La sélection Labo du Festival du court métrage de Clermont-Ferrand a fêté ses 10 ans cette année, et s’est munie pour l’occasion d’un DVD édité par les éditions Potemkine et Agnès B., sorti officiellement dans le commerce depuis le 15 Février. Appuyé par un artwork classieux et un authoring minimaliste (musique de fond par Jens Thiele), ce DVD est un condensé de techniques innovantes, de propositions narratives et formelles parmi les plus intéressantes. Il regroupe 10 films (et un bonus caché, à voir absolument), sous la forme d’un florilège d’oeuvres diverses et variées parcourant dix années d’expériences et d’audaces.
On retrouve dans ce DVD quelques « poids lourds », comme Thorsten Fleisch avec son film « Energie! », condensé de photographies de structures électriques bizarroïdes (une courte explication très drôle de sa technique est présente sur le DVD) ; mais aussi Bif, poulain de l’écurie Autour de Minuit, avec le court délirant « Raymond », dans lequel un maître-nageur fatigué, souhaitant découvrir l’océan, fait appel à une équipe de scientifiques pour contrôler ses mouvements à distance ; et enfin, David Russo, artiste génial du stop-motion (qui a droit lui aussi à son module explicatif complémentaire), avec son court « I Am (Not) Van Gogh », dans lequel il met en parallèle images d’horloges, de bouches et de poissons peints prenant vie dans la réalité, et intentions exprimées devant les décideurs financiers d’un festival d’art décidément très sceptiques.
D’autres oeuvres complètent la galette, comme « Sea Change » de Joe King et Rosie Pedlow (plusieurs plans de mobile home et d’individus se promenant à divers moments de la journée, filmés en travelling latéral, se fondent entre eux par l’art du montage et créent une longue carte postale), « Wir Sind Dir Treu » de Michael Koch (immersion pendant un match de foot dans la tribune de supporters du FC Bâle, alors qu’une personne s’époumone à mettre de l’ambiance pour soutenir son équipe, le tout filmé en point de vue unique, sans jamais voir la partie se jouer), « Duck Children » de Sam Walker (pièce de théâtre jouée par des enfants habillés en canards qui dégénère à l’arrivée d’un chasseur adulte à la tête déformée s’en prenant aux canards-enfants avec un fusil, avant de retourner l’arme contre lui), « The Tale Of How » du Blackheart Gang (fable sud-africaine sous la forme d’une comédie musicale animée parlant de « piranhas » voulant s’échapper du joug d’Otto, une pieuvre malfaisante, et aidés en cela par une « souris » du nom d’Eddy), et « Délices » de Gérard Cairaschi (succession stroboscopique de deux images qui se fondent pour en donner une troisième en jouant sur la persistance rétinienne, à la fois dérangeante et fascinante).
Deux oeuvres retiennent tout particulièrement l’attention, il s’agit en premier lieu de « The Raftman’s Razor » de Keith Bearden, membre du jury cette année à Clermont, qui raconte l’obsession grandissante de deux adolescents vis-à-vis d’un comics dans lequel il ne se passe pas grand-chose. En effet, le comics met en scène un homme perdu au beau milieu de la mer dans un bateau pneumatique, il se rase pour passer le temps et faire bonne figure, et il lui vient une pensée philosophique différente à chaque fois qu’il entreprend ce geste. Un jour, n’apparaît dans le comics que le rasoir : le naufragé a disparu, les adolescents découvrent alors la vérité. Fable sur le passage à l’âge adulte, la perte de repères, ce court métrage de 7 minutes est d’une grande poésie, visuellement et thématiquement très abouti et très bien réalisé.
La deuxième oeuvre est « Lila », produit par Autour de Minuit et réalisé par le Broadcast Club, qui ressemble à s’y méprendre à un film de vacances avec sa succession de plans de vacanciers de tous âges et de tous horizons vaquant à leurs occupations dans un camping du Bassin d’Arcachon, près de la dune du Pyla. Et pourtant, voici un film d’une grande originalité, qui propose une vaste palette d’émotions, magnifié par la musique envoûtante du trio post-rock instrumental français, Limousine. Alors que les nouvelles à la radio ne sont pas toujours très réjouissantes, se succèdent à l’écran des portraits de gens souriants qui posent, magnifiés par la caméra. Ils ne se font pas de soucis, profitent du temps présent. Nous passons toute une journée avec eux, assistons au coucher de soleil dans un silence apaisant, puis nous nous rendons à une fête dans laquelle nous nous perdons. Pas de jugement, juste une galerie de portraits créant un bout d’humanité qui vit, malgré tout.
DVD 10 ans de Labo : co-édition Potemkine et Agnès B.