Synopsis : STORYTELLER puise dans le répertoire d’images de l’horizon urbain pour en recomposer les images en y introduisant un effet miroir, générant ainsi un paysage artificiel lissé qui évoque la science-fiction.
Star belge du court métrage expérimental, Nicolas Provost a été très prolifique en 2010. Trois films réalisés (“Stardust”, “ Storyteller”, “Long Live The New Flesh”), autant d’objets difficiles à identifier, tous différents mais représentatifs d’un réalisateur qui questionne en permanence le cinéma.
Avec « Storyteller », Nicolas Provost revient à ses premières amours, l’emploi de l’effet miroir. Cette technique, plusieurs fois expérimentée par le réalisateur dans ses œuvres les plus courtes, est utilisée pour nourrir une proposition cinématographique simple : se saisir d’un sujet clairement identifié (ici Las Vegas), le déconstruire pour le transformer en un objet artistique autonome, extrait de son contexte naturel.
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Selon cette règle, le film s’articule autour de la ville lumière. L’espace urbain est ici contorsionné, découpé, recomposé. La ville foisonnante et artificielle devient, grâce à ce procédé, l’expression de la poésie de Nicolas Provost. Tout son talent de plasticien s’exprime dans ce court métrage. Il s’amuse avec les images qui deviennent des “matériaux à sculpter.” Les bâtiments monumentaux de Vegas deviennent alors les notes d’une partition visuelle. Ils s’agglomèrent, se fondent littéralement les uns dans les autres et donnent naissance à des formes hypnotiques.
Selon ses propres dires, Provost est parti d’une vision fantasmée de la ville et a travaillé les prises de vues aériennes pour les modeler tels des bijoux. « Storyteller » est une belle composition poétique silencieuse dans laquelle Provost nous offre une fois encore une expérience sensorielle rare. Par la dissolution du lien entre image et son, le film développe une dimension méditative peu commune dans les salles. Le cinéma a toujours évité le silence, Provost ose le mettre au cœur d’une œuvre.
Le Festival du Film Nikon profite d’une programmation inédite du 33ème Festival du court métrage de Clermont-Ferrand pour dévoiler aujourd’hui le Prix du Jury de son concours vidéo.
Fin 2010, Nikon ouvre un site internet où les vidéastes sont invités à créer et à mettre en ligne des films HD sur le thème de “Je suis un héros” dans la limite des 140 secondes. Un jury prestigieux composé de Jean-Baptiste Morain, Monsieur Lâm, Michel Abramowicz, Eric Wojcik, et présidé par François Ozon, clôt le concours en présentant les dix films finalistes lors d’une séance spéciale du Festival de Clermont-Ferrand. Le Prix du Public, lui, a déjà été décerné à “Je suis ton héroïne” de Pierre André Le Leuch.
Au total, plus de 300 films amateurs et semi-professionnels participent à cette compétion, témoignant que la créativité vidéo en France se porte bien, et que le positionnement de Nikon sur le marché des appareils photo/vidéo à grand capteur est judicieux. Pour inaugurer le dernier modèle de sa gamme, l’opération marketing est d’envergure mondiale, et un concours similaire est organisé aux Etats-Unis. Mais la version française retient l’attention, car en apportant une réponse technologique et stratégique aux offensives de la concurrence, la célèbre marque japonaise parvient également à associer son nom à celui du cinéma. L’objectif est clair, Nikon repositionne son image en insistant sur les performances vidéos de son dernier produit.
Finalement, c’est bien le dernier épisode d’une bataille technologique et commerciale qui se joue dans une des salles obscures du Festival de Clermont-Ferrand à l’occasion de ce programme spéciale, celle du passage obligé de l’argentique au numérique. Le public cinéphile, lui, pourra toujours choisir d’autres séances.
Blandine Lenoir est à Clermont-Ferrand pour présenter « Monsieur l’Abbé »en compétition nationale. L’occasion pour nous de revenir sur sa filmographie éditée par la maison d’édition Come and See. Le DVD « Etre femme » présente cinq de ses films plus un bonus. Des portraits de femmes d’aujourd’hui.
Pas de pitié
Aux pays des petites filles, les poupées Betties, sont reines. Dans la classe, elles sont nombreuses à en posséder, elles forment un groupe uni et solidaire. Seulement, Layla, elle, n’est pas assez blonde, pas assez jolie, pas assez comme il faut pour en faire partie aux dires du chef de bande. On le sait, la vengeance est un plat qui se mange froid, celle de Layla sera glaciale et impitoyable. Adapté directement d’un roman de Thierry Lenain, Blandine Lenoir s’amuse à décortiquer le monde fantasmé de l’enfance avec humour et légèreté. Parce que la cinéaste fait partie de cette génération de femmes qui ressent le besoin inconscient de se libérer du carcan rigide et traditionnel dans lequel hommes et femmes sont gentiment confinés, avec « Pas de pitié », elle brise délibérément les rêves trompeurs façonnés de clichés et d’idées reçues.
Dans tes rêves
Quand une banale conversation de serveuses se transforme en un salon philosophique, « Dans tes rêves » aborde l’amour et son reflet, l’espoir d’un idéal et l’amertume des illusions perdues. Première collaboration avec Nanou Garcia à l’écriture et en comédienne exceptionnelle, le film ose se montrer original et touchant, hilarant et jouissif, moderne et réaliste, construit et spontané. Déjà l’on voit pointer l’intérêt de la réalisatrice pour les rapports humains qu’elle caricature avec saveur et intelligence.
Rosa
Si Simone de Beauvoir avait été cinéaste aujourd’hui, elle aurait assurément le doux visage de Blandine Lenoir. On ne naît pas mère, on le devient, ainsi pourrait se présenter le pitch de « Rosa ». Le conflit de la mère et de la femme dans une société qui exclut la maternité de l’épanouissement professionnel, mais surtout le quotidien concret d’une mère à la recherche d’une crèche pour son enfant, Blandine décide de l’aborder sur le ton de l’humour. Un humour de situations, approprié jamais excessif. Mais par dessous le manteau du rire, c’est bien une situation moins risible que dénonce la réalisatrice, celle qui touche la majorité des femmes qui désirent être mères.
Ma culotte
Dans le cadre de la collection Canal +, « Ecrire pour Christine Boisson », le film de Blandine s’attache une fois encore à montrer la condition féminine dans la société contemporaine. Claire est une femme qui vit seule avec son adolescente de fille. Un soir, où elle boit un peu plus que de raison, elle ramène son amant du soir chez elle. Après tout, sa fille n’est pas là… En pleins ébats, elle sent soudain venir le blocage, celui d’une femme d’âge mûr qui n’ose plus montrer son corps de peur d’être jugée, celui d’une femme qui n’a plus fait l’amour depuis trois ans. Mais Blandine va encore plus loin car ce qui l’intéresse c’est bien de montrer l’ensemble, l’avant et l’après, le crépuscule de la sexualité féminine tout comme son éveil. Ce qu’elle fait avec beaucoup de délicatesse dans une scène d’intimité finale entre une mère et sa fille.
Pour de vrai
C’est avec plaisir que l’on retrouve la grandissime Nanou Garcia dans une mise en scène des plus surprenantes. Le monologue d’une femme dont la fille est dans le coma habite les pièces de la maison qu’elle traverse, le regard vide de toute expression. Immédiatement, le spectateur a envie d’en savoir plus, il s’interroge et compatit. Mais croire en cela serait bien ignorer le goût de Blandine Lenoir à surprendre, à transformer le drame en comédie en un regard, en une hésitation, en une répétition. Nanou ne serait-elle donc qu’une comédienne qui répéterait son rôle ? Piégé, le spectateur accueille le changement de comportement de cette mère qui passe des larmes aux rires avec autant de facilité. Pour la première fois, Lenoir déconstruit la narration cinématographique, posant par là une réflexion intelligente sur l’art de faire un film et de faire vivre les histoires que l’on raconte. Pour de vrai, la cinéaste a du génie.
Bonus : « Avec Marinette »
En plus d’un entretien écrit de la réalisatrice, le DVD propose également « Avec Marinette », le premier court métrage de Blandine Lenoir. D’une facture bien plus dramatique que les autres films, celui-ci demeure parfaitement maîtrisé dans son écriture, sa mise en scène et son interprétation d’acteurs. Dans une Bretagne armoricaine, désolée et sauvage, deux frères envisagent leur avenir différemment. L’un rêve de Paris tandis que l’autre se voit suivre les pas du paternel pêcheur en mer. Baigné dans une narration plus classique et moins rythmée, Blandine explore avec pudeur et réalisme les rapports d’une famille fragile.
Synopsis : C’est la psychose à l’école : un « serial killer » s’attaque aux poupées B. au nez et à la barbe des enfants et des adultes impuissants. Justice sera faite !
Genre : Fiction
Année : 2001
Durée : 36’
Réalisation : Blandine Lenoir
Scénario : Blandine Lenoir
Image : Antoine Rabaté
Son : Jean-Luc Audy, Olivier Busson
Musique : Bertrand Belin
Montage : François Quiqueré , Francine Lemaitre
Interprétation : Barney Oldfield, Sylvain Duprey, Charlotte Brosseau, Bruno Salvador, Grace Pelletier, Nanou Garcia, Fabien Le Nechet, Adeline Canac, Louise Bonetti, Finnegan Oldfield, Laurence Côte
Synopsis : « Ma Rosa chérie, c’est pas contre toi, mais tu vois bien : toutes les deux, on travaille pas beaucoup. Alors on va te trouver une dame formidable qui va s’occuper de toi. Ça va bien se passer… »
Synopsis : Claire a très envie de faire l’amour avec ce type qu’elle a ramené chez elle. Depuis le temps qu’elle attend ça, un homme… Comment fait-on déjà ?
Synopsis : Une femme, bouleversée à l’idée de perdre son enfant, erre chez elle, paralysée par son impuissance à sauver sa petite fille dans le coma. Il y a quand même un truc qui cloche dans tout ce désespoir…
Parti d’Angers il y a quelques jours et arrivé à Clermont-Ferrand il y a peu, « Unfinished Italy » transporte un étonnant contenu : ruines, restes, jeunes vestiges, manque, vide, passé récent, peur(s). Le temps d’un film de fin d’études, son auteur, Benoît Felici, traverse la Sicile sauvage, s’arrête dans les cafés comme sur les ponts, dialogue avec le regard, enregistre les lieux sans histoires et les histoires sans lieux. Sa carte postale de l’Italie ne s’envoie pas, elle se voit, et puisque c’est d’authenticité dont il s’agit, notre entretien ne peut prendre ses aises que dans un lieu typique, au nom imprononçable et tendancieux.
Qu’est-ce qui t’intéresse dans l’idée de filmer des gens, la vie ?
J’adore observer les gens, j’ai toujours fait ça. Depuis que je suis tout petit, j’aime bien regarder et imiter les gens. Ce qui m’a amené vers le documentaire, c’est le côté surréel de la réalité, le côté fascinant de certains personnages qui sont encore plus beaux et forts par le fait qu’ils sont naturels. Je trouve qu’il y a une véritable richesse chez certaines personnes que j’aime puiser, chercher, modeler, ça ne veut pas dire pour autant que je joue avec eux, que je les dirige. C’est une espèce de jeu qui a d’ailleurs beaucoup à voir avec la séduction, l’approche. En réalité, ce qui me plaît beaucoup dans le documentaire, c’est que le réalisateur se met beaucoup en scène. Moi-même, je joue un personnage quand je mets en scène un moment à filmer.
Tu n’es pas obligé de le faire.
Non, mais tu dois créer une tension, savoir approcher les gens pour obtenir une intensité dans le regard, un rythme, une cadence selon ce que tu recherches pour ton film. Le film, je l’ai écrit mais en fait, il y a eu beaucoup de discussions, d’improvisation. Tu dois pouvoir te poser, voir une situation, improviser, parler deux secondes avec le cameraman pour savoir où on va placer la personne, faire en sorte de la mettre à l’aise et de la rendre la plus vraie possible pour que ce soit réel, sincère, émouvant, et dans certains cas, surréel.
Tu as sillonné la Sicile pendant plusieurs mois avec ton chef op, Bastian Esser. Comment lui as-tu expliqué ce que tu recherchais ?
Au début, c’était assez compliqué. Il ne comprenait pas forcément ce que je voulais, ce qui était absolument normal, moi-même, j’étais en recherche. On a des inspirations, des influences, des origines différentes. Il a dû s’adapter à moi parce qu’il aurait fait un film complètement social, il ne serait resté qu’à un seul endroit si je n’avais pas insisté. Au final, il a compris l’idée que je voulais donner au film. On a passé beaucoup de temps ensemble, il me connait. Un monteur danois, Niels Pagh Andersen, a dit qu’un bon monteur, c’était quelqu’un qui connaissait parfaitement son réalisateur, qui comprenait aisément ce qui se passait dans sa tête. Je pense que pour la caméra, c’est pareil.
Tu es français, d’origine italienne. Est-ce que tu as redoublé de vigilance pour éviter tout cliché sur l’Italie ?
Au bout de trois ans d’études en Italie, j’ai eu à plusieurs reprises l’occasion de travailler avec des italiens. Ce qui m’a toujours marqué, c’est leur ouverture d’esprit, leur gentillesse, leur sympathie. Personnellement, à part mes origines, je pense que c’était un défi de ne pas me planter. Il ne fallait pas que je fasse une interprétation de l’Italie qui n’était pas juste et tolérante : je ne voulais pas d’une Italie critique ou caricaturale. On peut faire une carte postale de l’Italie d’aujourd’hui, mais on ne peut pas en faire une sur les gens.
La plus grande partie de mon travail a été d’observer la Sicile, d’essayer de comprendre les Siciliens, le fonctionnement de la mentalité, d’absorber leur rythme, leur vision des choses. Moi, je ne suis pas vraiment italien, je suis français, mais ma famille me pousse à aimer ce pays. Quand mon père m’achète une voiture, c’est une Fiat, pas une Renaud !
Pourquoi as-tu filmé les choses figées, les lieux un peu morts là-bas et pas ailleurs ?
Je pense que le phénomène est italien parce qu’il y a un système économique qui est tourné autour du ciment, du béton. En revanche, que ce soit l’Italie, ce n’est pas super important. Pourquoi construit-on une piscine olympique dans un village de 10.000 habitants ? Pourquoi bâtit-on un stade de polo – un jeu anglais – dans un village italien ? C’est la question de la surmodernité, d’un pays extrêmement pauvre qui découvre le progrès, qui connait un boom économique dans les années 60, qui se met à construire plus qu’il ne faut, comme une espèce de boulimie. Cette question et ces ruines-là ne sont pas spécifiques à l’Italie, mais à notre époque.
« L’amour existe » de Maurice Pialat m’a beaucoup inspiré pendant le tournage. Le film traite de la construction des tours de banlieue dans les années 60, la voix-off parle à un moment de « ces lieux dont le futur a déjà un passé et dont le présent a un éternel goût d’attente ». Quand j’ai entendu ça, je me suis dit que c’était exactement ce qu’étaient ces lieux.
Tu parles de lieux, mais tu parles beaucoup de toi, de tes manques en off. Pourquoi était-ce important pour toi de t’impliquer par la voix ?
La voix-off a plusieurs raisons d’être. A Zelig (école de documentaire à Bolzano), on nous force à nous impliquer personnellement, à sortir du reportage, de l’investigation. Au moment d’approcher les protagonistes, on est dans le dialogue, on donne du sien, on s’ouvre, on s’implique au maximum, on fait sentir à l’autre qu’on est comme lui. C’est une approche beaucoup plus psychologique, sincère, humaine. Et beaucoup plus simple. A l’école, j’ai entendu que les choses les plus difficiles à faire étaient les plus simples. Un être humain, c’est extrêmement compliqué, mais si on le prend avec sincérité, avec simplicité, ça le rend encore plus beau.
« Unfinished Italy » est ton film de fin d’études. Qu’est-ce que tu as le sentiment d’avoir appris à l’école ?
Zelig est une école hyper familiale. On est tous très proches, les professeurs nous connaissent, nous soutiennent. J’ai appris des choses sur moi, mon oeil s’est formé à certains films, mon point de vue sur le documentaire a changé, et les grandes questions que je me posais sont moins floues qu’avant. Ces questions touchent aux thèmes que j’ai pu travailler au sein de l’école, ceux que j’ai choisis pour faire mes films, et qui étaient en rapport avec le temps, le manque, l’abandon, le vide, les ruines et les restes.
Il y a un moment un peu étrange dans ce film, celui où le berger, seul à ses heures et à ses moutons perdus, vous demande si vous êtes des astronautes qui vont sur la lune. A partir du moment où on est pris à partie, où le sujet a suffisamment fait abstraction de la caméra au point de poser des questions directes, est-ce qu’on se sent désemparé ou on se dit que c’est super pour le film ?
Dans ce genre de moment, je ne réponds pas, mais je suis un peu en transe. Cette phrase n’était pas prévue, il l’a sortie. Tout se passe dans le regard que moi, je lui tiens. C’est ça qui est génial : tu composes avec le protagoniste, tu te concentres sur ce qu’il te dit, tu soutiens son regard. Ce n’est que dans les yeux que ça se passe.
Il n’y a pas un risque de manipulation en jouant ainsi sur le regard ?
Non, c’est là la différence entre le reportage et le documentaire. Il y a un montage, des heures de rushes. Je ne suis pas en train de chercher une info, je suis en train de faire un film. Ce que me raconte le berger, c’est une légende sauf que je le place dans un certain cadre et que je dialogue avec lui. Je ne pense pas que ce soit malhonnête. J’essaye de capter un peu l’aspect poétique d’un lieu, d’une situation, d’une personne. Dans mon école, la plupart des étudiants s’intéressaient au social, aux thèmes sociaux, actuels. « Unfinished Italy » est différent de leurs films.
C’est important d’avoir son style, de se singulariser dans le domaine du documentaire, au-delà du thème, du sujet ?
Plus il y a un auteur derrière un documentaire qui impose son style et son écriture avec son équipe, plus c’est du cinéma.
Dans ce cas, à quel moment sur ce film, as-tu commencé à te dire que tu faisais du cinéma ? Est-ce que ça a eu lieu au fil du voyage, des rencontres, des images ou après, en salle de montage ?
Là où tu te dis que tu fais vraiment du cinéma, c’est quand tu t’es imaginé des plans, des scènes et qu’elles se réalisent ou, mieux encore, qu’elles se réalisent toutes seules. L’un de mes professeurs a coutume de dire que les choses sont déjà là, et c’est vrai. Je ne sais pas pourquoi le berger a dit ça à ce moment-là, mais c’est formidable qu’il l’ait fait car finalement, c’est devenu extrêmement positif pour le film. Ce qui est fascinant dans le documentaire, c’est qu’un énorme problème peut devenir une chance incroyable. C’est pour ça d’ailleurs que je pense que le documentaire est vraiment du cinéma : il y a une vraie création dans l’équipe, dans l’écriture et dans les événements.
Synopsis : Alors qu’elle s’apprête à profiter de sa retraite en compagnie de Paul, son mari, dans leur petit pavillon de banlieue, Louise assiste plusieurs fois à un phénomène surnaturel : la disparition fugace du corps de Paul. Terrifiée, Louise perd progressivement pied.
Louise, Paul, Louise et Paul, Louise sans Paul… Dans « Chair disparue », Pascal Mieszala poursuit son exploration chez les voyants. Déjà avec L’enfant borne, il abordait le thème d’un personnage qui voit ce que les autres ignorent ou dissimulent. Dans « Chair disparue », le réalisateur s’intéresse à un moment de bascule dans la vie d’un couple de personnes âgées.
Dans ce quasi huis clos, c’est Louise qui va perdre pied, c’est elle qui va, à l’approche d’un événement tragique, être extra-lucide. Elle sent que la disparition de Paul est proche et cette sensation se transforme en quelque chose d’inexplicable, d’intangible.
Le film n’entre pas dès le départ dans le surnaturel. Le réalisateur nous conduit délicatement vers un décalage où Louise passe du monde réel à un monde de solitude. Dans sa précédente réalisation, Pascal Mieszala avait pris le parti de filmer des personnages pétris d’étrangeté sans pour autant avoir recours aux effets de post production chers au genre fantastique. En opposition, dans « Chair disparue », il exprime l’extra-lucidité de Louise par un rendu en transparence de Paul. Certains trouveront le procédé un peu simpliste ou presque inutile. S’il est vrai que l’on peut regretter la narration plus en suspension de L’enfant borne (où le surnaturel était seulement suggéré) « Chair disparue » révèle un talent habile du réalisateur pour filmer les corps.
Par une mise en scène extrêmement proche des personnages, on assiste à la fuite du charnel entre Paul et Louise. Le couple s’efface au propre comme au figuré. Une seule séquence, sans doute la plus émouvante, redonne à ce couple une existence charnelle. Ils sont proches et se touchent, les peaux se retrouvant une dernière fois.
Dans ce film, le travail de Mieszala est minutieux. Il aborde avec délicatesse le thème de la disparition et réussit à exprimer la peine de ceux qui restent. L’emploi d’artifices cinématographiques utilisés (comme la transparence du corps de Paul) pour rendre visible au spectateur la perte du rapport au réel de Louise cloisonnent cette œuvre dans le genre fantastique, mais il s’agit avant et surtout d’un regard poétique sur le deuil.
« Coloscopia » est le récit d’une success story toute particulière. Celle de Jackie La Rose, reine des playmates, devenue Coloscopia suite à une colostomie. Idole d’une nouvelle génération, elle devient la figure d’un nouvel eldorado de l’érotisme, le trash. Benoît Forgeard, son auteur, surprend, amuse et touche avec son dernier opus présenté en compétition à Clermont-Ferrand.
Ce matin, l’hiver est tombé sur le monde du charme et de l’indécence. C’est par ces mots endeuillés que commence Coloscopia petit bijou décalé et jouissif du toujours surprenant Benoît Forgeard.
Jackie La Rose, playmate star du magazine de charme Beauty, vient de subir une colostomie suite à un cancer fulgurant du gros colon et son docteur témoigne de l’opération sur le plateau télé d’une version illuminée de Thé ou café. Évoquer la pose d’un anus artificiel lors d’une émission matinale semble tout à fait naturel tout comme la retentissement du gong qui annonce , à la manière d’un film de Powell et Pressburger, le début de notre histoire épique.
Jackie (jouée par la sculpturale Caroline Deruas) décide d’assumer pleinement sa « poche » et de continuer à faire des photos de charme, affublée de son accessoire. Désormais rebaptisée « Coloscopia », elle devient rapidement le fantasme d’une nouvelle génération de lecteurs à la recherche d’un tout autre genre d’érotisme. Colo, pour les intimes, est bientôt courtisée pour apparaître dans des films hardcore au grand désarroi de sa mère (incarnée par la trop rare Christine Boisson), elle-même à la tête du magazine Beauty et garante de la tradition maison.
La force du film de Benoît Forgeard est d’insuffler de la mélancolie et de la douceur à un sujet pour le moins atypique. Le destin de Jackie, devenue Coloscopia, récit d’une success story à l’envers, est étrangement touchant. Au fond, Jackie tente non seulement de vaincre le handicap et les préjugés mais aussi tout simplement de rester désirable. Forgeard décrit aussi la fin d’un monde, celui d’un certain érotisme traditionnel et vieillissant face au besoin de plus en plus pressant du frontal et du cru vers le trash ultime.
L’humour n’est pourtant pas absent de ce court. On rit beaucoup notamment grâce à la présence toujours aussi jubilatoire de Darius (qui joue le docteur), comédien fétiche de Forgeard qui, par sa diction unique et son rythme, apporte beaucoup au film. La mise en scène semble autant se nourrir de films érotiques des seventies que de soap opera actuels dans une décomplexion bienvenue. En treize minutes seulement, Forgeard donne corps à des personnages hors normes sans tomber dans la caricature et étonne par la maitrise de son récit fantasmagorique.
Synopsis : Juste après son atterrissage sur Alpha 46, une lune de Jupiter, le cosmonaute Yuri Lennon se retrouvera confronté à un paradoxe extraordinaire.
Le dernier court métrage du Suisse Anthony Vouardoux, sorti de l’Ecole cantonale d’art de Lausanne (ECAL) et vivant à Berlin, se base sur le genre de la science-fiction mais est plutôt un essai ironique sur l’incommunicabilité et la soi-disant suprématie de l’Homme par rapport à son environnement.
Un astronaute symboliquement nommé Yuri Lennon part en mission vers Alpha 46, satellite fictif de Jupiter. Lorsqu’une intervention de Dan, son interlocuteur d’Houston et télé-pilote échoue, Yuri prend les choses « en main » et provoque l’atterrissage de la fusée lui-même. En arrivant à destination, il remplit sa mission en récupérant une perle rare qui se met à fusionner avec la Terre et se détache du firmament nébuleux. Il ne reste plus qu’à Yuri de choisir entre deux solutions : abandonner la Terre-perle sur Alpha 46 ou la ramener à elle-même.
Hormis le travail esthétique fort réussi et digne du genre duquel il s’inspire, Yuri Lennon aborde, en coulisse de son récit de science-fiction, l’échec de la communication, tant littéral que figuratif. La voix de Dan se transmet en bribes et en craquements à travers des années lumières, et ne montre aucune sympathie envers le protagoniste, lui refusant un dernier contrôle technique et dénigrant sa solitude et ses frustrations sexuelles. Yuri, de son côté, se moque d’Houston en lui faisant un doigt d’honneur et en chantonnant « I’m a poor lonesome Cowboy and I’m far away from home » en guise de provocation. Le travail de la caméra confirme ce décalage entre le personnage et le monde extérieur : dans le vaisseau, l’unique plan est celui du visage rapproché de Yuri qui laisse percevoir l’hors champs dans le reflet de son casque d’astronaute, montrant progressivement le décollage, le voyage dans l’espace et le gigantesque Jupiter.
La deuxième thématique abordée par Vouardoux est plus audacieuse, c’est celle de l’interférence néfaste de l’Homme par rapport au monde et en l’occurrence à l’Univers. Cette fiction intelligente revisite avec ironie mordante un genre usé qui trouve ici une expression inédite. « Yuri Lennon’s Landing on Alpha 46 » ou l’Apocalypse selon St-Anthony.
Le 33ème Festival de Clermont-Ferrand ouvre cette année une belle fenêtre sur le travail d’un artiste intuitif, François Vogel, avec deux films en projection : « Rébus » dans la programmation rétrospective des 10 ans du Labo, et « Terrains Glissants » en compétition nationale.
Avec « Terrains Glissants », le regard s’ouvre sur une plage qui semble avoir fondu au soleil, point d’entrée d’un voyage initiatique à travers le monde. Des rues de New York à celles de Buenos Aires en passant par les campagnes de l’Anjou, des décors naturels en distorsion permanente glissent et se déforment autour de François Vogel et de son appareil photo jusqu’à en donner le vertige. Les jours et les nuits filent au rythme effréné des heures, la planète tourne, et l’auteur, lui, avance dans l’image, point fixe de l’univers en mouvement, inversant les principes de la gravité. Les précisions métronomiques d’une voix-off qui marque l’espace et le temps contrastent avec des mouvements d’images à 360° où la perception visuelle est bouleversée.
Dans l’univers de François Vogel, tout évolue, se fluidifie et se transforme sans cesse à travers des miroirs déformants pour donner sens à une quête métaphysique d’une très grande esthétique.
Véritable performance visuelle et poétique d’un avant-gardisme insolent, ce court métrage expérimental réalisé en stop motion apporte un regard nouveau dans la technique de composition d’image, peut-être même une révolution du genre.
Synopsis : Images déformées, temps élastique : TERRAINS GLISSANTS nous offre une vision poétique et singulière de l’Homme sur la planète. Entre carnet de voyage et performance, le film retrace les errements d’un individu guidé par d’étranges voix intérieures.
Genre : Animation expérimentale
Pays : France
Durée : 11’
Année : 2010
Pays : France
Réalisation : François Vogel
Scénario, musique originale, interprétation, animation, effets spéciaux : François Vogel
Son : Mister Yellow, Alain Cure, Bruno Porret
Musique : John Cage
Montage : François Colou
Voix : François Vogel, Hélène Vogel, Stéphanie Daniel
À l’instar de Luc Moullet et Marcel Hanoun, Aki Kaurismäki était l’un des invités du Festival “Est-ce ainsi que les gens vivent…”, consacré à la « Comédie du travail ». Ce festival donnait l’occasion de revenir sur sa “trilogie ouvrière”, initiée par « Shadows in Paradise » (1986), poursuivie avec « La Fille aux allumettes » (1989) et conclue avec « Au loin s’en vont les nuages » (1996). Accompagné de Peter von Bagh, il a également rencontré le public dyonisien lors d’une master-class.
D’origine finlandaise, le cinéaste est un cinéphile passionné et un ardent observateur de la vie sociale en Europe. En 1983, il réalise une remarquable adaptation de « Crime et châtiment » de Dostoïevski, mais ce n’est qu’en 1989 qu’il accède à une reconnaissance internationale avec « Leningrad cowboys go America », en compagnie des membres d’un groupe de rock totalement farfelu. C’est alors qu’il réalise cinq courts-métrages musicaux. Puis, il écrit et réalise « Au loin s’en vont les nuages » (1996), « Juha » (1999) et « L’Homme sans passé » (2002), quelques-uns de ces plus grands films. Notre entretien, à l’image d’Aki Kaurismäki, fonctionne au rythme de l’humeur, des impulsions passagères et des formules bien trouvées. Son verre à la main, il revient sur l’Europe des années 1970, période où se jouent les bases de son travail de cinéaste, à la frontière entre mythologie et modernité.
Souvent, les lieux où vos personnages prennent des décisions importantes ne sont pas habituels. Il s’agit de voitures, de ports, de cafés… Pourquoi vos personnages passent-ils par exemple tant de temps dans les cafés ?
J’adore rester seul dans un bar. Si mes personnages passent du temps dans les cafés, c’est sans doute parce qu’ils ont soif. Plus sérieusement, ils sont là parce qu’il y a d’autres personnes autour d’eux, parce qu’ils se socialisent. S’ils restaient chez eux, c’est sûr, ça coûterait moins cher au producteur ! Et je pourrais rester chez moi pour tourner dans ce cas. Mais je ne veux pas être ivre chez moi, donc j’emmène boire mes amis dans un bar. Je fais la même chose avec les acteurs. De toute façon, ils sont si pauvres économiquement qu’ils n’ont pas de foyer. À Helsinki, nous vivions plus ou moins dans la rue. Donc le seul endroit où tourner était le bar, endroit où nous passions la majorité de notre temps. Depuis que la loi sur les « bars non-fumeurs » est passée, nous n’y allons plus, alors les histoires sont retournées dans la rue. Je pense que le bar demeure le lieu de vie du peuple, à Paris aussi. Concernant les emplacement que j’utilise dans mes films, j’ai tourné dernièrement dans le port du Havre, en France. Je crois que j’apprécie filmer des lieux où le vent souffle !
Vos premiers films s’inscrivent entre les deux cultures dominantes de l’époque, la culture américaine, avec la série des « Leningrad Cowboys » par exemple, et la culture soviétique comme lorsqu’à la fin de « Shadows in Paradise », le couple fuit vers l’Estonie, dans un bateau marqué du symbole communiste.
En effet, il y a ce symbole sur la cheminée du bateau. Mais, lorsque le film est sorti, tout le monde se moquait des symboles ! Pour moi, c’est une plaisanterie qui consistait à montrer que l’Estonie était un « paradis » pour mes personnages. Et il faut avoir vécu en Finlande dans les années 1970/1980 pour comprendre que partir en Estonie signifiait « faire un choix ». Pour des raisons logistiques, je ne pouvais permettre à mes personnages de les envoyer en Floride ! D’un autre côté, pensez-vous qu’ils puissent être heureux en Floride ? Par ailleurs, en Finlande, on a eu les juke-box, les flippers, l’arrivé du rock-and-roll et les gadgets du « monde merveilleux ». La culture finlandaise a été la plus influencée par celle des États-Unis depuis 1950. Baudelaire, j’ai dû le trouver moi-même. Personne n’en parlait.
Vous éprouvez une sorte de fascination pour les États-Unis et Hollywood, mais ce sentiment est lié à de la haine. Qu’en est-il ?
J’admire un certain cinéma hollywoodien, seulement jusqu’à 1962. Après quoi, il n’y pas de fascination à avoir. Je pense que c’est de la merde.
Vous avez tourné vos premiers courts-métrages avec le groupe de rock, les « Leningrad Cowboys ». Ces courts-métrages dessinent un univers noir, inscrit dans la mafia finlandaise, mais posent également un regard ironique sur la hiérarchie entre les « têtes dures » et les « loosers ».
Vous savez, les « courts-métrages » dont vous parlez, ce sont des clips de rock pour le groupe. Ils ont été tournés en 35mm mais ils étaient faits pour la publicité. On les appelle des « courts-métrages » mais ils n’en sont pas. C’est l’époque où MTV est arrivé. Je pense qu’il s’agissait des premiers clips finlandais. A l’époque, ces gars étaient révolutionnaires. Ils étaient sauvages, ils étaient grands. Les groupes de rock avaient juste trois minutes pour montrer toute leur créativité. Il m’arrivait d’être jaloux et de me dire : « Bon sang, qu’est-ce qu’ils sont libres ! ».
Aujourd’hui, les images montrent des gens qui s’entassent en remuant et en bougeant leur corps. Rien n’est transmis au public. Comment se fait-il qu’un travail artistique comme celui-ci soit aussi florissant pendant un an et puis meure d’un coup ? Comment a-t-on pu dépenser tant d’argent pour cela ? La mort soudaine de cette dynamique a été à la hauteur des investissements.
Récemment, vous avez été amené à refaire un film court intitulé « Bico » (2004). Pourquoi êtes-vous revenu à une forme courte ? Et, parallèlement, au documentaire ?
Je l’ai fait pour des raisons privées. Quelqu’un m’a demandé de faire un film sur le village où j’habite, au Portugal. C’était une manière de documenter ce lieu, alors, oui, c’est un documentaire. Il n’est pas très bon. Je dirais qu’il s’agit d’un fragment, quoi que cela signifie. Mais, en général, je me sens à l’aise avec tout ce qui est inférieur à 90 minutes. Au-delà, je me sens dans l’insécurité. La longueur d’un film est liée à la présence des dialogues. S’il y en a beaucoup, les films sont plus longs. Tout ce qui excède 100 minutes est trop long, sauf « Ben-Hur (1959) ». Si les films sont silencieux, ils sont plus courts.
Les personnages de vos films semblent perdus, ils ont l’air de se demander en permanence : « dois-je rester ou dois-je partir ? ». Serait-ce un symptôme du présent ?
Mes personnages ne sont pas perdus, c’est le reste du monde qui est perdu. Fondamentalement, ils ne savent pas où aller. C’est ça, le problème. Ils veulent aller quelque part et ils veulent rester, ils ne savent pas quoi faire. Ils ne sont pas à l’aise où qu’ils soient. Ce sont des personnages plutôt autobiographiques.
La question est compliquée parce que mes personnages ont un certain inconfort qui est de facto dans mon sang, mais je ne fait pas des autoportraits pour autant. J’essaie de décrire les gens mais mon propre inconfort se retrouve dans les personnages. Parce que j’ai toujours aimé partir mais, je ne sais pas où, sauf dans ma tombe. Il n’y a qu’au Japon où je me sens à peu près bien.
Tout comme Alain Resnais, les acteurs que vous choisissez ne changent que très rarement. Kati Outinen a, par exemple, participé en tant qu’actrice à huit de vos films. Pourquoi cette permanence ?
Si les acteurs sont bons, pourquoi en changer ? John Ford aimait travailler avec John Wayne pour cette raison. Il en est de même avec Marcel Carné et Jean Gabin. Lorsque ce sont des acteurs géniaux, un cinéaste ne peut pas s’empêcher d’écrire les rôles pour eux. C’est comme une famille. Mais ça n’est pas une marque de paresse !
« La Vie de bohème »
Dans vos films, vous n’hésitez pas à faire des citations, à récupérer des formules ou à utiliser des archétypes. Pourquoi aimez-vous tant les citations ?
J’aime les citations parce que je n’ai pas d’idées par moi-même. J’aime Godard lorsqu’il dit : « Lorsque tu voles, vole honnêtement. » Dans « La Vie de bohème » (1992), lorsque le peintre vend toutes ses toiles pour payer les frais d’hôpital à Mimi, Jean-Pierre Léaud — qui joue le bourgeois — dit : « Qui a peint cela ? Becker ? », et le peintre acquiesce. Jusqu’à maintenant, je n’ai trouvé personne qui savait qu’il s’agissait de la dernière image de Montparnasse 19 de Jacques Becker. Donc quand on cite, il faut le faire avec respect. J’ai volé l’image, mais j’ai mentionné à l’intérieur de l’image qu’elle provient de Becker. À ma grande déception, personne ne l’a remarqué. Plus globalement, le cinéma est intéressant parce qu’il est fondé sur une certaine illusion, sur des archétypes, qui sont sans cesse repris, volés. Comme en littérature, tout est fondé sur quelques histoires. Les gens vont au cinéma pour voir ces histoires et ils veulent en connaître les variations.
Vous êtes actuellement l’invité du Festival « La Comédie du travail ». De vos premiers courts-métrages aux « Lumières du Faubourg » (2008), vos films sont centrés autour du travail et des conséquences liées à celui-ci. Pensez-vous que vos films soient « politiques » ?
Vous pouvez faire des films politiques mais c’est ennuyeux. L’idée même de faire un film politique est vouée à l’échec. Les gens vont voir des films pour sortir de la réalité. Il ne veulent pas la rencontrer au cinéma. Dans mes films, il n’y a pas de messages politiques, tout du moins, j’espère qu’il n’y en a pas. Sauf peut-être celui-ci : « Tuez le Capital ! ». C’est sans espoir.
Chaque nouveau court métrage de Benoit Forgeard donne lieu à de légers voire violents spasmes abdominaux selon les spectateurs. Impossible semble-t-il de rester de marbre face aux propositions de l’animal et à son humour catégorie indéfinissable. Après les brillants « La course nue » (2005) et « Belle île en mer » (2007), le revoilà en forme olympique avec « Respect » et « Coloscopia », le dernier étant en compétition à Clermont. Le film relate l’histoire de Jackie, playmate à succès contrainte de subir une colostomie, opération qui fera d’elle Coloscopia, la playmate à la poche, fantasme ultime de nouveaux lecteurs. L’occasion de rencontrer l’auteur chez lui entre masque d’escrime, peinture de berger allemand et navette spatiale.
Même venant de votre part, on ne s’attendait pas à un tel sujet. D’où vient l’idée de départ ?
Je n’en sais rien moi même. J’essaye d’avoir une démarche qui me vient de la période où j’étais étudiant aux Beaux Arts. Plutôt que de traiter un thème, j’ai toujours une curiosité pour des choses qui viendraient de mon inconscient et que je vais mettre en avant, quelques fois avec inquiétude, comme c’est le cas avec cette histoire de colostomie. Il m’arrive quasi quotidiennement de faire un exercice de pitching où j’écris des pitchs de trois phrases en essayant de ne pas me censurer, en écrivant n’importe quoi, des choses qui m’amusent quand même. L’histoire de Coloscopia était l’un de ces pitchs. Ca me paraissait complètement abominable. Quand je suis retombé sur ce pitch de playmate à poche ça m’a fait rire mais ça m’a surtout touché. Esthétiquement aussi, le sujet était assez riche dans sa simplicité, un trou dans un corps. Le film parle aussi de désir et de morale.
Dans le film, les lecteurs du magazine développent un fétiche pour la colostomie. Aviez-vous envisagé d’autres fétichismes ?
A priori, je ne sais pas s’il existe. Je ne sais pas si les gens sont fans de … ce genre de choses. On ne peut pas dire que j’ai trouvé beaucoup de choses sur internet. C’est un fétichisme un peu extraordinaire et extravagant et qui contient une part grotesque – dans ce que ça a de tragique d’avoir une colostomie. Cette poche est la dimension grotesque et la farce de la colostomie, et ça m’intéressait.
Quand vous avez présenté l’idée à votre producteur (Emmanuel Chaumet, Ecce films), s’est-il montré réticent ?
A ma grande surprise non. Je me disais que je faisais un truc où je n’en faisais qu’à ma tête et que je serais surpris d’être suivi. D’ailleurs tout au long de la production ça a été simple. C’est aussi pour cette raison que je pense que cette histoire de colostomie doit raconter quelque chose aux gens, les toucher inconsciemment. Je n’ai d’ailleurs toujours pas mis le doigt dessus, c’est le cas de le dire.
L’esthétique du film fait autant appel aux films érotiques des années 70 qu’aux plus récentes télénovelas. Comment sont nés les choix visuels ?
Mon idée de départ était de raconter – à travers l’itinéraire de Jackie qui vient d’une revue érotique classe – l’évolution de l’érotisme aujourd’hui. Quand on regarde les revues ou les films pornographiques, l’érotisme a changé de nature. C’est un peu l’équivalent en sport de ce que pouvait être la gymnastique dans les années 70. Aujourd’hui c’est quelque chose qui est plus dans la force, dans la crudité. Je voulais deux univers dans le film, un univers assez passéiste très doux qui rappelle le magazine Playboy et l’univers de Coco Lapin (nom du magazine dans le film) avec une lumière plus forte, plus blanche et une ambiance plus vidéo, plus rude.
En cela le personnage de la mère, joué par Christine Boisson, est intéressant. Il est empreint d’une certaine nostalgie liée à son passé. Sa fille lui échappe et ce qu’elle a connu, cette dynastie de playmates, n’est plus.
La mère de Jackie est en effet dépassée par l’érotisme de sa fille et ce nouveau concept qui consiste à prendre des libertés assez folles avec la morale et avec son propre corps. Elle devient tout à coup la voix de la raison alors qu’elle-même était censée incarner la débauche. L’anecdote veut que Christine Boisson a elle-même un passé de playmate.
Votre rythme de travail est assez élevé, est ce un avantage ou un handicap notamment par rapport à la vie des films ?
« Respect » et « Coloscopia » inaugurent un nouveau cycle. « La course nue », « Belle île en mer » et « L’antivirus » étaient des œuvres rassemblées (récemment présentées ensemble dans un même film à sketches), « Respect » et « Coloscopia », je les ai faites dans une volonté d’aller vite par rapport à des choses inconscientes. Comme je suis dans l’optique du long métrage, je ne souhaite pas passer trop de temps sur les courts. Par expérience, les choses peuvent gagner à être cuisinées très rapidement, jusqu’à un certain point bien sûr.
Pouvez-vous nous parler de l’incroyable Darius, votre acteur fétiche, qu’on ne voit d’ailleurs que chez vous ?
Darius, j’ai toujours un rôle pour lui. Il sera dans le long aussi. Au moment de l’écriture, c’est un des seuls pour qui j’écris spécifiquement. J’entends sa voix et ça apporte quelque chose. C’est quelqu’un qui a une forme de grâce et un rythme qui convient à mon univers.