Le temps d’un week-end, le FIFF a réuni nombre de petits films aux voix lointaines, douces et graves venues des différents coins de la Francophonie. Dans la compétition nationale où 15 films concouraient, l’inflexion était parfois excessive, tremblante, hésitante et maladroite mais elle s’est tout aussi bien montrée jouissive, vraie, profonde et torturée. Aperçu de cinq cris de cœur.
Caniche de Noémie Marsily et Carl Roosens
Un clebs tout émoustillé par une revue féminine d’où s’échappent des conseils de beauté désuets, un coiffeur zoophile et des « Desperate housewives » endimanchées. Quoi de plus naturel en somme ? Rien ne l’est plus dans l’univers de Marsily/Roosens… Le duo d’illustrateurs nous livre une joyeuse animation, libre de toute contrainte narrative classique. Un trait souple et crayonné, presque enfantin, auquel s’ajoutent des photos de visages collées nonchalamment sur des bourgeoises rigides, reflète le décor idéal d’un esprit délicieusement dérangé. À l’image de la citation de Céline qui clôt le film, cette courte démonstration animée des amours canines unit absurdité, humour et nihilisme. Oui, sans aucun doute, l’amour, c’est l’infini mis à la portée des caniches, mais des caniches qui ont leur dignité, eux !
Pour toi, je ferai bataille de Rachel Lang
Délicat et sensible, proche d’un cinéma intimiste à la Doillon, ainsi se présente le film de fin d’études de Rachel Lang, issue de l’IAD. Lauréate du Léopard d’argent à Locarno, la Strasbourgeoise se sert du langage cinématographique pour exprimer les doutes d’une jeune fille paumée qui trouve dans le service militaire un guide rassurant. Le film ne serait qu’une ode à cette structure spartiate et polémique s’il ne dépassait pas grandement son sujet par une mise en scène résolument confidentielle. La réalisatrice réussit tout simplement à aller au-delà du paraître pour atteindre l’être dans sa fragilité et sa vulnérabilité dans une histoire où l’armée n’est finalement qu’un prétexte à un texte bien plus profond, plus existentiel, plus métaphysique. Car Lang nous parle d’elle-même, de nous, d’une jeunesse sacrifiée prête à faire des choix extrêmes pour trouver un sens à sa vie, tout en restant si vraie. Une vérité qui se confirme dans l’interprétation à fleur de peau de Salomé Richard. Avec un souci du ton juste, une fraicheur et une spontanéité naturelles, l’actrice porte le film sur ses frêles épaules et s’offre sans retenue à une caméra qui tente invariablement de lui ouvrir le cœur.
Na wewe de Ivan Goldschmidt
Dans la région des mille collines, par un matin calme de l’année 1995, la vie de Jean-Luc Pening, agronome belge installé au Burundi, bascule dans le noir. Une balle dans la tête, tirée à bout portant lui ôte la vue. Sur l’écran noir de ses nuits blanches, il rêve de dénoncer l’absurdité de la guerre dans un récit simple et touchant. « Na wewe », signifiant « toi aussi » en kirundi, est une histoire essentiellement humaine, sans amertume ni rancune qui met en scène l’assaut de passagers d’un mini-bus par des rebelles, désireux de séparer les membres de la compagnie selon leur appartenance ethnique. Les acteurs, non professionnels pour la plupart, interprètent une situation fictive maintes fois vécue dans leur réalité d’autochtones. L’expérience cinématographique apparaît dès lors comme une réelle catharsis permettant d’exorciser les démons du passé. Malgré une tension palpable tout au long du film, face à un conflit absurde et dénué de sens, Pening et Goldschmidt ont pris le parti de l’humour. Un humour qui déconcerte dans un premier temps, mais qui fait très vite place à l’empathie pour des personnages criants de sincérité.
Nuit blanche de Samuel Tilman
Quotidiennement, des sauveteurs interviennent en haute montagne pour aider des touristes égarés ou en danger. Tous les jours, des hommes et des femmes tentent de réussir l’impossible pour sauver des vies. Nuit blanche raconte quelques heures dans la vie de Serge, l’un de ces « surhommes », en une fiction habilement réalisée par l’auteur de Voix de garage. Grâce à un montage dynamique, on passe de la centrale où se trouve Serge, lieu de chaleur et de réconfort à l’hostilité nocturne de la montagne qui emprisonne en son sein, Ariane et deux de ses amis. La nuit tombe, le vent glacial annonce un redoutable blizzard et les trois solitudes n’ont plus qu’une voix humaine, celle de Serge, pour les réchauffer, pour les réconforter. Même si au fond de lui, il sent que les chances de les garder en vie sont faibles. Le contraste des lieux et le choix de ne jamais montrer les victimes forcent le spectateur à adopter le point de vue de Serge et à se retrouver à attendre comme lui, les nouvelles d’Ariane qui surviennent au compte goutte. Suspense et confinement contrastent avec l’immensité de cette nature immaculée, sorte de paradis perdu qui peut aussi se montrer terrible et impitoyable.
Thermes de Banu Akseki
Avec son second opus, Banu Akseki confirme son talent de réalisatrice et sa volonté de faire un cinéma social qui se démarque fortement de ses aînés. Thermes ou la violence des échanges en milieux humides nous plonge dans les abysses d’une relation mère/fils problématique. La mère (admirablement interprétée par Sophia Leboutte) sombre dans l’alcool, le fils, quant à lui, est dans un mutisme proche de l’autisme. Et dans cette impossibilité de communiquer, chacun se côtoie tout en restant dans sa bulle. Lorsque Joachim gagne des places pour les thermes de Spa, c’est tout naturellement qu’il invite sa mère dans ce lieu de détente et de bien-être. Il faut croire que Banu aime filmer les femmes dans le désarroi, « Songe d’une femme de ménage » montrait une nettoyeuse turque, en proie à une crise existentielle. À l’instar de Cassavetes qui filme Gena Rowlands dans Une femme sous influence, Akseki capte la déchéance physique et psychique de la mère en un magnifique plan-séquence à travers le spa. Le luxe et la quiétude des lieux contrastent violemment avec son mal-être. Et si seule la dignité vaut la liberté, pour la cinéaste, seule l’immersion complète permet de refaire surface !