L’événement n’était pas anodin et le timing était parfait. Tout juste heureux lauréats du Grammy Award du meilleur album pour The Suburbs, les membres d’Arcade Fire sont arrivés tout sourire à la 61e Berlinale pour présenter Scenes from the Suburbs, court métrage écrit à six mains, entre les frères Butler, membres fondateur du groupe et Spike Jonze, également à la réalisation. Récit d’une fin d’amitié adolescente sur fond d’invasion militaire en banlieue pavillonnaire, « Scenes from the Suburbs » se présente à la fois comme l’incarnation visuelle de l’album rêvée par Arcade Fire mais également comme un film de science-fiction autonome et singulier.
Agrippés à un grillage surmonté de barbelés, une bande de jeunes d’une quinzaine d’années observent le ballet des hélicoptères qui volent au dessus de la ville. L’insouciance de l’été est rappelée à l’ordre par la présence inquiétante de l’armée qui encercle cette banlieue du Texas et contrôle ses entrées. Mais comme l’annonce la voix off du héros, cet été restera surtout celui où Winter, son meilleur ami, s’est coupé les cheveux. You cut your hair and we never saw you again chante Win Butler dans The Suburbs, dernier album d’Arcade Fire. Ce projet, dont un premier court montage avait servi de clip à l’automne, est bel et bien le pendant filmique de l’album du groupe canadien. On y retrouve les thèmes développés dans certaines chansons notamment « The Suburban War » (And my old friends we were so different then / Before the war against the suburbs began) et la grande mélancolie de l’ensemble.
Assumé comme film d’anticipation par les frères Butler, la toile de fond militaire et étouffante ne semble qu’un prétexte pour raconter l’histoire d’amitié fusionnelle comme il n’en existe qu’à l’adolescence entre Kyle, chétif et blagueur, et Winter, le joli cœur à la mèche travaillée. Comme les chansons du groupe, le récit est elliptique et le mystère reste entier quant aux raisons qui pousseront Winter à rejeter violemment son meilleur ami. Plusieurs pistes sont évoquées (le retour du père, l’influence du frère et de l’armée) mais le mutisme de Winter reste l’élément le plus parlant. On s’étonne d’ailleurs que la scène où Winter tabasse Kyle dans un fast food désert soit présente dans le clip mais pas dans ce court métrage de près de trente minutes.
Le film est si fortement imprégné de l’univers d’Arcade Fire qu’on aurait pu penser que le style de Spike Jonze s’effacerait un peu dans l’illustration de leur album. Jonze est en fait un grand fan et l’on sait que pendant la longue préparation de Where the Wild Things Are, il a beaucoup écouté le premier album du groupe, Funeral (une chanson extraite de cet album accompagne d’ailleurs la bande-annonce du film). L’intérêt de Jonze pour les personnages inadaptés à leur environnement et empreints d’une grande mélancolie se retrouve donc très vite dans le film. Malgré tout, on ne peut s’empêcher de ressentir une légère déception en voyant « Scenes from the Suburbs »; l’addition du génie musical des Montréalais à l’inventivité visuelle de Spike Jonze ne produit pas de miracles comme on l’aurait espéré. Les attentes étaient certainement trop grandes car le film reste un beau portrait d’enfants qui grandissent trop vite.