Pour sa parution automnale, le magazine trimestriel Repérages met l’étrange, le déconcertant, le sanglant et le politiquement incorrect à l’honneur dans un DVD rassemblant onze courts cultes, édité par Scope et Chalet Pointu. Variée par son approche des genres (parodie, humour noir, fantastique…), des thèmes (vampirisme, mutantisme, zombisme, tabou sexuel…) et des contrées explorées (France, Belgique, États-Unis, Argentine,…) la sélection des films reflète les dernières tendances situées en marge des productions classiques. Cinq ovnis nous apparaissent d’emblée comme des incontournables du genre extrême.
King Crab Attack ! de Grégoire Sivan
Lorsque la jolie et tranquille station balnéaire de Trouville-sur-mer se retrouve menacée par une attaque de crabes géants, Basile, jeune autochtone téméraire, décide d’affronter seul les monstrueux crustacés.
Monteur issu de la Fémis, Grégoire Sivan est l’auteur de plusieurs films d’animation dont « La Méthode Bourchnikov » et « Premier voyage » (Lutin du meilleur film d’animation en 2008). Parodie ingénieuse, « King Crab Attack ! » se présente comme la bande-annonce d’un film à venir. Toutes les références du film du genre s’y retrouvent : le mélo kitsch et larmoyant, le suspense haletant, l’action intense, l’héroïsme exacerbé, la soif de vengeance et de pouvoir, la morale abrutissante… Entre « Les Dents de la Mer » et « James Bond », le film de Grégoire Sivan est un bel hommage aux séries B américaines.
Mompelaar de Wim Reygaert et Marc Roels
Atypique et inclassable, le film du duo flamand Reygaert et Roels est de loin le court métrage le plus déjanté de la sélection. Sur l’air de la septième symphonie de Beethoven, des paysages inspirés des peintures flamandes médiévales (Brueghel, Bosch ou encore Grimmer) révèlent une Flandre mystique dans laquelle s’enracinent Lubbert, un marmonneur un peu niais et sa mère, un travesti un brin castrateur.
Perdu dans les méandres d’une narration décousue, entre une découverte macabre baignée dans des sons de radio inaudibles et la rencontre d’un guide nature aux instincts pervers, le récit prend des allures de fable christique lorsque l’idiot du village endosse le rôle de maître spirituel et la mère celui de Madone irréprochable.
Imprégné de références picturales, musicales et littéraires, « Mompelaar » répond à un vide existentiel par un humour absurde et décalé. Ne peut-on pas y voir du Ionesco dans cette histoire de marmonneur chauve ?
I love Sarah Jane de Spencer Susser
Titre aux accents country, « I love Sarah Jane » déploie ses accords sur fond de fin du monde. Dans un décor post-apocalyptique où les hommes se transforment petit à petit en morts-vivants, Jimbo, 13 ans, n’a de yeux que pour la belle Sarah Jane. L’originalité de l’intrigue amoureuse est bien évidemment de la confronter à la cruauté d’une bande de jeunes adolescents qui, ayant perdu toute notion de Bien et de Mal, s’amuse à torturer un zombie dans son jardin. Et quand il faut abréger les souffrances de celui-ci, seule, la fille de la bande a le courage d’agir. Inhumaine ? Pas aux yeux de Jimbo pour qui ce geste confirme ses sentiments à l’égard de la belle. Face au sadisme d’une jeunesse inculte qui crache littéralement sur ses pères (le zombie en question n’est autre que le paternel des avortons), Jimbo, lui, aime Sarah Jane.
The Blindness of the Woods de Javier Lourenço et Martin Jalfen
Il était une fois, dans les contrées froides et lointaines de Kiruna, au fin fond de la Scandinavie, Ulrika, une jeune fille aveugle qui souffrait de solitude. Un beau jour, un bûcheron des environs lui porta des bûches pour la réchauffer…
Nous savions déjà que les contes de fées étaient truffés de messages sexuels subliminaux, mais dans le sage conte érotique du tandem argentin Lourenço-Jalfen où une jeune fille, sorte de Lady Chatterley scandinave atteinte de cécité, découvre en l’amour physique une issue agréable à son sylvestre isolement, le thème de l’éveil à la sensualité est abordé sans refoulement aucun.
Les auteurs jouent sur la transgression par la représentation intégrale des relations sexuelles des personnages entièrement vêtus de laine. Sous ce déguisement, ils détiennent un certain anonymat et deviennent dès lors des archétypes immuables qui agissent selon des codes liés à des genres bien spécifiques : le conte et le porno. À la cécité de l’héroïne répond le voyeurisme du spectateur.
Au-delà d’une mise en scène qui fait sourire, « The Blindness of the Woods » est aussi un miroir de notre rapport consummériste et codifié à la relation au corps en particulier et à la relation affective, en général.
Bien sous tous rapports de Marina De Van
L’étrangeté, c’est l’art d’être dépaysé chez soi, c’est le connu qui devient subitement inconnu, c’est le familier qui se transforme en inhospitalier. L’étrangeté peut provoquer la fascination ou l’aversion mais elle laisse rarement indifférent. C’est le cas de « Bien sous tous rapports » le film d’école de Marina De Van, issue de la Fémis.
Loin du médiatique « Ne te retourne pas » mettant en scène Sophie Marceau et Monica Bellucci, l’intrigue du court métrage de la réalisatrice repose sur le fait de savoir si Sarah, jeune fille de bonne famille, maîtrise l’art de la fellation ou non.
Face au tribunal inquisiteur représenté par son père, sa mère et ses deux frères (vrais frères de la réalisatrice), la jeune fille n’a pas beaucoup de chance de s’en sortir indemne (pas plus que son malheureux copain victime du voyeurisme de la Sainte famille).
Transgressif, subversif, provocateur mais surtout intelligent, « Bien sous tous rapports » ébranle expressément le système éducatif bourgeois qui repose sur la notion de modèle et d’exemple à suivre. Encore faut-il qu’il soit bon, l’exemple. C’est alors que la néophyte demande à ses respectés et honorables géniteurs de le montrer, l’exemple. Et lorsque ceux-ci s’adonnent à l’intime exercice de style devant leur progéniture fascinée, le spectateur est renvoyé à sa propre éducation sexuelle.
Comme Buňuel dans sa période française, De Van s’en prend de façon jouissive à la bourgeoisie bien pensante, garante des valeurs morales, figée dans les codes de bienséance. Elle opprime l’individu qui n’est plus libre d’aimer à sa façon. Le final laisse tout de même entrevoir un espoir d’échapper aux tenailles du système grâce à une prise de position personnelle de l’héroïne.
Extrême Cinéma, vol. 2, Films courts cultes, bis, étranges, bizarres et gores… : Co-édition Repérages, Chalet Pointu
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