Helen Nabarro : le cinéma d’animation anglais, la place du spectateur, et l’influence de l’audience

Sensible aux histoires et à la magie, Helen Nabarro, est responsable du Département Animation à la National Film and Television School (NFTS), une des écoles d’animation les plus réputées d’Angleterre. Venue en coup de vent à Anima, elle y a présenté une sélection de films d’étudiants des cinq dernières années. Discussion autour du cinéma d’animation anglais, de la place du spectateur, et de l’influence de l’audience.

navarro1

Comment as-tu fait tes premiers pas dans l’animation ?

Quand j’ai quitté l’université, avec un diplôme en littérature anglaise en poche, je voulais travailler dans les médias. Je me suis retrouvée dans une petite boîte de production indépendante qui s’occupait surtout de live-action et occasionnellement de publicités. Je suivais la création de spots radio et de publicités d’animation car mes collègues, obnubilés par le live, trouvaient le reste ennuyeux. Dans le cadre de ce travail, j’ai  découvert quelque chose de fascinant, l’animation en studio, et les gens formidables des productions Richard Purdum. J’ai rejoint l’équipe, et pendant six ans, j’ai travaillé comme assistante de production, puis comme productrice, avec Richard Purdum, Michael Dudok de Wit, Sylvain Chomet, et Paul Demeyer.

Par la suite, tu as été engagée aux studios Aardman et à la BBC. Quelles y furent tes activités ?

Ayant déménagé à l’ouest, j’ai travaillé, pendant trois ans, chez Aardman, qui était à l’époque une toute petite boîte. J’y ai produit plusieurs publicités et courts métrages, en  collaborant notamment avec Luis Cook (« The Pearce Sisters »), Steve Fox (« Stage Fright ») et Nick Park (« Wallace and Grommit »). Ensuite, j’ai rejoint le Département Animation de la BBC où j’ai produit des programmes maison, des séries, et des émissions spéciales de 30 minutes, notamment « The Gogs », une série galloise très vulgaire, avec des hommes de cavernes brusques qui passent leur temps à roter (!).

Comment l’animation était-elle perçue à la BBC ?

Au début, il y a eu de l’intérêt pour des courts métrages d’animation de qualité. Beaucoup de nos films se retrouvaient dans de grands festivals, comme à Annecy, et on pouvait les programmer relativement aisément à l’antenne. Mais après, les télévisions sont devenues très compétitives, et la BBC n’a plus voulu de trous dans sa programmation. Les décideurs, ayant peur de perdre des spectateurs, ont promu d’autres programmes. Pour les courts animés, il ne restait qu’une seule possibilité, des blocs de 30 minutes, de préférence comiques, mais même ceux-ci n’étaient pas toujours considérés comme assez rentables. Si on dépensait autant d’argent pour un programme, il fallait au moins attirer tel ou tel public sinon, c’était de l’argent perdu. Je ne suis pas du tout d’accord avec ce point de vue, mais malheureusement c’est comme ça partout. La télévision est très influencée par les résultats d’audience et le revenu des publicités. À la BBC, à la fin, l’animation n’était plus perçue comme un genre, mais comme une technique de production visant le moins cher, et la section Animation a fermé.

Récemment, des étudiants m’ont interrogée sur la BBC, et je crois avoir réussi à déprimer toute une classe, en l’espace de quelques minutes ! J’ai parlé de la chaîne de façon positive, mais quand ils m’ont demandé : « est-ce qu’ils aimeront ceci ou cela ? », j’ai répondu par la négative. Tout ce qu’ils aiment, c’est la comédie, c’est un humour à la « Monkey Dust » [dessin  animé satirique]. Moi aussi, cela me déprime !

Depuis janvier 2008, tu es responsable de la section Animation de la National Film and Television School (NFTS). Quel est ton lien avec cette école ?

Quand j’étais à la BBC, on avait l’habitude de rencontrer des étudiants en animation pour leur expliquer notre travail. J’ai fait la connaissance de Gillian Lacey, qui encadrait précédemment la section d’animation de la NFTS. Quand j’ai quitté la BBC, elle m’a appelée et m’a demandé si je voulais travailler avec elle.  Au début j’étais hésitante parce que je n’avais jamais enseigné et que tous les autres professeurs étaient des réalisateurs. Finalement, j’ai accepté. Tout au long de ma carrière, j’ai toujours soutenu les animateurs/réalisateurs. À l’école, je fais la même chose : j’aide les nouveaux réalisateurs.

Certaines écoles conçoivent les élèves comme des artistes individuels. Vous misez beaucoup, dans votre communication, sur le travail d’équipe…

Oui. Nos étudiants – huit admis par an – collaborent avec des élèves d’autres sections de la NFTS (réalisation, son, montage, production, musique) dès la première année. Ils rencontrent plein de gens, et à la fin de leurs études, ils se sont tous entourés d’une équipe. Nous les incitons à se préparer à l’industrie, ce qui n’est pas évident. Ils doivent déjà apprendre à bien diriger leur équipe, à accepter les critiques et feedbacks de celle-ci, et décider ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. En fonction du projet, certains travaillent avec des petites équipes, d’autres avec des grandes. Cette année-ci, on a, par exemple, un projet très ambitieux : un film de 10 minutes en 3D. Le réalisateur et ses producteurs ont fait faire des séquences d’animation partout dans le monde. Tout seul, le réalisateur n’aurait pas pu mener son projet à bien.

Est-ce que vos étudiants réalisent ce qui les attend après leurs études ?

En première année, on visite des studios et on les encourage à faire des stages. On essaie d’être aussi réalistes que possible et on les forme sans illusion. Ils savent ce qu’ils peuvent faire et ce qu’ils ne peuvent pas faire, mais ils sont bien conscients qu’ils n’auront peut-être pas la chance de trouver du boulot tout de suite après leurs études.

Même si elles sont très distinctes les unes des autres, y a-t-il quelque chose qui relie les animations de la NFTS ?

J’espère que c’est le mot « histoire ». Quand les étudiants arrivent à l’école, ils sont souvent très doués et talentueux dans plusieurs domaines. On leur offre un bon encadrement, mais ce sont les élèves qui définissent  leur histoire. Dès le début, et pendant tout le développement de leur projet, on leur demande ce qu’ils souhaitent raconter. Même si leur histoire est abstraite, elle doit être racontée, et ne pas être traditionnellement linéaire. Dernièrement, j’ai repensé à Abigail Youngman, une script editor avec laquelle j’ai longtemps travaillé à la BBC. Elle a écrit un article sur les approches d’écriture. L’histoire ? Pour elle, cela tenait en deux lignes : « De quoi s’agit-il ? » et « De quoi s’agit-il vraiment ? ».

Comment le court métrage est-il vu à la NFTS ? Est-ce un film à part entière ou une carte de visite ?

Les deux, à vrai dire. On est convaincus que le court métrage est une forme d’art à part entière, mais on doit aussi regarder vers l’industrie et répondre aux besoins des étudiants. Il faut que leurs beaux films circulent et qu’ils soient remarqués.

L’école opère une sélection rigoureuse en ne prenant que huit élèves par an. Que recherchez-vous chez vos candidats ?

Ont-ils une vision ? Ont-ils des idées ? Bénéficieront-ils de ce que l’école peut leur offrir ? Si quelqu’un se présente juste pour travailler seul, il sera peut-être un jour un grand réalisateur populaire, mais il ne bénéficiera pas de ce que nous avons à lui offrir. Parfois, nous nous intéressons simplement aux idées. Cette année-ci, par exemple, nous avons reçu la candidature d’un animateur génial. Il était nerveux et nous disait ce qu’il savait faire, mais ce qu’il ne comprenait pas, c’est qu’on voulait qu’il nous raconte ce qu’il avait envie de faire. Tout d’un coup, il a compris, s’est détendu, a commencé à nous raconter tout ce qu’il voulait faire, et a été pris !

Retour en arrière. Te souviens-tu des films d’animation qui t’ont vraiment marqué ?

Il y a eu un moment décisif quand je travaillais chez Purdum. Je n’étais pas très fan de l’animation en volume, je trouvais ça souvent lourd. Mais en voyant les rushes de la séquence du train dans « Wallace and Gromit », j’ai eu l’impression que les personnages avaient pris vie. Un moment similaire s’est produit avec « Stage Fright », le film de Steve Box. J’avais vu Steve animer deux enfants en train de courir, et le lendemain, j’ai vu les rushes : les enfants étaient vivants ! C’est pour cela que j’aime l’animation, c’est parce que je trouve ça magique.

Propos recueillis par Katia Bayer et retranscrits par Adi Chesson

Le site de la National Film and Television School : www.nftsanimation.org/departments.htm

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *