Pendant plusieurs mois, le Brésilien Sergio Oksman s’est intéressé à Ernest Hemingway, à ses sosies, aux fantômes, et à une photographie vieille de 86 ans. Parlant de son film comme d’une imposture, le réalisateur de « Notes on the Other » (Notes sur l’autre) revient sur son parcours, sur la manière de raconter des histoires, et sur la frontière entre la fiction et le documentaire.
Tu es brésilien, tu parles espagnol, mais ton film est en anglais. Pourquoi avoir choisi cette langue ? Était-ce à cause d’Hemingway ?
Oui, probablement à cause de lui. Pour moi, chaque film a sa propre langue. Pour le moment, je suis en train de travailler sur trois projets. L’un est en anglais, le deuxième en portugais, et le troisième en espagnol. La langue dépend du sujet et de la manière dont je vais en parler. Par l’exemple, l’un des projets est un journal d’un voyage au Brésil, la langue est donc naturellement le portugais.
Le film repose sur une histoire dont t’a parlé un de tes amis, Carlos Muguiro. Qui est-il ?
Carlos est un scénariste fantastique. C’est lui qui a crée le Festival Punto de Vista, probablement le festival de documentaires et de films expérimentaux le plus important d’Espagne. Il y a six ans, il m’a montré une photographie prise en 1924 et un essai qu’il avait écrit à propos d’un regard croisé, et m’a dit : “essayons de faire un film sur les fantômes, à propos de cette image, car les fantômes se sont accumulés dans le même endroit pendant plus de 80 ans ».
Comment a-t-il trouvé cette photographie ?
C’est quelqu’un de curieux, par nature. Il a fait des recherches ou il a lu quelque chose à son sujet. Mais ce qui est intéressant, ce n’est pas la photo elle-même, c’est l’histoire qu’elle a inspiré car au bout du compte, le film ne parle pas de fantômes mais d’imposteurs.
Comment produit-on un film sur l’imposture ?
Difficilement. Avec un projet pareil, c’est impossible de dire à un producteur qu’on va faire un film sans être sûr de son sujet et qu’on découvrira de quoi il parle pendant son processus. Le producteur réagira en vous traitant de doux dingue. Au début, j’avais quand même trouvé un coproducteur, mais à la fin, nos relations étaient devenus conflictuelles. Il disait que le film était très élitiste, qu’il n’avait pas d’avenir, et qu’il n’irait jamais dans les festivals. Il a abandonné le projet, du coup, je me suis retrouvé tout seul à le produire.
« Notes on the Other » (Notes sur l’autre) est ton film le plus court. Est-ce que sa durée a été déterminée par son sujet ?
Je travaille depuis 15 ans, j’ai fait 25 films, et le plus court faisait 30 minutes. Je pensais que ce sujet méritait un tel format, mais ce qui est curieux, c’est que cela m’a pris plus de temps de faire un court que n’importe lequel de mes travaux précédents. J’ai passé six mois douloureux à monter un film de 13 minutes. Avant « Notes », tout ce que j’avais fait était plus long. Je n’avais jamais fait de courts métrages, et maintenant, je ne veux faire que ça.
Pourquoi ?
Parce que c’est bien plus difficile. Les gens pensent qu’écrire un roman est bien plus dur qu’écrire une nouvelle. Ce n’est pas vrai, la nouvelle est le territoire où l’on peut vraiment expérimenter ce qu’on veut.
Et où l’on souffre plus aussi…
Oui. Je souffre beaucoup car le problème n’est pas de déterminer un sujet, mais de trouver la manière de raconter une histoire. C’est drôle, j’entends souvent parler de sujets. Personnellement, le sujet ne m’importe pas, c’est juste le début de quelque chose. La question est comment, et non quoi.
Est-ce la raison pour laquelle tu ne penses pas que ton film est un documentaire, mais quelque chose situé entre le documentaire et la fiction ?
Exactement. Ce film est un essai que j’associe plus à une fiction de la réalité qu’à un réel documentaire. J’ai cherché à raconter une histoire potentielle qui aurait pu se passer, en connectant des éléments isolés, en associant différentes pièces de puzzle (une photographie, une course de taureaux, des gens prétendant être quelqu’un d’autre, …).
Même si tu évoquais les fantômes et les doubles identités, le film parle de Hemingway. Pourquoi lui et pas quelqu’un d’autre ?
Parce qu’une photo de 1924 est liée à lui, parce qu’il voulait être quelqu’un d’autre, et parce qu’il a fait connaître les courses de taureaux dans le monde entier. Une chose étrange est arrivée pendant le tournage, lorsqu’on pensait encore que le film touchait aux fantômes. Carlos m’avait dit : “si tu attends, Hemingway apparaitra”. C’était impossible et mystique, je refusais de le croire. Le dernier jour, j’allais partir quand on m’a appelé. John Hemingway, le petit-fils de l’écrivain, était aussi en train de faire des recherches sur son grand-père, et il voulait me rencontrer. Quand j’en ai parlé à Carlos, il m’a dit : “tu vois, je t’avais bien dit qu’il allait apparaître !”.
Tu parlais de trois projets. Sur quoi es-tu concentré actuellement ?
Ces jours-ci, je suis en train de terminer un film lié à de nombreuses photographies trouvées dans le centre de Madrid, il y a six ans. Beaucoup de clichés très étranges représentant une famille (un vieil homme, une vieille femme et un jeune homme) avaient été trouvés dans une poubelle, avant qu’on me les donne. Quelqu’un a fait des recherches et a découvert que la femme avait l’habitude de se considérer comme la peintre la plus importante de l’apocalypse, et que l’homme avait notamment participé en tant qu’acteur à « Rosemary’s Baby » de Polanski. Ce qui est fantastique, c’est qu’en examinant bien ces photos, on se rend compte à quel point ces gens étaient préoccupés par la postérité et l’immortalité, et qu’à partir du moment où ils meurent, toute leur vie termine à la poubelle. Ce film, j’espère pouvoir le montrer l’année prochaine à Clermont-Ferrand.
Tu le produis aussi tout seul, ce projet ?
Oui.
Propos recueillis par Katia Bayer
Consulter la fiche technique de « Notes on the Other »
Article paru dans le Quotidien du Festival
Article associé : la critique de A story for the modlins