Musical du début à la fin, « Miss Daisy Cutter » a tout d’un clip. C’est pourtant en tant que court-métrage qu’il a cette année été sélectionné au Festival International du Court-Métrage de Clermont-Ferrand et au Festival Anima de Bruxelles. Court-métrage donc, et d’animation qui plus est.
Pour la musique, le morceau rock « Nux Vomica » du groupe The Veils, bien qu’actuelle, est de circonstance, puisque Laen Sanches déclare avoir « voulu réinterpréter certains des archétypes de l’esthétique pop-rock-punk-psychédélique des années 60 et 70 ». On retrouve en effet dans ce film un psychédélisme similaire à celui du clip « The Wall » des Pink Floyd, de même que la marche mécanique des célèbres marteaux militaires, ici remplacés par des squelettes armés. La couleur n’est cependant pas au rendez-vous : c’est dans un noir et blanc brouillonné mais saillant que les images imprègnent nos rétines… Et quelles images !
Laen Sanches affirme avoir recherché son style graphique dans la peinture, la gravure, le manga et la bande dessinée. Il est vrai que « Miss Daisy Cutter » trouve son dynamisme avec ses planches « splitées » et ses onomatopées. En raison de sa forme composite, il a même quelques traits communs avec l’adaptation faite par Robert Rodriguez de « Sin City ». On pense aussi au « Renaissance » de Christian Volckman, du moins pour le noir et blanc.
Du reste, « Miss Daisy Cutter » est surtout un clip hallucinatoire. Or dans ce domaine, peu de films atteignent un tel degré de performance. Laen Sanches dit lui-même : « Si Walt Disney s’était tapé un mauvais trip, voilà à quoi auraient pu ressembler ses hallucinations ». Sanches a développé ce projet sans storyboard ni scénario. Il a fait ce film comme on rédigerait un cadavre exquis. Ses propos nous éclairent d’ailleurs sur sa technique d’ »improvisation »: « Travailler délibérément dans une approche surréaliste, créer et animer dans une technique de « dessin automatique », produire quelques secondes d’animation chaque jour sans penser à ce qui a été fait le jour d’avant ».
« Miss Daisy Cutter » respecte cependant le ton du texte original des Veils via des paroles adressées au Seigneur. Il ne s’agit pas de prières mais d’une suite de reproches qui s’étendent finalement à l’humanité.
On voit dans le film un œil ailé, figurant sans doute Big Brother, who is watching you. Des langues se dressent comme des serpents, pouvant tout aussi bien être des langues de vipères que les langues de bois des politiciens. Des torpilles explosent en amats de dollars, profits monétaires que sont les guerres pour les grandes puissances économiques de notre monde. Sous une série d’yeux voyeurs, le chevauchement de missiles se transforme en rodéo érotique ; le désir prenant le pas sur la raison, un homme initialement suspendu à un cerveau volant se retrouve suspendu à une femme nue. Les codes barres pleuvent, froids comme la neige. Les squelettes armés continuent leur marche sur fond de vagues de pouvoir qui écrasent tout sur leur passage. L’amalgame se fait entre homme et chien. La mort rôde. Les morts versent des larmes épaisses, ils pleurent l’or noir qui causa leur perte. Des fourmis, prolétaires en rébellion, sont attaquées par une armée de serpents. La hiérarchie mène la danse d’une main de fer et toute tentative d’éclaircie s’échappe en une fumée noire. Mais quand l’insecte travailleur s’en prend à l’hégémonique figure du profit, ce sont des flammèches colorées qui s’envolent anéantir tous les maux, notes d’espoir pour un monde meilleur. De quoi en prendre plein la vue, surtout que Laen Sanches ne s’est pas privé de nous livrer une version 3D de son film.