« Low Cost » (Claude Jutra) » est un film qui a de la valeur. De façon impertinente et légère, le cinéaste suisse Lionel Baier vient frontalement nous questionner à travers le personnage de David Miller sur notre rapport à la mort. Filmé à l’aide d’un téléphone portable, « Low Cost » explore le potentiel de cet outil intime devenu le support quotidien de notre mémoire. Quoi de plus pertinent alors que de raconter l’histoire d’un homme de 34 ans, l’âge du cinéaste, qui affirme à l’aide d’une voix-off enregistrée par l’auteur lui-même, connaître suite à un rêve prémonitoire la date de sa mort et qui enregistre les derniers moments de sa vie pour se préparer à passer de l’autre côté bientôt.
Quand on a demandé à Lionel Baier, membre du jury du festival de Locarno en 2010, de présenter son œuvre, il a refusé de montrer un de ces précédents opus et, petit dormeur qu’il est, il a réalisé en un mois ce film magnifique de presque une heure tourné à moindre coût.
Par son dispositif en caméra subjective, nous nous retrouvons à la place de David Miller, en immersion dans l’intimité de ses pensées. « Low Cost » est construit comme une série de tableaux tournés avec ses acteurs et amis dirigés de façon hyper réaliste et d’images glanées pendant dix ans dans le monde entier. Lionel Baier réussit en quelques secondes à retranscrire toute la complexité de la relation à l’autre créant ainsi autant de micro-récits tous pétillants de finesse et de justesse.
Dans cette mise en abîme, l’auteur nous questionne sur notre façon de construire nos souvenirs et de les agencer. Dans un monde où l’image s’accumule par amoncellement, ce faux journal d’un condamné à mort fait hommage au montage et revalorise la captation du quotidien. C’est dans le soulagement que ressent David Miller à l’idée qu’il n’aura plus à descendre les poubelles, dans ce besoin de ne pas mourir sans savoir faire un nœuds de cravate ou encore dans tous ces moments partagés avec ses proches alors qu’il règle ses comptes avec son ex, emprunte une voiture pour l’été ou encore s’entretient dans un café parisien avec Emmanuel Salinger que le film nous invite à repenser à la hausse la valeur de notre propre vie.
L’intérêt de cet objet ne s’arrête pas là. En s’appuyant sur ses images pixélisées, Lionel Baier réussit à ressusciter une amie morte du héros, la splendide Natacha Koutchoumov qui apparaît depuis l’au-delà. Une fois ce seuil franchi, le récit brouille les pistes entre réel fictionnel et illusion pour nous emmener à croiser sur un trottoir de Montréal le cinéaste québécois Claude Jutra atteint d’Alzheimer et suicidé… en 1986. À l’ère de Youtube et du home movie, Lionel Baier passe les frontières et élargit définitivement le champ d’appropriation de ces images low cost dans un film virtuose qu’on ne va pas oublier de sitôt.
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