Conte de la lâcheté ordinaire
Rolf, vigile dans une grande surface, est secrètement amoureux de Sarah, la jolie libraire. Assis devant ses écrans de contrôle, il passe ses journées à l’observer par l’entremise des caméras de sécurité. Rolf, solitaire, triste et maladroit, n’ose approcher la jeune femme et ne sait comment attirer son attention. Ses tentatives se soldent par des échecs, son manque de courage et de prise d’initiative prenant toujours le dessus…
Un soir dans le métro, Rolf est témoin d’une dispute entre Sarah et un homme qu’il pense être le nouveau petit ami de la jeune femme. Sarah quitte le véhicule en pleurant, ce qui réjouit Rolf… Mais son amusement est de courte durée : le compagnon de Sarah est agressé par une bande de jeunes délinquants. Au lieu de l’aider, partagé entre lâcheté et jalousie, Rolf descend du wagon, laissant le jeune homme à son sort…
Lauréat d’une flopée de prix dans de nombreux festivals de courts métrages, notamment le Grand Prix de la compétition internationale à Clermont-Ferrand en 2008, « Auf der Strecke » est avant tout un film d’acteurs révélant le talent de Roeland Wiesnekker (Rolf), particulièrement convaincant et attachant dans la peau de ce lâche rongé par le remords qui va devenir un opportuniste par la force des choses.
Au-delà de son casting, « Auf der Strecke » ne dit rien de plus que l’on n’ait déjà vu dans des films de qualité supérieure mais délivre son message avec une certaine finesse. Si l’œuvre est donc très loin d’être révolutionnaire, elle n’en est pas moins de qualité, filmée avec élégance et économie. On pardonnera un score trop explicatif et redondant pour s’intéresser avant tout aux deux acteurs principaux, excellents et à des thématiques particulièrement intéressantes : la lâcheté (Rolf n’est pas le seul à ignorer la mort imminente du jeune homme : d’autres passagers quittent sans vergogne ou par peur le lieu du drame, coupables de non-assistance à personne en danger) la culpabilité, le remords, la solitude… Des thèmes à première vue passionnants, exposés avec brio par Reto Caffi, un jeune réalisateur sorti de la KHM (Haute Ecole d’Art des Médias) de Cologne dont il s’agit ici du film de fin d’études.
« Auf der Strecke » ne va malheureusement pas au bout de ses enjeux et laisse le film inabouti, sur une interrogation. Rolf ne révèle donc jamais à Sarah son secret honteux, ce qui d’un point de vue scénaristique ne fonctionne pas et laisse le spectateur sur sa faim. Dommage, car le réalisateur s’avère néanmoins doué pour installer un dilemme passionnant. « Auf der Strecke » est une œuvre intéressante et réalisée par une équipe talentueuse, mais qui aurait sans doute bénéficié d’un quart d’heure supplémentaire.
Grégory Cavinato