Présenté cette semaine en compétition au festival Premiers Plans d’Angers, La Dame au chien étonne par sa construction frontale mais élégante, en abordant la rencontre improbable entre deux corps que tout oppose dans un huis clos moite et alcoolisé.
Regarde-le, il est vieux et un peu pute. C’est la dame qui parle ainsi de son chien. Mais c’est elle que le jeune homme qui ramène l’animal égaré fixe, fasciné par ce corps affalé, sexué, imposant et passablement ivre. C’est elle la dame au chien et nous sommes dans son salon.
Elle est grosse, noire et plus âgée. Lui est un blanc-bec chétif à peine pubère. Les contraires s’attirent et les regards se perdent. Entre une citation de Shakespeare (Mon corps est un jardin et mon esprit son jardinier) et une démonstration de développé couché, le garçon enchaîne les verres de rhum, encouragé en cette chaude après midi d’été par le regard approbateur de son hôte.
Le vieux chien un peu pute les quitte et part en éclaireur devant la porte de la chambre, suivi peu de temps après par le jeune homme éméché et enfin par la maîtresse de maison qui finit par s’échouer sur le lit, comme épuisée par autant de tergiversations.
« Tu veux faire quoi ? lui dit-elle.
-Dans la vie ?
-Non, tout de suite. »
Il ne sait pas. C’est bien ça le problème. Il a beau se raccrocher à son verre à moitié vide ou à moitié plein, il ne sait plus. Le désir monte et le malaise s’installe. Y aller ou pas ? La femme n’a pas attendu qu’il se décide et finit par s’endormir en chien de fusil. Bien entendu. Lui décide de s’éclipser même si en oubliant son sac à dos, il revient pour quelques instants à l’intérieur de ce pavillon de banlieue, champ éphémère des possibles.
Le tour de force de Damien Manivel est de nous installer directement dans l’action de son histoire sans que l’ellipse du début ne pose problème. Il construit son récit de manière resserrée et tendue, ce qui confère au film une sorte d’urgence propre à l’adolescence ici décrite. L’ambiguïté de la situation rend le malaise palpable mais jamais Manivel ne tombe dans la provocation gratuite ou la facilité. Toujours sur le fil.
La dualité des corps, la léthargie de l’un face à l’éveil de l’autre apporte au film sa beauté étrange voire inquiétante. L’auteur donne à voir des corps de cinéma habituellement invisibles ou masqués, mais filmés ici avec pudeur et fierté.
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Article associé : l’interview de Damien Manivel
Magnifique court-métrage ! Un coup de maître, je suis sûr qu’il sera primé à Clermont-Ferrand.
Cela me fait penser au travail de Sébastien Lifshitz, non ?