Pera Berbangê (Arpeggio ante Lucem) d’Aran İnan Arslan

“You won’t be understood, winglessness” – Ece Ayhan

Sélectionné cette année à la 61ème Berlinale, le court métrage « Pera Berbangê » du Turc Aran İnan Arslan présente, dans un cadre bucolique kurde, une allégorie soignée sur la liberté, cet oiseau illusoire.

Le jeune Bişkov et son petit frère, déplacés de leur village vers la grande ville à cause des hostilités civiles en région kurde, gagnent leur vie en vendant des pigeons en captivité aux vétérans de guerre soucieux d’expier leur culpabilité, pour que ceux-ci leur rendent leur liberté. Les garçons récupèrent ensuite les mêmes oiseaux pour les remettre ‘sur le marché’.

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Basé sur cette prémisse ironique, le scénario juxtapose des scènes narratives avec des séquences descriptives et des images purement réflexives voire métaphysiques. Grâce à son rythme posé, le cinéaste parvient à prendre le parti de la sobriété tout en se permettant une grande part de lyrisme. Ceci est principalement dû à un travail de l’image et à une picturalité parlants et hautement expressifs : aux côtés des plans sombres des réfugiés, évocateurs des icônes classiques, et voilés dans un chiaroscuro digne des grands maîtres de la Renaissance, surgissent des vues panoramiques de paysages caucasiens, entre idylle pastorale et contrée ravagée où la nature et les éléments font loi, transmettant au spectateur un sentiment de majesté teinté de désolation. En même temps, un certain réalisme se manifeste dans les plans froids de la ville où les garçons se rendent quotidiennement.

Le dialogue fait également écho à ce contraste entre le poétique et le prosaïque, et renforce l’ambiance apocalyptique du récit. Réservées aux réfugiées et à la grand-mère de Bişkov, les rares répliques ont un aspect prophétique, sibyllin et fort imagé, tels « des mots suspendus dans les airs », pour citer un personnage qui philosophe avec un langage tantôt élevé tantôt bien vil. La grand-mère, en revanche, lamente son déracinement forcé de manière vocifère, quelque peu trop littérale et quasi documentaire, avant que le réalisateur, par le biais d’une coupe sonore impressionnante, interrompe son discours tragique au profit du roucoulement des pigeons, les vrais protagonistes de cette allégorie, à laquelle s’ajoute une bande-son musicale solennelle, non intrusive et austère.

En dotant son court d’une retenue remarquable et une dimension énigmatique (résumée parfaitement par la citation finale reprise ci-dessus), İnan Arslan parvient à introduire de l’onirisme dans un univers déchiré par une réalité brutale. Son souhait avoué lors du festival de Berlin était que « Pera Berbangê » provoque une discussion sur la condition politique actuelle en Turquie. Son vœu est clairement exaucé dans la mesure où le film suscite une réflexion sur le sujet en berçant le spectateur dans un monde qui enchante et dérange dans un même envol.

Adi Chesson

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