Kill your Idols !
Déjà connus et reconnus pour leurs pubs et leurs clips, François Alaux, Hervé de Crécy et Ludovic Houplain – aka le collectif H5 – viennent de remporter avec leur premier film l’Oscar 2010 du meilleur court métrage d’animation. Logorama nous embarque dans un manège étourdissant de logos publicitaires, presque aussi cruel et frénétique que le matraquage orchestré par les grandes marques, jusqu’à l’apocalypse…
Une belle journée à Los Angeles. Ça sifflote joyeusement. Des flics conversent dans leur voiture de patrouille. Des enfants visitent le zoo. Et puis, au détour d’une rue, comme dans tout bon blockbuster, le sourire du clown psychopathe, la course-poursuite, la prise d’otages, le gunfight… Avant l’escalade finale. B.O rétro, dialogues à la sauce Tarantino des séries en vogue, rythme effréné, les ingrédients classiques sont là. S’amusant des conventions des films policiers et des films catastrophe, Logorama enchante par son casting de stars ! Au rang des héros et des clins d’œil, les Bibendums Michelin incarnent les forces de l’ordre, Monsieur Propre officie comme guide du zoo, le Géant Vert se soucie du bien-être des animaux et la jolie serveuse n’est autre qu’une pin-up Esso. Le rôle du grand méchant revient de droit à Ronald McDonald qui, « I’m loving it ! » carnassier en bouche, se fera un plaisir de dézinguer tout ce qui bouge et de corriger les deux garnements de service : le bonhomme Haribo et le gamin Big Boy.
Au long de 16 minutes enjouées, Logorama laisse libre cours à l’animation typographique virtuose de 2500 logos. Logos tous plus charismatiques les uns que les autres, tous gravés dans nos mémoires rétiniennes, notre temps de cerveau disponible. Là aussi, ils sont absolument partout. Ils sont tout à la fois le décor et les acteurs. Ils font crisser les pneus, font parler les colts, se haïssent et s’entretuent avant de finir engloutis par un séisme géant, noyés dans un océan nimbé de pétrole et de déchets radioactifs. La violence déchaînée du clown McDo envers la terre entière et notamment envers un Big Boy « tête à claques », symbole d’une chaîne concurrente de fast-foods, n’est peut-être pas un hasard. Ce dénouement chaotique, cet enfouissement du monde des grandes firmes capitalistes, non plus… Dénouement en spirale, long travelling arrière jusqu’à l’infini de l’espace, composé lui aussi de sigles commerciaux. La boucle est bouclée.
Laissant de côté le caractère oui ou non subversif et contestataire du détournement de ces icônes marchandes, les réalisateurs présentent plutôt leur film comme un « droit de réponse » au déferlement d’images de nos sociétés de consommation. L’intégration du fait que nous vivons sous un bombardement permanent de marques, de labels, où tout se vaut, s’égalise. Ici, le RAF historique de Baader et Meinhof apparaît au même rang que les Stop&Shop et autres Master Card. Et peu à peu, au fil de l’intrigue, l’impact visuel des logos s’estompe au profit de l’aventure des personnages. En un sens, le politique dans Logorama, ce sont son existence même et son goût du ludique. L’audace d’avoir écrit et produit un court métrage bluffant et drôle autour de 2500 logotypes sans autorisation préalable et en dépit du droit international. Un pari payant puisque le succès public et les récompenses sauront sans doute mettre le collectif et ses producteurs à l’abri des quelques 3000 procès possibles. Engouement porté aussi par l’affection inconsciente que chacun éprouve peut-être pour ces mascottes flashy, parasites colorés de notre quotidien.
Au-delà de l’indéniable talent des H5, l’Oscar et les nombreux prix internationaux récoltés par Logorama consacrent également la vivacité de l’animation française et l’émergence d’une nouvelle génération de créateurs. Quand ils ne sont pas tout simplement autodidactes, ces créateurs ne sortent pas forcément des écoles de cinéma mais s’échappent volontiers des sphères des Beaux-Arts, du graphisme ou de la communication. Riches de ces parcours transversaux, ils n’hésitent pas à mêler les codes et les formules de différents univers, à brouiller les pistes et les genres, à dresser un pont entre le langage cinématographique et l’innovation plastique. François Alaux et Hervé de Crécy vont ainsi, à la demande de l’éditeur Ubisoft, adapter le jeu vidéo Tom Clancy’s Ghost Recon Future Soldier en court métrage de 20 minutes, avec Ridley et Tony Scott à la production. Un rapprochement de bon augure.
Xavier Fayet
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