chacun travaillant pour l’autre. Donc “La Version du loup” a été écrit en fonction d’Ana qui allait jouer le chaperon. Après, pour le loup, le choix de Jean-Jacques Rausin s’est vite présenté à nous vu qu’on l’avait déjà vu jouer.
En parlant des comédiens, Ann, dans “Dernière partie” tu joues mais tu n’as plus joué depuis. Est-ce un hasard ou une volonté?
Ann: C’est une volonté, parce que c’est assez compliqué d’être à la fois devant et derrière la caméra. Je sais qu’il y a pas mal de gens qui le font mais moi, je n’aime pas trop. J’ai joué une période mais le jeu était vraiment une transition vers l’écriture et vers la réalisation. Aujourd’hui, je sais que je me sens bien plus à ma place derrière la caméra que devant.
Quelques mots sur “Fable domestique” votre prochain film?
Ann: Cela se passe dans une maison, dans un univers onirique et métaphorique. C’est un voyage à travers le sentiment de jalousie. L’idée était de partir de quelque chose de banal, quelque chose que tout le monde a déjà vécu. Partir d’une réalité psychologique et ensuite de la traiter à l’aide d’une métaphore.
Raphaël: Pour ce film, ce qui est intéressant c’est que c’est un casting de gens qu’on ne connaît pas du tout. On tourne cet été. On est en repérage.
Synopsis : Ingrid, jeune archéologue appelée par le département pour effectuer une investigation dans une chapelle située sur un domaine privé, débarque dans un espace hors du monde. Les deux autochtones coexistent dans une relation ambiguë et suivant des codes compris d’eux seuls. La présence d’Ingrid dans cet univers jusqu’ici préservé, va peu à peu pervertir le jeu de Redwann et Lise, jusqu’à le rendre impossible.
Réalisation : Ann Sirot, Raphaël Balboni
Scénario : Ann Sirot, Raphaël Balboni
Genre : Fiction
Durée : 15′
Année : 2008
Pays : Belgique
Image : Stéphane Boissier
Son : Arnaud Calvar
Montage : Nicolas Rumpl
Montage son : Julien Mizac
Mixage : Julien Mizac
Musique : Benoît Fromentin
Continuité : Aurélia Balboni
Interprétation : Cécile Cozzolino, Ann Sirot, Alfredo Fernandez Atienza
Ce soir, le palmarès du 64ème festival de Cannes a fait connaître ses lauréats du court métrage, parmi les 9 films retenus en compétition officielle. Voici les deux lauréats.
Palme d’or : Cross réalisé par Maryna Vroda (France, Ukraine)
Synopsis : Un garçon est forcé à courir, puis court de lui même, puis regarde un autre courir.
Prix du Jury : Badpakje 46 (Maillot De Bain 46) réalisé par Wannes Destoop (Belgique)
Synopsis : Chantal, une fille potelée de douze ans, peine à trouver sa voie dans la vie. Elle n’a pas beaucoup d’amis et à la maison seul son beau-père lui apporte un peu de réconfort comme elle ne s’entend pas avec sa mère et son beau-frère. Ce n’est qu’à la piscine locale, où elle s’entraîne de manière intensive, qu’elle se sent vraiment bien. Mais quand elle a besoin de nouvelles lunettes protectrices, tout ne se passe comme prévu et elle met tout en oeuvre pour les obtenir.
Ce film n’a pas suffisamment retenu l’attention de Michel Gondry et de ses acolytes mais il nous a tapés dans le bon œil. Présenté à la Cinéfondation, Der Wechselbalg (L’Echange) de Maria Steinmetz est un conte animé cruel et visuel, investi par les trolls et les représentations médiévales et religieuses.
Un homme et une femme chevauchent les plaines nordiques, tenant un bébé dans leurs bras. Un grand troll croisant leur chemin délaisse sa propre progéniture et enlève l’humain emmitouflé dans ses couches. Son petit troll échoue quant à lui dans les bras du couple, la femme le prenant en affection et en substitut de sa propre chair. En rentrant dans leur village, ils se heurtent au rejet et à la haine des habitants, considérant le troll comme une incarnation du diable. Peu à peu, l’homme, en proie au chagrin et à la culpabilité, se met à se détacher de son épouse et à rejeter son petit troll alors que la femme voit redoubler son instinct maternel.
Der Wechselbalg s’inspire d’un récit (“L’Echange’) issu du recueil Des Trolls et des Hommes de l’écrivain suédois Selma Lagerlöf portant sur un échange à la naissance entre humains et trolls, sur fond d’intolérance et de superstitions populaires que la réalisatrice, diplômée en animation à la HFF “Konrad Wolf”, aimait lire enfant et rêvait d’adapter pendant sa formation.
Avec son film de fin d’études, elle concrétise cette idée chère tout en s’autorisant une réelle liberté. L’histoire de Lagerlöf n’était qu’écrite, Steinmetz la fait gagner en intensité de différentes manières. Au niveau visuel déjà, plusieurs trouvailles bien amenées déjouent nos attentes de spectateurs blasés : le graphisme, épuré, est sidérant, les visages et les corps des personnages sont médiévaux à souhait, les icônes religieuses délaissent les églises et les manuels le temps d’un film, les reproches deviennent typographies et indécollables, à l’image d’un point d’interrogation refusant de quitter le pied de la femme.
Vers la fin du récit et du film, l’homme retrouve son enfant naturel qui se met à lui raconter la vie qu’il a vécue. Ses expériences sont semblables à celles de l’enfant troll : le dédain et les tentatives d’assassinat du père, le secours de la mère, la proximité avec le feu. Pour illustrer cette similarité, Maria Steinmetz crée une construction en miroir, sur deux niveaux, accompagnant l’évolution du temps par un travelling latéral. Par la même occasion, elle nous renvoie au fait que malgré nos différences, nous sommes tous les mêmes. Et puis, son histoire reprend le dessus. Comme il s’agit d’un conte, tout rentre dans l’ordre et les familles se recomposent. Tout est bien qui finit bien, merci pour votre attention, au revoir et à la prochaine. Minute, papillon. L’espace d’un film, un sujet original, un esthétisme différent et un plaidoyer pour l’amour, la tolérance et la différence se donnent la main. On en redemande tant on est sous le charme.