Assise à la terrasse d’un café, Blandine Lenoir, nommée aux Césars pour Monsieur l’Abbé qu’elle est venue présenter à Clermont-Ferrand, se prête au jeu de questions/réponses avec un humour et une spontanéité caractéristiques de ses films.
Format Court : Tu as commencé très jeune comme comédienne sous la direction de Gaspard Noé. Que retires-tu de cette expérience particulière?
Blandine Lenoir : J’avais 15 ans et je n’avais pas encore de fantasmes de tournage. Je n’imaginais pas du tout ce que c’était d’être dans un film et très vite, j’ai senti que c’était très concret. Ca a été une expérience enrichissante et un peu paralysante aussi parce que tout le monde me ramenait toujours à cela. Aujourd’hui, 20 ans après, je continue de penser que Carne et Seul contre tous sont de vrais chefs-d’œuvre et je suis très fière d’avoir participé à ces films.
Comment s’est passé ton passage à la réalisation ?
B.N. : J’ai rencontré Gaspard parce que je voulais réaliser, j’étais très curieuse. A l’époque, je fumais beaucoup, je me la jouais un peu et je voulais être réalisatrice. L’expérience avec Gaspard m’a appris beaucoup de choses.
Tes films traitent de façon récurrente de l’utilisation de la frontière entre la réalité et le rêve, entre la vie et ses contraintes et la volonté d’y échapper. Comment expliques-tu cette particularité ?
B.N. : Je pense que c’est une obsession de n’importe quel artiste, ça lui est intrinsèque parce que la réalité n’est juste pas supportable. Tu es obligé de poser ton regard sur le monde et de le raconter à ta façon pour pouvoir l’accepter.
Mais tu restes quand même proche de la réalité.
B.N. : Ca dépend de mes films. Il est vrai que les derniers étaient des comédies sur des sujets de société importants. Pour « Rosa », si j’avais fait un film sérieux sur les galères pour reprendre son travail une fois devenue maman, ça aurait été un peu ennuyant. En plus, il me semble que je fais mieux passer les messages dans le rire que dans le pathos et même si c’est très difficile à écrire, c’est génial à réaliser.
Ton cinéma semble justement très écrit. Comment abordes-tu cette étape-là ? Comment te viennent les idées ?
B.N. : Mes idées viennent de ce que je vis ou de ce que l’on me raconte. Par exemple Ma culotte est inspiré d’une copine qui a 50 ans. Quand tu as 50 ans, tu te sens vieillissante et en même temps si tu as envie de tendresse, d’affection, de sexe comment fais-tu ? J’ai trouvé que c’était un super sujet et en commençant à écrire, au moment d’arriver à la fin de la situation de la femme avec son amant pourri, je me suis dit qu’il était intéressant également de montrer le début de la sexualité, par contraste. C’est la raison pour laquelle j’ai fait intervenir le personnage de l’adolescente.
Le choix du court métrage, est-ce un format qui te permet de dire des choses assez fortes en un moment condensé ?
B.N. : Le court, pour moi, ce n’est pas une étape, c’est vraiment un format intéressant. Si tu prends Monsieur l’Abbé, en 1h30, ce serait indigeste, ce ne serait pas recevable. Mais si tu prends « Rosa », par contre, j’aurais très bien pu en faire un long-métrage. « Ma culotte » je n’aurais pas pu en faire un long non plus. Ce sont les sujets qui déterminent le format.
On ne peut pas parler de toi et de tes films sans parler de Nanou Garcia. Comment se passe cette collaboration ?
B.N. : Nanou, c’est un peu ma Catherine Deneuve à moi. C’est une immense comédienne. Je ne connais pas de femmes aussi belles, aussi créatives et aussi fantaisistes. En gros, j’écris, puis je lui fais lire. Elle apporte ensuite des petites idées. D’autres gens ne la mettraient pas au générique parce que ce n’est pas tout à fait de la co-écriture, on n’écrit pas vraiment à quatre mains. Parfois, elle m’apporte trois idées qui font juste décoller le film.
On constate ta fidélité à Nanou mais aussi à d’autres acteurs, on peut parler de « la troupe Blandine Lenoir », non ?
B.N. : Oui, c’est vrai car je ne peux pas filmer quelqu’un que je n’aime pas. Il faut que j’aie un certain intérêt, de la tendresse pour les acteurs. Il me faut instaurer un rapport de confiance d’où ma fidélité. Je reste dans un rapport très sain, loin de tout fantasme.
On sent un véritable engouement de la critique et du public pour ton dernier film, Monsieur l’Abbé pourtant il est fort différent de tes autres films. Le message est plus politique et il y a moins d’humour.
B.N. : Non mais je pense qu’aux vues de la situation politique actuelle en France, je suis vraiment en colère sur beaucoup de sujets. Je suis cinéaste et ma façon de réagir, c’est de faire des films.
La mise en scène du film est travaillée. Cette idée de présenter les témoignages de manière frontale est très originale. Dès le départ, quand tu as lu ces lettres, tu t’es représentée le film de cette façon ou c’est arrivé petit à petit ?
B.N. : Non, ca été comme un cheminement, si tu veux. Entre le moment où j’ai voulu faire ce film et sa réalisation, il s’est écoulé un an, j’étais habitée par les lettres, j’avais des images. Nous avions un budget de 100.000 euros, ce qui n’est rien. Donc il y a eu aussi une contrainte financière qui m’a rendu très créative. Ces contraintes font l’écriture aussi. Je voulais vraiment que ce soit comme une confession et je ne voulais pas voir les comédiens écrire, je voulais les voir face à nous. Ce qui est très difficile pour les comédiens parce que jamais, ils ne regardent la caméra.
As-tu d’autres projets ?
B.N. : Je suis occupée à écrire un petit film d’animation militant sur les droits des femmes. J’ai un petit projet documentaire que je vais réaliser au printemps. Si non, j’ai un projet de long-métrage qui est vraiment très avancé et trois autres qui sont en développement. C’est un peu un parti-pris avec mon producteur Nicolas Brevière (Local Films). On présente plusieurs projets pour être sûr qu’il y en ait au moins un qui se développe.
Monsieur l’Abbé est dans les cinq finalistes pour les Césars. Comment as-tu pris la nouvelle ?
B.N. : J’étais très contente, évidemment car c’est déjà une première reconnaissance de la profession que d’être sélectionné et finaliste. On verra…
Propos recueillis par Marie Bergeret
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